La sécurité des automobiles

Dossier : L'automobileMagazine N°557 Septembre 2000Par : Bernard GAUVIN (62), responsable de la réglementation technique automobile au ministère des Transports

Un peu d’histoire

Un peu d’histoire

Dès l’ap­pari­tion des pre­mières auto­mo­biles, la sécu­rité a été une préoc­cu­pa­tion majeure des ingénieurs et des pou­voirs publics, mais l’ap­proche de la sécu­rité a démar­ré de façon théorique et frag­men­taire, axée sur la notion de maîtrise du véhicule par le con­duc­teur qui déri­vait directe­ment de la con­duite des chevaux. Pen­dant longtemps, l’ac­ci­dent a été con­sid­éré comme un événe­ment for­tu­it, dont la cause était néces­saire­ment une erreur ou une faute d’un con­duc­teur, et qui se prê­tait à une recherche de respon­s­abil­ité civile et pénale plus qu’à une analyse technique.

Le code de la route actuel a main­tenu (arti­cle R. 11–1) le principe posé il y a une cen­taine d’an­nées qui fait oblig­a­tion au con­duc­teur de rester en per­ma­nence maître de sa vitesse et qui place une infrac­tion à l’o­rig­ine de tout accident.

Cette approche est dev­enue périmée avec la démoc­ra­ti­sa­tion de l’au­to­mo­bile et la crois­sance expo­nen­tielle de la cir­cu­la­tion routière qui en a résulté.

Au début des années 60, il y a eu une prise de con­science du car­ac­tère inéluctable des acci­dents de la route et de la néces­sité de faire en sorte que les con­séquences d’un acci­dent soient aus­si peu dom­mage­ables que pos­si­ble pour les occu­pants. C’est ain­si que, dès 1964, la France a ren­du oblig­a­toires les ancrages de cein­tures de sécu­rité sur les voitures ; l’équipement oblig­a­toire des places avant en cein­tures de sécu­rité inter­ve­nait en 1970, et la pre­mière mesure de port oblig­a­toire de la cein­ture en 1973.

Les pro­grès spec­tac­u­laires dans le domaine de la sécu­rité pas­sive devaient venir, d’une part, du développe­ment sys­té­ma­tique d’en­quêtes appro­fondies d’ac­ci­dents de la route des­tinées notam­ment à analyser les orig­ines des lésions et les moyens d’en réduire la grav­ité, et d’autre part du développe­ment des recherch­es tech­niques lancées à par­tir de 1969 dans le cadre du pro­gramme améri­cain ESV (Exper­i­men­tal Safe­ty Vehi­cles) qui prévoy­ait un ensem­ble de coopéra­tions bilatérales entre les États-Unis et cha­cun des autres grands pays indus­triels du monde pour met­tre au point un véhicule expéri­men­tal de sécurité.

L’ob­jec­tif ini­tial ambitieux (réal­i­sa­tion d’un véhicule dont les occu­pants sur­vivent à tout acci­dent sur­venant à une vitesse inférieure à 80 km/h) devait être aban­don­né au bout de quelques années au prof­it d’é­tudes d’en­ver­gure plus mod­este mais con­duisant à des pro­to­types de sous-sys­tèmes inté­grables dans les véhicules com­mer­cial­isés. Les con­struc­teurs et le gou­verne­ment français ont par­ticipé active­ment à ces pro­grammes et ont joué un rôle majeur dans l’analyse sci­en­tifique des acci­dents, la mise au point des méth­odes d’é­val­u­a­tion des per­for­mances des véhicules et l’amélio­ra­tion des dis­posi­tifs de pro­tec­tion des occupants.

Enfin, au début des années 90, un fort mou­ve­ment con­sumériste en faveur de la sécu­rité a vu le jour et a pris par­tielle­ment le relais des pou­voirs publics. La sécu­rité auto­mo­bile est aujour­d’hui un cen­tre d’in­térêt majeur pour la presse spé­cial­isée et les asso­ci­a­tions de con­som­ma­teurs et d’usagers ; elle est dev­enue un argu­ment de vente y com­pris sur les voitures de bas de gamme.

