Tendances dans les inégalités de salaire

La stratégie de l’OCDE pour l’emploi

Dossier : Dossier emploiMagazine N°542 Février 1999
Par Donald J. JOHNSTON

Les défis du marché du travail

Les défis du marché du travail

L’in­quié­tude que sus­cite la per­sis­tance du chô­mage ne fait que s’ac­centuer avec le ralen­tisse­ment de la crois­sance dans la zone de l’OCDE — voire la réces­sion dans cer­tains pays, mem­bres et non membres.Mais les prob­lèmes des marchés du tra­vail ne se lim­i­tent pas à l’am­pleur du chô­mage. Celle-ci entraîne avec le temps des effets cumu­lat­ifs, les chômeurs finis­sant par se décourager et par quit­ter la pop­u­la­tion active. De plus, de nom­breux tra­vailleurs — surtout par­mi les moins instru­its — se trou­vent enfer­més dans un cer­cle vicieux, alter­nant bas salaires et pas de salaire du tout, sont men­acés par la pau­vreté et risquent de voir leurs com­pé­tences se dégrader.

De fait, pen­dant la dernière décen­nie, la pro­por­tion des bas salaires s’est accrue dans plusieurs pays de l’OCDE ce qui a con­tribué dans cer­tains cas à une aug­men­ta­tion de la pau­vreté met­tant en dan­ger la cohé­sion sociale. Au total, accroître l’emploi, réduire le chô­mage et faire face aux prob­lèmes des bas salaires et de l’ex­clu­sion sociale sont aujour­d’hui les défis les plus pres­sants pour les respon­s­ables poli­tiques de tous les pays de l’OCDE.

La stratégie de l’OCDE pour l’emploi

L’OCDE s’est fixé comme l’une de ses prin­ci­pales pri­or­ités d’aider les pays mem­bres à affron­ter ces prob­lèmes. Les grands axes d’une stratégie visant à faire face à ces défis ont été présen­tés aux min­istres en 1994 : OCDE 1994a. S’ap­puyant sur plus de 60 recom­man-dations détail­lées et deux vol­umes d’analy­ses et d’é­tudes appro­fondies OCDE 1994b, la “Stratégie pour l’emploi” de l’OCDE s’ar­tic­ule autour de dix grandes ori­en­ta­tions poli­tiques, qui con­stituent un plan d’ac­tion inté­gré (voir encadré 1).

Depuis lors, notre tra­vail s’est pour­suivi par des exa­m­ens thé­ma­tiques dans des domaines par­ti­c­uliers1 ; et par deux séries d’ex­a­m­ens des expéri­ences nationales en matière de réforme du marché du tra­vail, pub­liées dans les Études économiques que l’OCDE con­sacre péri­odique­ment à cha­cun de ses pays mem­bres. Nous avons tiré les prin­ci­paux enseigne­ments qui se dégageaient de ces études, dans des rap­ports spé­ci­aux adressés aux min­istres OCDE 1995a, 1996a, 1997a et 1998b. Des études ana­ly­tiques de cer­tains aspects du marché du tra­vail ont égale­ment été pub­liées chaque année dans les Per­spec­tives de l’emploi de l’OCDE.

Notre approche des prob­lèmes du marché du tra­vail dans les pays de l’OCDE a mis en évi­dence le fait que les déséquili­bres résul­tent de caus­es à la fois con­jonc­turelles et struc­turelles. Pour être effi­cace, il faut donc adopter une stratégie glob­ale, com­prenant à la fois des poli­tiques macro-économiques appro­priées et toute une série de mesures microé­conomiques et structurelles.

L’équili­bre entre les dif­férents élé­ments de cette stratégie varie évidem­ment d’un pays à l’autre et aus­si dans le temps. Notre “Stratégie pour l’emploi” a elle-même ain­si évolué à la lumière de l’ex­péri­ence acquise par les pays mem­bres dans sa mise en œuvre et en fonc­tion des pro­grès de l’analyse. Cette évo­lu­tion est le reflet de la com­plex­ité des prob­lèmes, de la néces­sité d’ar­bi­tr­er entre des objec­tifs dif­férents et de l’im­por­tance rel­a­tive que chaque pays décide d’at­tribuer à cha­cun d’en­tre eux.

