La RSE : utile ou futile ?

Dossier : RSEMagazine N°751 Janvier 2020
Par Philippe MAILLARD (88)

Pas­ser du sta­tut d’« ani­mal aty­pique » au sein de l’entreprise à celui d’un réel accé­lé­ra­teur dans la prise en compte d’enjeux utiles à ses clients et à la socié­té, c’est le che­min par­cou­ru en quinze ans par la RSE chez Suez.

Chez Suez, c’est d’abord le terme « déve­lop­pe­ment durable » qui est appa­ru il y a quinze ans, en 2005, avec la créa­tion de la direc­tion du même nom. Au départ, nombre de diri­geants ont per­çu cette enti­té et la charte asso­ciée comme un « ani­mal aty­pique », qui récon­ci­liait des dimen­sions qui ne se par­laient pas sou­vent (envi­ron­ne­men­tale, éco­no­mique et sociale) et qui avait peu ou pas d’objectifs com­muns et par­ta­gés, puisque l’environnement était à la main des opé­ra­tion­nels, l’économique à celle des finan­ciers et le social à celle des RH.

Quand je regarde la per­cep­tion que nous en avons aujourd’hui, je suis agréa­ble­ment sur­pris du che­min par­cou­ru : la dyna­mique trans­ver­sale du déve­lop­pe­ment durable nous a fait gran­dir col­lec­ti­ve­ment en tant qu’entreprise.


REPÈRES

Suez est lea­der mon­dial de la ges­tion intel­li­gente et durable des res­sources, avec deux métiers prin­ci­paux : ges­tion de l’eau et recy­clage et valo­ri­sa­tion des déchets, 17,3 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires (2018), 90 000 col­la­bo­ra­teurs pré­sents sur les cinq conti­nents, dont 30 000 en France, et 120 M€ inves­tis en R & D.


Puis vint la RSE

Aujourd’hui, nous par­lons plu­tôt de RSE. Je pré­fère ce terme car il porte une notion dyna­mique : on parle de la feuille de route de l’entreprise, de l’ensemble des actions menées volon­tai­re­ment dans un objec­tif de déve­lop­pe­ment durable, pérenne et rési­lient de ses acti­vi­tés et de ses collaborateurs.

La RSE est bien une « res­pon­sa­bi­li­té » : un mot lourd de sens, puisqu’il engage ; il engage à agir à tous les niveaux de l’entreprise, il engage à agir avec l’ensemble des par­ties pre­nantes internes et externes, sur les trois piliers clas­si­que­ment connus : éco­no­mique, envi­ron­ne­men­tal et sociétal.

Une RSE consubstantielle à nos activités

Les métiers de Suez sont très liés au déve­lop­pe­ment durable, dans sa dimen­sion envi­ron­ne­men­tale. En effet, quand votre cœur de métier consiste à amé­lio­rer la qua­li­té de l’eau, à col­lec­ter des déchets, à les recy­cler et les trans­for­mer en nou­velles res­sources…, par essence, vous faites du déve­lop­pe­ment durable ou de la RSE.

Comme de nom­breux groupes, nous avons depuis bien­tôt quinze ans une feuille de route du déve­lop­pe­ment durable, avec des ambi­tions redé­fi­nies par période de quatre ans.

“S’intéresser aux externalités négatives
constitue un vrai changement.”

Au-delà de la protection de l’environnement

Notre feuille de route ne concerne pas uni­que­ment l’environnement. Elle a pro­gres­si­ve­ment inté­gré les enjeux sociaux et socié­taux : pro­mo­tion de la diver­si­té cultu­relle, contri­bu­tion au bien com­mun, place des femmes dans la socié­té, ouver­ture à de nou­veaux busi­ness modèles, inté­gra­tion des par­ties pre­nantes dans notre sys­tème de déci­sions… Des enjeux qui impactent ou impac­te­ront notre acti­vi­té et notre per­for­mance, car nos clients ou les nou­velles régle­men­ta­tions nous demandent d’agir ou de réagir…

Notre der­nière ouver­ture a été de tra­vailler sur les exter­na­li­tés posi­tives et néga­tives. S’intéresser aux exter­na­li­tés posi­tives (c’est-à-dire les béné­fices appor­tés par votre acti­vi­té) est une démarche clas­sique. Mais s’intéresser aux exter­na­li­tés néga­tives (c’est-à-dire aux dom­mages cau­sés par votre acti­vi­té, comme la pol­lu­tion ou le rejet de déchets, en les inté­grant direc­te­ment aux modèles éco­no­miques) consti­tue un vrai changement.