D’abord éviter les chocs

Cette approche ini­tiale de la sécu­rité demeure évidem­ment val­able. Tout doit être mis en œuvre sur les véhicules pour éviter les chocs, et en particulier :

  • le recueil de la plus grande quan­tité de don­nées liées à la con­duite : vis­i­bil­ité, sig­nal­i­sa­tion, adhérence, etc. Le recueil de don­nées par vision directe a été com­plété par de nom­breux cap­teurs spé­cial­isés, et des pro­grès impor­tants sont atten­dus lorsque la voiture pour­ra com­mu­ni­quer en temps réel avec l’in­fra­struc­ture et son environnement ;
  • le développe­ment des asservisse­ments et des automa­tismes qui per­me­t­tent de faire mieux que le con­duc­teur et de libér­er son atten­tion. L’évo­lu­tion des boîtes de vitesses automa­tiques est un bon exem­ple des pro­grès effec­tués, de l’au­toma­tisme pure­ment mécanique aux régu­la­teurs adap­tat­ifs avec radar anti­col­li­sion incor­poré. La tenue de route a été améliorée de façon spec­tac­u­laire par les dif­férents dis­posi­tifs per­me­t­tant d’u­tilis­er la total­ité de l’ad­hérence disponible sur chaque roue au moment du freinage (antiblocage), de l’ac­céléra­tion (antipati­nage) et des accéléra­tions trans­ver­sales (anti­ren­verse­ment).


Tout ce qui dimin­ue la fatigue et accroît le con­fort con­tribue aus­si à amélior­er la sécu­rité pri­maire : aides à la con­duite (assis­tance du freinage et de la direc­tion, régu­la­teurs et lim­i­teurs de vitesse mod­u­la­bles, qui sont large­ment répan­dus aux États-Unis mais pas en Europe, détecteurs de baisse de vig­i­lance, etc.) et per­fec­tion­nement du con­fort vibra­toire, acous­tique et thermique.

L’évo­lu­tion et la mul­ti­pli­ca­tion des dis­posi­tifs tech­niques conçus pour la sécu­rité pri­maire posent néan­moins quelques prob­lèmes : les con­duc­teurs doivent être infor­més des car­ac­téris­tiques et des modes d’emploi de ces équipements dont la présence mod­i­fie par­fois pro­fondé­ment les con­di­tions de con­duite, et surtout la sen­sa­tion de con­fort et de sécu­rité ne doit pas con­duire à réduire leur vig­i­lance ou aug­menter leur vitesse, ce qui accroît les risques d’ac­ci­dents et réduit l’ef­fi­cac­ité des moyens de protection.

Survivre à un choc

Après plus de trente années d’analy­ses d’ac­ci­dents, de recherch­es tech­niques et bio­mé­caniques et de con­tro­ver­s­es transat­lan­tiques, un con­sen­sus s’est établi sur les principes de base de la pro­tec­tion des occu­pants d’une voiture en cas de choc.

D’abord, l’habita­cle doit con­stituer un espace de survie conçu pour résis­ter à l’écrase­ment et aux intru­sions. Dans cet habita­cle, tous les occu­pants doivent être cein­turés ou retenus par des dis­posi­tifs adap­tés à la taille et au squelette des enfants.

Au cours du choc, il s’ag­it de main­tenir les décéléra­tions subies par les occu­pants dans les lim­ites fixées par la bio­mé­canique pour éviter une lésion des organes vitaux. Cette lim­i­ta­tion s’obtient :

  • par une défor­ma­tion pro­gram­mée des struc­tures de la voiture extérieures à l’habita­cle qui lim­ite la décéléra­tion de la voiture ;
  • par des cein­tures mod­ernes, équipées de préten­sion­neurs qui plaque­nt l’oc­cu­pant sur son siège lors d’un choc et sus­cep­ti­bles de con­tribuer à la lim­i­ta­tion de la décéléra­tion par une défor­ma­tion programmée ;
  • par des struc­tures gon­flables des­tinées en out­re à éviter les chocs des occu­pants con­tre les parois.


Les voitures mod­ernes sont conçues pour pro­téger leurs occu­pants cein­turés dans un choc frontal à 64 km/h con­tre un mur (ou une voiture de même masse roulant à la même vitesse) et dans un choc latéral où la vitesse de la voiture heur­tante est de 50 km/h. Ces vitesses de choc sont cohérentes avec les vitesses de cir­cu­la­tion autorisées en ville et sur route.