Encadré 1 — Les dix recom­man­da­tions clés de la stratégie de l’OCDE pour l’emploi​

1. Éla­bor­er une poli­tique macroé­conomique qui favorise la crois­sance et qui, con­juguée à des poli­tiques struc­turelles appro­priées, la rende durable, c’est-à-dire non inflationniste.
2. Amélior­er le cadre dans lequel s’in­scrivent la créa­tion et la dif­fu­sion du savoir-faire technologique.
3. Accroître la flex­i­bil­ité du temps de tra­vail (aus­si bien à court terme que sur toute la durée de la vie) dans le cadre de con­trats con­clus de gré à gré entre tra­vailleurs et employeurs.
4. Créer un cli­mat favor­able aux entre­pris­es en élim­i­nant les obsta­cles à leur créa­tion et développement.
5. Accroître la flex­i­bil­ité des coûts salari­aux et de main-d’œu­vre en sup­p­ri­mant les con­traintes qui empêchent les salaires de refléter les con­di­tions locales et le niveau de qual­i­fi­ca­tion de cha­cun, en par­ti­c­uli­er des jeunes travailleurs.
6. Revoir les dis­po­si­tions rel­a­tives à la sécu­rité de l’emploi qui freinent les créa­tions d’emploi dans le secteur privé.
7. Met­tre davan­tage l’ac­cent sur les poli­tiques actives du marché du tra­vail et les ren­dre plus efficaces.
8. Amélior­er les qual­i­fi­ca­tions et com­pé­tences de la main-d’œu­vre en mod­i­fi­ant pro­fondé­ment les sys­tèmes d’en­seigne­ment et de formation.
9. Revoir les sys­tèmes d’in­dem­ni­sa­tion du chô­mage et de presta­tions con­nex­es — et leurs inter­ac­tions avec le sys­tème fis­cal — de telle sorte que les objec­tifs fon­da­men­taux de la col­lec­tiv­ité en matière d’équité soient rem­plis en por­tant moins atteinte au bon fonc­tion­nement des marchés du travail.
10. Dévelop­per la con­cur­rence sur les marchés des pro­duits de manière à réduire les ten­dances monop­o­lis­tiques et à atténuer l’op­po­si­tion entre tra­vailleurs inté­grés et exclus, tout en con­tribuant à ren­dre l’é­conomie plus nova­trice et plus dynamique.

Leçons tirées de la mise en œuvre de la stratégie de l’OCDE pour l’emploi

Une activ­ité con­sid­érable a été déployée, en étroite col­lab­o­ra­tion avec les pays mem­bres, pour met­tre au point des recom­man­da­tions con­crètes et en suiv­re la mise en œuvre. Cer­tains des prin­ci­paux enseigne­ments qui se déga­gent de cet exa­m­en détail­lé pays par pays, présen­tés ici, jet­tent quelque lumière sur les raisons pour lesquelles cer­tains pays ont mieux réus­si que d’autres à créer des emplois et à réduire le chô­mage2.

Quels pays ont réussi à réduire le chômage de façon durable pendant les années 90 ?

Quelques chiffres clés sur l’évo­lu­tion des marchés du tra­vail dans les années 90 sont présen­tés dans le tableau 1. Ces don­nées, rel­a­tives d’une part au rap­port de l’emploi à la pop­u­la­tion d’âge act­if et d’autre part au taux de chô­mage font ressor­tir un cer­tain nom­bre d’évo­lu­tions dif­férentes entre pays, mais aus­si une ten­dance des dif­férents indi­ca­teurs à évoluer de façon sim­i­laire. Out­re les dif­férences d’évo­lu­tion, le tableau 1 fait égale­ment appa­raître d’im­por­tantes dif­férences de niveau de ces vari­ables d’un pays à l’autre.