Interrogations et résistances

Cette démarche n’a pas été un long fleuve tran­quille. Comme pour tout sujet de trans­for­ma­tion stra­té­gique, il sus­cite inter­ro­ga­tions et résis­tances. Natu­rel­le­ment, cer­tains expriment des doutes sur l’opportunité et la per­ti­nence de telle ou telle action : les finan­ciers attendent un ROI et de la per­for­mance éco­no­mique, les équipes des res­sources humaines attendent un saut en avant en matière sociale et diver­si­té, les com­mer­ciaux attendent un levier de fidé­li­sa­tion des clients… Au final, est-ce un vrai cata­ly­seur créa­teur de per­for­mance pour l’entreprise ou ne cherche-t-on pas, en pro­mou­vant des actions de RSE à tous les niveaux, la qua­dra­ture du cercle ?

Quels résultats ?

Ma convic­tion n’a pas été la même au fil des années. Aujourd’hui, je dirais que la RSE nous per­met de des­si­ner un ensemble cohé­rent, où chaque pièce du puzzle contri­bue à créer de la valeur, et d’accélérer cer­taines trans­for­ma­tions. Par exemple, nous avons struc­tu­ré pour la pre­mière fois notre « matrice des maté­ria­li­tés » en 2015 et nous sommes fiers d’avoir été pré­cur­seurs en la matière. Concrè­te­ment, nous avons impli­qué près de 5 000 per­sonnes (clients, par­ties pre­nantes…) dans plus de 45 pays, pour les faire réagir sur une liste de 51 enjeux. Chaque enjeu a été posi­tion­né sur une grille : « impor­tance pour les par­ties pre­nantes » et « impact pour Suez ».

À l’issue de cet exer­cice, neuf enjeux prio­ri­taires ont été rete­nus et ont per­mis de nour­rir la stra­té­gie du Groupe à moyen terme : éthique, ren­for­ce­ment des capa­ci­tés et trans­fert de connais­sances, accès des femmes à des postes à res­pon­sa­bi­li­té, réduc­tion des nui­sances pour les rive­rains, réduc­tion de la consom­ma­tion d’énergie, pol­lu­tion de l’air, etc. Depuis, ces enjeux guident nos plans d’action et nous per­mettent de déve­lop­per de nou­velles solu­tions tech­no­lo­giques et de nou­veaux dis­po­si­tifs de gou­ver­nance. Autre exemple, pour accé­lé­rer l’accès des femmes à des postes à res­pon­sa­bi­li­té, Suez a déci­dé d’imposer au moins 50 % de femmes sur tous les recru­te­ments de managers.


La RSE en chiffres

Chez Suez, la RSE c’est aussi :

27,6 % de femmes dans l’encadrement.

4,4 mil­lions de tonnes de matières pre­mières secon­daires et 7,6 TWh d’énergie locale et renou­ve­lable pro­duits grâce à la valo­ri­sa­tion des déchets.

7,6 mil­liards de mètres cubes d’eau potable pro­duite ; 2,6 mil­liards de mètres cubes d’eaux alter­na­tives produits.

55 % de contrats four­nis­seurs inté­grant des clauses RSE.


Il faut « embarquer » l’écosystème

La créa­tion de valeur pro­vient de l’embarquement de l’ensemble de votre éco­sys­tème : clients, citoyens, asso­cia­tions, médias… mais aus­si vos par­te­naires. Vous ne pou­vez pas être acteur enga­gé de la RSE sans avoir des four­nis­seurs, des sous-trai­tants éga­le­ment engagés.

Nous déve­lop­pons donc une culture et des actions RSE en interne, mais nous tra­vaillons aus­si à leur tra­duc­tion chez nos par­te­naires et nos four­nis­seurs. Ce n’est pas simple. Néan­moins, nous ciblons deux béné­fices : un enjeu d’image pour le groupe Suez et une dyna­mique glo­bale posi­tive puisque nous tirons l’ensemble de l’écosystème vers le haut. Nous jouons ici un rôle de cata­ly­seur, en inci­tant d’autres acteurs à s’engager dans de telles démarches. Et, la preuve par l’exemple étant tou­jours forte, nous démon­trons concrè­te­ment que la RSE crée de la valeur au-delà de notre propre périmètre.