La pro­tec­tion des pié­tons lors d’un choc avec une voiture a don­né lieu à de longues recherch­es qui ont débouché sur une propo­si­tion de régle­men­ta­tion qui fait aujour­d’hui l’ob­jet de con­tro­ver­s­es entre la Com­mis­sion européenne et les con­struc­teurs ; mais, d’une manière ou d’une autre, les voitures nou­velles seront, dans les cinq ans qui vien­nent, conçues pour pro­téger un pié­ton en cas de choc.

Enfin, des travaux sont en cours pour garan­tir un cer­tain niveau de com­pat­i­bil­ité entre les véhicules de mass­es très dif­férentes présents sur la route. Lorsqu’un véhicule léger et un véhicule net­te­ment plus lourd se heur­tent, les struc­tures du véhicule léger ne peu­vent pas, à elles seules, assur­er une pro­tec­tion sat­is­faisante de ses occu­pants, et il est légitime d’ex­iger des poids lourds et des voitures de haut de gamme de con­tribuer à la pro­tec­tion des occu­pants des voitures les plus légères, d’au­tant que les pro­to­coles inter­na­tionaux de réduc­tion des émis­sions de CO2 vont con­duire à une réduc­tion sen­si­ble du poids moyen des voitures dans les douze années qui viennent.

Il est clair que la pro­tec­tion des pié­tons et la com­pat­i­bil­ité ne seront obtenues que dans un cadre régle­men­taire puisqu’elles con­duisent à des con­traintes tech­niques et finan­cières qui n’ont pas d’in­térêt autre qu’éthique pour les acheteurs des véhicules concernés.

Servitudes et grandeur réglementaires

La régle­men­ta­tion tech­nique est indis­pens­able dans tous les secteurs où la moti­va­tion com­mer­ciale est faible ou nulle, et c’est la garantie, pour tous les enjeux de sécu­rité, de la pour­suite d’ob­jec­tifs à long terme alors que les ori­en­ta­tions com­mer­ciales peu­vent être versatiles.

L’au­to­mo­bile est un pro­duit dont le com­merce et l’usage ne peu­vent s’en­vis­ager aujour­d’hui qu’à l’échelle de la planète, et les modal­ités d’élab­o­ra­tion de la régle­men­ta­tion ont été adap­tées aux exi­gences du marché intérieur com­mu­nau­taire et du com­merce mondial.

La Com­mu­nauté européenne a posé, dès 1970, les principes et les bases d’une récep­tion européenne, en dres­sant une liste exhaus­tive des régle­men­ta­tions aux­quelles les véhicules devaient sat­is­faire, en met­tant en œuvre les procé­dures per­me­t­tant d’aboutir à des régle­men­ta­tions uni­formes pour l’ensem­ble de la Communauté.
Des dis­po­si­tions ont été pris­es pour adapter sou­ple­ment ces régle­men­ta­tions au pro­grès tech­nique, et en prévoy­ant d’or­gan­is­er la recon­nais­sance réciproque des con­trôles entre les dif­férents États membres.

La récep­tion européenne a été final­isée, pour les voitures par­ti­c­ulières, le 1er jan­vi­er 1998 : depuis cette date, toutes les voitures neuves ven­dues dans la Com­mu­nauté sont livrées avec un cer­ti­fi­cat de con­for­mité européen qui per­met leur imma­tric­u­la­tion, sans aucun con­trôle tech­nique, dans n’im­porte quel État membre.

Les travaux d’har­mon­i­sa­tion inter­na­tionale des régle­men­ta­tions tech­niques ont démar­ré, dès 1949 au sein de la Com­mis­sion économique pour l’Eu­rope des Nations Unies. L’ac­cord de Genève du 20 mars 1958, dont la France a été une par­tie con­trac­tante fon­da­trice, a don­né un cadre insti­tu­tion­nel à ces travaux conçu par et pour les Européens et accep­té par le Japon, l’Aus­tralie, mais inac­cept­able par les États-Unis et quelques autres pays.