Parce que le cycle économique con­di­tionne de façon impor­tante les évo­lu­tions du marché du tra­vail, l’OCDE a eu recours aux vari­a­tions estimées du “taux de chô­mage struc­turel” — notion qui fait abstrac­tion des effets de la con­jonc­ture sur le chô­mage — comme l’un des critères clés pour éval­uer l’ef­fi­cac­ité des poli­tiques nationales3. Même si ces esti­ma­tions du “chô­mage struc­turel” sont quelque peu frag­iles — et l’OCDE ajuste con­stam­ment ses méth­odes et ses esti­ma­tions à la lumière des infor­ma­tions nou­velles dont elle peut dis­pos­er — c’est un con­cept que le Secré­tari­at de l’OCDE et les pays mem­bres ont trou­vé utile pour faire le point de l’ex­péri­ence des pays4. Sur la base de nos esti­ma­tions, nous avons iden­ti­fié six pays qui, en ter­mes de réduc­tion du chô­mage struc­turel, ont eu des résul­tats sig­ni­fi­cat­ifs pen­dant les années 90 : l’Aus­tralie, le Dane­mark, l’Ir­lande, la Nou­velle- Zélande, les Pays-Bas et le Roy­aume-Uni [OCDE, 1997a]5.

Tableau 1 – Évo­lu­tion du marché du tra­vail dans les pays de l’OCDE, 1990–1998​
Rap­port emploi/pop​ulation (1) Taux de c​hômage (2)
1990​ 1998​ 1990​ 1998​
États-Unis
Japon
Allemagne
France
Italie
Royaume-Uni
Canada
Australie
Autriche
Belgique
Danemark
Finlande
Grèce
Islande
Irlande
Norvège
Pays-Bas
Nouvelle-Zélande
Portugal
Espagne
Suède
Suisse
72.2
72.6
64.8
60.6
53.5
72.0
71.5
69.1
64.2
56.4
75.2
74.7
55.0
76.1
53.9
73.9
54.8
58.8
68.9
51.7
81.3
83.2
73.9
74.8
60.5
59.4
50.8
70.3
69.9
68.5
62.8
56.3
75.8
64.7
55.1
75.5
59.3
78.5
61.8
60.9
64.8
50.8
69.6
79.8
5.6
2.1
6.2
8.9
9.1
5.9
8.2
7.0
4.7
8.8
9.4
3.2
7.0
1.8
12.9
5.2
6.0
7.7
4.7
15.7
1.6
0.5
4.6
4.2
11.2
11.8
12.2
6.5
8.4
8.2
6.1
11.8
6.5
10.9
10.0
3.1
9.1
3.4
4.1
8.3
5.1
19.1
6.5
4.0
(1) Rap­port de l’emploi total à la pop­u­la­tion d’âge act­if. (2) Déf­i­ni­tions couram­ment util­isées. Source : OCDE.

Éléments communs entre ces pays…

Ces pays ont en com­mun cer­taines car­ac­téris­tiques qui, pris­es dans leur ensem­ble, per­me­t­tent de dégager quelques enseigne­ments majeurs. La pre­mière a trait à l’im­por­tance des con­di­tions et poli­tiques macroé­conomiques. Dans tous ces pays, les amélio­ra­tions de la sit­u­a­tion du marché du tra­vail ont été obtenues sur un arrière-plan de graves déséquili­bres économiques datant de la fin des années 70 et des années 80. Ces amélio­ra­tions ont été acquis­es grâce à l’adop­tion de poli­tiques macroé­conomiques axées sur la sta­bil­ité, et cen­trées sur la réduc­tion des déficits et de la dette du secteur pub­lic et sur la maîtrise de l’inflation.

Un tel cadrage a per­mis de réduire les taux d’in­térêt réels et de ren­forcer la crédi­bil­ité des autorités poli­tiques macroé­conomiques, et de soutenir la crois­sance économique à moyen terme. La poli­tique macroé­conomique a ain­si joué son rôle dans la réduc­tion des fluc­tu­a­tions conjoncturelles.

Les pays qui dis­po­saient d’une marge de manœu­vre sur le plan de la poli­tique macroé­conomique ont pu laiss­er les sta­bil­isa­teurs automa­tiques jouer leur rôle pour éviter de fortes hauss­es du chô­mage effec­tif. Par con­tre, dans les pays qui ne dis­po­saient pas de cette marge de manœu­vre, les hauss­es con­jonc­turelles du chô­mage ont eu ten­dance, au fil du temps, à devenir structurelles.

Graphique 1 — Ten­dances dans les inégalités
Tendances dans les inégalités de revenus
1) Rap­port entre les salaires médi­ans et les salaires au-dessus de la décile inférieure (D5/D1)
2) Coef­fi­cient Gini cal­culé sur les revenus disponibles des ménages.