Suez a été dis­tin­gué fin 2019 par l’ONU comme lea­der sur la prise en compte des Objec­tifs de déve­lop­pe­ment durable dans sa stra­té­gie. Une fier­té, qui nous incite à pour­suivre nos efforts, à res­ter pion­nier de nou­velles démarches plus col­lec­tives, plus col­la­bo­ra­tives et utiles aux ter­ri­toires et aux popu­la­tions…, sans jamais oublier que notre force de groupe inter­na­tio­nal doit se concré­ti­ser dans des pro­jets et des actions locales.

Une valeur à court, moyen ou long terme ?

Un plan d’action RSE doit inté­grer ces trois dimen­sions tem­po­relles de façon équi­li­brée. Cet équi­libre vous fera pro­gres­ser ; il vous per­met­tra de démon­trer votre enga­ge­ment par des actions visibles de court terme et de déga­ger de la per­for­mance dans la durée grâce à des actions plus pro­fondes. Pre­nons l’exemple de l’insertion. Chez Suez, l’insertion a d’abord été posi­tion­née comme un sujet RH et mana­gé­rial afin de gérer la sai­son­na­li­té des besoins en main‑d’œuvre. Puis ce sont nos clients qui nous ont deman­dé de contri­buer à leurs stra­té­gies ter­ri­to­riales en accueillant au sein de nos acti­vi­tés des citoyens en inser­tion ou réin­ser­tion dans la vie active.

C’est alors que Suez a tota­le­ment inté­gré l’insertion dans sa stra­té­gie par­te­na­riale et d’investissement. Depuis 2014, nous avons créé trois « Mai­sons pour rebon­dir », pour faire conver­ger emploi et éco­no­mie cir­cu­laire au cœur des ter­ri­toires, en tra­vaillant main dans la main avec le monde de l’insertion et les entre­pre­neurs sociaux. Nous dis­po­sons éga­le­ment, depuis 2002, d’une struc­ture dédiée Suez Rebond, qui pour sa part a per­mis à près de 5 000 per­sonnes de retrou­ver un emploi stable. Ces enti­tés sont tota­le­ment inté­grées à notre stra­té­gie, à nos acti­vi­tés et à nos réponses aux appels d’offres.


Des partenariats vertueux

Nous pou­vons citer le par­te­na­riat mis en place entre Suez et Lyon­dell­Ba­sell qui a per­mis la créa­tion d’une joint-ven­ture dédiée à la pro­duc­tion de poly­mères recy­clés : Suez four­nit à l’usine les déchets plas­tiques post­con­som­ma­tion et Lyon­dell­Ba­sell com­mer­cia­lise les matières pre­mières pro­duites dans une des usines euro­péennes de Suez.

Nous pou­vons éga­le­ment citer le par­te­na­riat entre Suez et La Poste pour la créa­tion d’une offre de col­lecte de recy­clage des déchets de bureaux, en ins­cri­vant la dimen­sion sociale et l’insertion comme clef de voûte de l’activité.


Et pour aller plus loin…

Quinze ans de mise en place, c’est à la fois court et long. Court, car trans­for­mer l’approche et le quo­ti­dien de
90 000 col­la­bo­ra­teurs demande du temps… et long car, avec du recul, on aurait pro­ba­ble­ment pu faire plus rapide. Je reste convain­cu que les nou­velles géné­ra­tions qui entrent sur le mar­ché du tra­vail seront plus sen­si­bi­li­sées que nous avons pu l’être à ces enjeux. Cela se fera d’autant plus natu­rel­le­ment si les écoles intègrent les notions de RSE dans leurs cur­sus péda­go­giques et se donnent les moyens de les rendre concrètes en invi­tant, par exemple, des entre­prises à témoi­gner. Je me prête à cet exer­cice depuis plu­sieurs années sur dif­fé­rents thèmes, et je serai ravi de poursuivre.

Faire de la RSE au quo­ti­dien, comme Mon­sieur Jour­dain fai­sait de la prose sans le savoir : c’est tout ce que je peux sou­hai­ter à nos entre­prises, à leurs col­la­bo­ra­teurs et à leurs clients !

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