C’est pourquoi un sec­ond accord, accep­té par l’Eu­rope, le Japon et les États-Unis et poten­tielle­ment accept­able par tous, a été établi le 25 juin 1998 par­al­lèle­ment à l’ac­cord de 1958 dont les acquis restent val­ables et qui con­tin­ue à vivre. Ces deux accords sont gérés en par­al­lèle par un groupe de tra­vail per­ma­nent des Nations Unies appelé Forum mon­di­al de l’har­mon­i­sa­tion des régle­men­ta­tions auto­mo­biles et qui rassem­ble, out­re les représen­tants gou­verne­men­taux des pays adhérents aux accords qui ont seuls droit de vote, les représen­tants des autres pays intéressés par les travaux ain­si que toutes les organ­i­sa­tions non gou­verne­men­tales con­cernées : con­struc­teurs et équipemen­tiers, con­som­ma­teurs, asso­ci­a­tions écologiques, clubs auto­mo­biles, etc.

Le développe­ment de la régle­men­ta­tion tech­nique au sein de ce Forum mon­di­al présente de nom­breux avan­tages, indépen­dam­ment de la sup­pres­sion des entrav­es tech­niques aux échanges qui était la moti­va­tion pre­mière de l’har­mon­i­sa­tion. Le Forum mon­di­al per­met la mise en com­mun des résul­tats des recherch­es notam­ment en acci­den­tolo­gie et en bio­mé­canique qui néces­si­tent de gros moyens financiers, ain­si que de fructueux échanges d’ex­péri­ences ; il exige aus­si que les régle­men­ta­tions mon­di­ales soient basées sur des con­sid­éra­tions tech­nique­ment, indus­trielle­ment et économique­ment objec­tives et élaborées selon des procé­dures transparentes.

Ces procé­dures don­nent donc une garantie de qual­ité aux régle­men­ta­tions inter­na­tionales, mais aus­si aux infor­ma­tions pub­liées par les con­struc­teurs, les organes de presse ou les asso­ci­a­tions d’usagers lorsque les per­for­mances de sécu­rité qu’elles affichent ont été établies selon les méth­odes d’es­sai et les critères qui résul­tent des travaux réglementaires.

Mal­heureuse­ment, mal­gré toutes les amélio­ra­tions apportées à la sécu­rité des véhicules, le com­porte­ment des con­duc­teurs n’a pas suivi l’évo­lu­tion favor­able du com­porte­ment des acheteurs, et l’in­sécu­rité routière demeure un fléau national.

Le bilan alarmant de la Sécurité routière

Quelque 125 000 acci­dents cor­porels, 8 000 tués, 170 000 blessés dont 32 000 graves : telles sont les don­nées acca­blantes de l’in­sécu­rité routière dans notre pays pour 1999. La com­para­i­son avec nos voisins européens, qui ont un parc auto­mo­bile et un réseau routi­er homogènes avec les nôtres, ne nous est pas favor­able : le taux de tués rap­porté au parc auto­mo­bile est en France une fois et demie celui de l’Alle­magne, deux fois et demie celui du Roy­aume-Uni et trois fois celui de la Suède. La com­para­i­son de ces taux mérite une analyse nuancée, mais elle met en évi­dence le rôle prépondérant du fac­teur humain et la grav­ité de la sit­u­a­tion jus­ti­fie que la Sécu­rité routière ait été déclarée grande cause nationale pour l’an­née 2000.

L’amélio­ra­tion des com­porte­ments au volant ne peut se faire durable­ment sans une mobil­i­sa­tion de tous nos conci­toyens, et un con­sen­sus pour lut­ter con­tre les divers­es formes de délin­quance routière, mais aus­si pour pro­mou­voir le civisme routi­er : si cha­cun fait un peu, c’est la vie qui gagne.

Une action forte sur les com­porte­ments ne dis­pensera pas de pour­suiv­re l’amélio­ra­tion des routes et des véhicules. On ne pour­ra jamais empêch­er les erreurs et les fautes de con­duite, et donc les acci­dents de la route ; mais on peut raisonnable­ment envis­ager que routes et véhicules soient conçus pour que, dans la gamme des vitesses autorisées en ville et sur route, les acci­dents ne tuent plus, ou beau­coup moins. Pour cela, les ingénieurs de l’au­to­mo­bile doivent met­tre tout leur savoir-faire au ser­vice de la sécu­rité pour que la voiture, pro­duit type de la civil­i­sa­tion mod­erne et mer­veilleux instru­ment de lib­erté indi­vidu­elle et de pro­grès économique et social, cesse d’être un moyen de trans­port aus­si dangereux.

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