Source : OCDE, LIS, et sources nationales

Le sec­ond enseigne­ment a trait à l’im­por­tance des mesures struc­turelles pour amélior­er la capac­ité du marché du tra­vail à absorber les chocs sans heurts. Si l’im­por­tance rel­a­tive des dif­férentes mesures a var­ié d’un pays à l’autre, une stratégie payante de réforme du marché du tra­vail a com­porté un cer­tain nom­bre d’élé­ments : des pro­grammes act­ifs du marché du tra­vail, conçus avec soin et gérés avec rigueur6 ; des réformes du sys­tème d’im­po­si­tion et de presta­tions, y com­pris l’ap­pli­ca­tion de critères plus restric­tifs sur la recherche d’emploi et autres dis­posi­tifs visant à éviter d’en­fer­mer les béné­fi­ci­aires dans les pièges du chô­mage et de la pau­vreté7 ; l’al­lége­ment des prélève­ments oblig­a­toires qui pèsent sur la main-d’œu­vre ; des réformes en vue d’élever les niveaux de qual­i­fi­ca­tion de la main-d’œu­vre, avec des mesures visant à amélior­er l’é­d­u­ca­tion des enfants, à faciliter le pas­sage de l’é­cole à la vie pro­fes­sion­nelle, et à accroître les pos­si­bil­ités d’ap­pren­tis­sage tout au long de la vie ; des réformes du sys­tème de négo­ci­a­tion des salaires pour mieux tenir compte des con­di­tions de l’of­fre et de la demande selon les caté­gories pro­fes­sion­nelles et les con­di­tions locales ; le développe­ment de dis­posi­tifs d’amé­nage­ment du temps de tra­vail visant à mieux har­monis­er les besoins des entre­pris­es et des indi­vidus ; et des réformes des dis­po­si­tions rel­a­tives à la sécu­rité de l’emploi dans les pays où celles-ci lim­i­tent la volon­té des entre­pris­es à embaucher.

Mais même si cha­cun de ces élé­ments, con­sid­éré séparé­ment, est impor­tant ce qui paraît être essen­tiel est l’adop­tion d’une approche inté­grée de la réforme du marché du tra­vail. En effet, les pays qui ont réus­si à réduire de façon durable le chô­mage struc­turel dans les années 90 sont ceux qui sont par­venus à engager des réformes dans la plu­part des domaines qui vien­nent d’être mentionnés.

Le troisième enseigne­ment con­cerne l’im­por­tance des inter­ac­tions entre les réformes struc­turelles des marchés du tra­vail et des pro­duits. L’analyse de l’ex­péri­ence des dif­férents pays mon­tre qu’il importe d’ac­com­pa­g­n­er les mesures visant à amélior­er le fonc­tion­nement des marchés du tra­vail par des réformes des­tinées à accroître la con­cur­rence sur le marché des produits.

Dans de nom­breux secteurs, le cadre régle­men­taire restreint exces­sive­ment l’ac­cès au marché, étouf­fant la con­cur­rence et les pos­si­bil­ités d’emploi. Plus générale­ment, des marchés de pro­duits plus com­péti­tifs et plus sou­ples amèneront la demande de main-d’œu­vre à réa­gir plus rapi­de­ment aux évo­lu­tions salar­i­ales découlant des réformes du marché du tra­vail ; inverse­ment, des marchés du tra­vail qui fonc­tion­nent bien per­me­t­tront une réaf­fec­ta­tion rapi­de de la main-d’œu­vre req­uise par une con­cur­rence accrue sur le marché des produits.

Le dernier enseigne­ment est qu’il a fal­lu longtemps, par­fois jusqu’à dix ans et plus, pour que les réformes mis­es en œuvre se traduisent par des amélio­ra­tions sig­ni­fica­tives du chô­mage. Ceci sug­gère qu’il fau­dra une action cohérente de longue durée avant de voir le chô­mage com­mencer à reculer dans les pays où il se main­tient à un niveau élevé depuis longtemps.

Les gou­verne­ments — et c’est là une ques­tion par­ti­c­ulière­ment impor­tante — doivent donc faire preuve d’une volon­té poli­tique forte pour pren­dre les mesures néces­saires et en pour­suiv­re l’ap­pli­ca­tion dans la durée tout en sachant per­tinem­ment que les résul­tats de leurs actions ne seront pas immé­di­ate­ment vis­i­bles sur le marché du travail.

… et différences entre eux

À côté de ces car­ac­téris­tiques com­munes, il existe aus­si des dif­férences impor­tantes entre les approches suiv­ies par les pays qui ont réus­si à réduire durable­ment le chô­mage au cours des années 90. L’une des prin­ci­pales con­cerne le rôle que les parte­naires soci­aux ont joué dans la con­cep­tion et la mise en œuvre des réformes.

Aux Pays-Bas et en Irlande, les réformes ont été menées par con­sen­sus, dans le cadre de négo­ci­a­tions tri­par­tites entre les syn­di­cats, les employeurs et l’É­tat por­tant sur dif­férents élé­ments des réformes envis­agées. Au con­traire, au Roy­aume-Uni et en Nou­velle-Zélande, les réformes n’ont pas fait l’ob­jet d’un proces­sus formel de con­cer­ta­tion. De telles dif­férences se retrou­vent dans la manière dont le proces­sus de négo­ci­a­tion salar­i­ale a évolué. Les six pays con­sid­érés se sont tous éloignés du mod­èle car­ac­térisé par des négo­ci­a­tions de branche non coordonnées.

Mais cette évo­lu­tion s’est opérée dans des direc­tions dif­férentes selon les pays : dans le sens d’une plus forte décen­tral­i­sa­tion au Roy­aume-Uni, Nou­velle-Zélande et, dans une moin­dre mesure, au Dane­mark et en Aus­tralie ; et dans le sens d’une plus forte coor­di­na­tion en Irlande et aux Pays-Bas.

D’autres dif­férences sont observées en ce qui con­cerne l’évo­lu­tion de la répar­ti­tion des gains et des revenus depuis le début des années 80. Le graphique 1 mon­tre un accroisse­ment de la dis­per­sion des gains des tra­vailleurs à temps plein au bas de l’échelle en Irlande, en Nou­velle-Zélande et au Roy­aume-Uni, mais ce n’est pas le cas au Dane­mark ni en Aus­tralie, tan­dis qu’aux Pays-Bas cet accroisse­ment n’ap­pa­raît qu’à par­tir du début des années 90. On con­state aus­si des dif­férences impor­tantes (bien que fondées sur un moins grand nom­bre d’ob­ser­va­tions) entre cer­tains des pays qui ont le mieux réus­si à amélior­er la sit­u­a­tion du marché du tra­vail lorsque l’on con­sid­ère l’évo­lu­tion de la dis­tri­b­u­tion du revenu disponible au niveau des ménages — mesurée par le coef­fi­cient de Gini8.

Ces résul­tats d’analyse per­me­t­tent de dis­siper cer­taines des appréhen­sions que les recom­man­da­tions de la “Stratégie pour l’emploi” avaient pu sus­citer. En effet, l’une des raisons qui expliquent le manque d’empressement et de con­stance avec lequel cer­tains pays ont mis en œuvre la stratégie tient à la crainte que les recom­man­da­tions visant à amélior­er le fonc­tion­nement des marchés du tra­vail et des pro­duits n’ail­lent à l’en­con­tre des objec­tifs d’équité et de cohé­sion sociale.

Les don­nées empiriques mon­trent que l’ac­cen­tu­a­tion des dis­par­ités n’est pas une con­di­tion néces­saire d’une stratégie effi­cace de lutte con­tre le chô­mage, non plus que le résul­tat inéluctable de celle-ci. Bien au con­traire, aug­menter la capac­ité de nos économies à s’adapter à l’évo­lu­tion de la sit­u­a­tion économique et à créer des emplois doit être con­sid­éré comme un moyen de ren­forcer la cohé­sion de nos sociétés.

Prochaines étapes

Les poli­tiques pour accroître l’emploi et réduire le chô­mage vont rester au cen­tre du pro­gramme de tra­vail de l’OCDE dans les années qui vien­nent. Nos travaux com­por­tent actuelle­ment trois volets :

  • la pré­pa­ra­tion d’une éval­u­a­tion d’ensem­ble des pro­grès réal­isés par les pays dans le traite­ment des prob­lèmes de l’emploi, en vue de la réu­nion des min­istres de l’OCDE de mai 1999 ;
  • la pour­suite de notre activ­ité de sur­veil­lance, pays par pays, des pro­grès réal­isés en ter­mes de créa­tion d’emplois et de réduc­tion du chô­mage, y com­pris le réex­a­m­en des dif­férents élé­ments de la “Stratégie pour l’emploi” de l’OCDE ;
  • la pour­suite de travaux ana­ly­tiques relat­ifs aux marchés du tra­vail, pub­liés dans les Per­spec­tives de l’emploi de l’OCDE, et d’ex­a­m­ens thé­ma­tiques de l’aide sociale, et du pas­sage de l’é­cole à la vie active.

À l’avenir nous prévoyons de met­tre par­ti­c­ulière­ment l’ac­cent dans nos travaux sur l’in­ser­tion des groupes qui ont le plus de dif­fi­cultés sur le marché du tra­vail. L’un de ces groupes est celui des jeunes.

L’initiative de l’OCDE pour les jeunes

Il y a un peu plus de vingt ans, l’OCDE organ­i­sait une impor­tante con­férence sur le chô­mage des jeunes. Ses con­clu­sions étaient assez opti­mistes en ce sens qu’elles prévoy­aient que des avancées impor­tantes allaient pou­voir être réal­isées dans l’in­té­gra­tion des jeunes sur le marché du tra­vail [OCDE, 1978]. On pen­sait en par­ti­c­uli­er qu’avec le bas­cule­ment de la généra­tion du “baby-boom” dans la pop­u­la­tion active, et avec la con­jonc­tion de poli­tiques ciblées du marché du tra­vail et d’une crois­sance économique soutenue, on pour­rait “résoudre” les prob­lèmes des jeunes sur le marché du travail.

Rétro­spec­tive­ment, un tel opti­misme était sans doute mal fondé. Les taux de chô­mage des jeunes ne se sont que légère­ment améliorés ces dix dernières années, alors que les taux d’emploi de cette caté­gorie de pop­u­la­tion ont reculé dans presque tous les grands pays de l’OCDE.

Les per­spec­tives d’emploi et de rémunéra­tion des jeunes ayant un faible niveau d’in­struc­tion et de “lit­tératie” se sont forte­ment dégradées et, dans ce groupe, ceux qui ont quit­té l’é­cole tôt — par­fois en rai­son de graves prob­lèmes per­son­nels et famil­i­aux — risquent d’être com­plète­ment exclus de la vie sociale.

Il est clair qu’au-delà de l’ensem­ble des poli­tiques visant à soutenir un niveau élevé d’emplois, c’est toute une série d’ac­tions qu’il faut envis­ager pour éviter la mar­gin­al­i­sa­tion des jeunes défa­vorisés sur les marchés du tra­vail. Il s’a­gi­ra notam­ment de mesures visant à amélior­er les résul­tats sco­laires des jeunes à risque, par des inter­ven­tions pré­co­ces axées sur la sit­u­a­tion famil­iale et sur le parte­nar­i­at entre école, famille et col­lec­tiv­ité locale ; de méth­odes nou­velles de liai­son entre l’é­d­u­ca­tion ini­tiale et le monde du tra­vail ; de poli­tiques et d’in­sti­tu­tions qui facili­tent la tran­si­tion de l’é­cole à la vie pro­fes­sion­nelle, y com­pris les sys­tèmes de négo­ci­a­tions col­lec­tives, les pra­tiques au niveau des entre­pris­es et les dis­po­si­tions rel­a­tives à la sécu­rité de l’emploi et au salaire min­i­mum ; et de mesures, tant au niveau de l’of­fre qu’à celui de la demande, pour amélior­er l’employabilité des jeunes défa­vorisés. Il s’ag­it là d’un domaine où les pos­si­bil­ités de tir­er prof­it des dif­férentes expéri­ences et des pro­grammes nationaux nous parais­sent par­ti­c­ulière­ment importantes.

C’est dans ce con­texte que j’ai lancé une ini­tia­tive cen­trée sur les prob­lèmes d’emploi des jeunes, approu­vée par les min­istres du tra­vail de l’OCDE en octo­bre 1997 et par la Con­férence du G8 sur l’emploi à Kobé en novem­bre de la même année.

Une pre­mière étape prévue dans le cadre de cette ini­tia­tive con­sis­tera en une impor­tante con­férence inter­na­tionale, que l’OCDE organ­is­era con­join­te­ment avec les min­istères du Tra­vail et celui de l’É­d­u­ca­tion des États-Unis à Wash­ing­ton les 23 et 24 févri­er 1999, et qui per­me­t­tra de tir­er des leçons des poli­tiques mis­es en œuvre en faveur des jeunes au cours des vingt dernières années.

Conclusions

Il serait vain de pré­ten­dre tir­er une recette mir­a­cle de l’ex­a­m­en des expéri­ences nationales de réforme du marché du tra­vail. Mais la con­clu­sion prin­ci­pale qui s’en dégage est sim­ple à résumer et elle devrait être perçue comme un encour­age­ment par les gou­verne­ments, les par­lements et les parte­naires soci­aux : réduire le chô­mage durable­ment est pos­si­ble, comme le mon­trent les expéri­ences d’un cer­tain nom­bre de pays de l’OCDE. Les poli­tiques dans cette direc­tion doivent être pour­suiv­ies avec vigueur dans les années qui viennent.

Cepen­dant, la con­di­tion de la réus­site est d’avoir recours à une approche inté­grée, s’ap­puyant sur une large panoplie de mesures, adap­tée aux cir­con­stances et insti­tu­tions des dif­férents pays, et exploitant les nom­breuses inter­ac­tions et syn­er­gies qui exis­tent entre dif­férents domaines d’ac­tion. Cela exige aus­si une atten­tion poli­tique et une ferme déter­mi­na­tion au plus haut niveau, ain­si qu’un engage­ment con­stant sur une longue période.

Face à un niveau de chô­mage qui reste bien supérieur à celui de la fin des années 80, l’OCDE est bien décidée à pour­suiv­re ses efforts, en parte­nar­i­at avec les gou­verne­ments des pays mem­bres et les autres organ­i­sa­tions inter­na­tionales, afin de relever avec suc­cès ce qui demeure, pour nos économies et nos sociétés, un défi essen­tiel à l’aube du XXIe siècle.

Bib­li­ogra­phie

Jean-Marc BURNIAUX, Thai-Thanh DANG, Dou­glas FORE, Michael FÖRSTER, Mar­co MIRA d’ER­COLE et Howard OXLEY (1998), “Income Dis­tri­b­u­tion and Pover­ty in Select­ed OECD Coun­tries”, OECD Eco­nom­ics Depart­ment Work­ing Paper N° 189, Paris.
Tim CALLAN, et Bri­an NOLAN (1998), Income Inequal­i­ty in Ire­land in the 1980 and 1990, Frank Bar­ry (ed.). The Celtic Tiger : Recent Eco­nom­ic Growth and Struc­tur­al Change in Ire­land, Lon­dres (à paraître).
OCDE (1994a), L’é­tude de l’OCDE sur l’emploi : faits, analyse, straté­gies, Paris.
OCDE (1994b), L’é­tude de l’OCDE sur l’emploi : don­nées et expli­ca­tions, vol. 1 et 2, Paris.
OCDE (1995a), L’é­tude de l’OCDE sur l’emploi : la mise en œuvre de la Stratégie, Paris.
OCDE (1995b), L’é­tude de l’OCDE sur l’emploi : investisse­ment, pro­duc­tiv­ité et emploi, Paris.
OCDE (1995c), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi : fis­cal­ité, presta­tions sociales, emploi et chô­mage, Paris.
OCDE (1996a), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi : accélér­er la mise en œuvre, Paris.
OCDE (1996b), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi : tech­nolo­gie, pro­duc­tiv­ité et créa­tion d’emplois, Paris.
OCDE (1996c), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi : ren­forcer l’ef­fi­cac­ité des poli­tiques actives du marché du tra­vail, Paris.
OCDE (1996d), Appren­dre à tout âge, Paris.
OCDE (1997a), La mise en œuvre de la stratégie de l’OCDE pour l’emploi. Leçons à tir­er de l’ex­péri­ence des pays mem­bres, Paris.
OCDE (1997b), Val­oris­er le tra­vail : fis­cal­ité, presta­tions sociales, emploi et chô­mage, Paris.
OCDE (1997c), ” Dis­tri­b­u­tion des revenus et pau­vreté dans cer­tains pays de l’OCDE “, Per­spec­tives Économiques de l’OCDE, N° 62, Paris.
OCDE (1998a), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi : tech­nolo­gie, pro­duc­tiv­ité et créa­tion d’emplois : poli­tiques exem­plaires, Paris.
OCDE (1998b), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi : rap­port sur l’é­tat d’a­vance­ment de la mise en œuvre des recom­man­da­tions par pays, Paris.
OCDE (1998c), Com­bat­tre l’ex­clu­sion : l’aide sociale en Aus­tralie, en Fin­lande, au Roy­aume-Uni et en Suède, vol. 1, Paris.
OCDE (1998d), Com­bat­tre l’ex­clu­sion : l’aide sociale en Bel­gique, en Norvège, aux Pays-Bas et en République tchèque, vol. 2, Paris.
OCDE (1998e), La Stratégie de l’OCDE pour l’emploi, stim­uler l’e­sprit d’en­tre­prise, Paris.

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1. Poli­tiques actives du marché du tra­vail OCDE 1996c ; aide sociale OCDE 1998c, 1998d ; inter­ac­tion de la fis­cal­ité et des trans­ferts soci­aux OCDE 1995c, 1997b ; entre­pre­nar­i­at OCDE 1998e ; tech­nolo­gie et créa­tion d’emplois OCDE 1998a.
2. Un exa­m­en plus détail­lé de ces enseigne­ments est présen­té dans OCDE 1997a.
3. La démarche adop­tée par l’OCDE pour déter­min­er une vari­able empirique indica­tive du “chô­mage struc­turel” s’ap­puie sur le con­cept de “taux de chô­mage non accéléra­teur des salaires”, c’est-à-dire le taux com­pat­i­ble avec un taux d’aug­men­ta­tion con­stante des salaires. Les esti­ma­tions de cette vari­able reposent à la fois sur des méth­odes quan­ti­ta­tives et sur des éval­u­a­tion d’experts.
4. En plus, les change­ments estimés du chô­mage struc­turel sont forte­ment cor­rélés avec un cer­tain nom­bre d’autres vari­ables observées du marché du travail.
5. Ces pays sont ceux qui peu­vent se pré­val­oir d’une baisse sig­ni­fica­tive du chô­mage struc­turel sur la péri­ode 1990–1997.
6. Les don­nées empiriques sug­gèrent qu’une approche inté­grée de l’aide au place­ment des per­son­nes en quête de tra­vail, de l’ad­min­is­tra­tion des presta­tions de chô­mage et de l’ad­mis­sion sélec­tive à des pro­grammes act­ifs — pro­grammes qui se déroulent dans un cadre proche des con­di­tions réelles, ciblés sur des indi­vidus dont les prob­lèmes de chô­mage sont ana­logues, et adap­tés aux besoins locaux — con­stitue la poli­tique la plus efficace.
7. Entre les instru­ments pos­si­bles pour éviter cela, on peut nom­mer un meilleur ciblage de l’aide sur les familles à bas revenus par le biais de crédits d’im­pôt et de presta­tions sub­or­don­nées à l’ex­er­ci­ce d’un emploi ; une com­bi­nai­son de salaire min­i­mum judi­cieuse­ment choisi et de sub­ven­tions aux employeurs qui recru­tent des tra­vailleurs peu qual­i­fiés ; et des mesures visant à apporter une aide pour les frais, par exem­ple de garde d’en­fants et de trans­port, qui sont encou­rus lorsqu’on accepte un emploi.
8. Des évo­lu­tions dans la dis­tri­b­u­tion du revenu disponible pour treize pays de l’OCDE sont présen­tées dans Bur­ni­aux et al. (1998) ; ces mêmes résul­tats sont syn­thétisés dans OCDE 1997c. Ces don­nées sug­gèrent des dif­férences sig­ni­fica­tives entre pays en matière d’évo­lu­tions des iné­gal­ités dans la dis­tri­b­u­tion du revenu disponible entre le milieu des années 80 et celui des années 90..

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