La révolution de la fabrication additive métallique

Dossier : La fabrication additiveMagazine N°756 Juin 2020
Par Vincent PINOT (97)
Par Franck MOREAU

L’impression 3D de pièces en métal pour­suit sa pro­gres­sion au sein de l’industrie mon­di­ale. Les entre­pris­es util­isant pleine­ment le poten­tiel d’innovation asso­cié à cette tech­nolo­gie éla­borent les pre­miers busi­ness cas­es attrac­t­ifs, par­ti­c­ulière­ment aux États-Unis ou en Alle­magne. La France dis­pose égale­ment d’une com­pé­tence recon­nue en la matière et doit main­tenant réus­sir son développe­ment industriel.

Quel que soit le secteur indus­triel, il existe des appli­ca­tions poten­tielles pour la fab­ri­ca­tion addi­tive métallique. Le principe de cette tech­nolo­gie, par oppo­si­tion à la fab­ri­ca­tion sous­trac­tive, est de dépos­er du métal par couch­es suc­ces­sives en le fusion­nant unique­ment là où c’est néces­saire. La majorité des tech­nolo­gies métalliques utilisent de la poudre métallique seule, qui est fon­due par une source d’énergie, mais cer­tains procédés utilisent des mélanges de poudre et de liant, ce dernier étant élim­iné au cours de la fab­ri­ca­tion. La tech­nolo­gie la plus répan­due est appelée fusion laser sur lit de poudre (LBM, pour Laser Beam Melt­ing). C’est aus­si la tech­nolo­gie la plus anci­enne (une ving­taine d’années) et donc la plus mature. Elle con­siste à dépos­er sur un plateau des couch­es de poudre métallique, dont une par­tie sera fusion­née par un fais­ceau laser.

Une autre tech­nolo­gie répan­due est le dépôt sous énergie dirigée (DED, Direct Ener­gy Depo­si­tion), qui con­siste à pro­jeter de la poudre dans un fais­ceau laser puis à dépos­er le métal en fusion pour fab­ri­quer la pièce. Ce procédé per­met de con­stru­ire des pièces de grandes dimen­sions et de répar­er des pièces exis­tantes. Même si LBM et DED représen­tent 85 % des appli­ca­tions, il existe aujourd’hui de nom­breuses tech­nolo­gies de fab­ri­ca­tion addi­tive métallique, et les indus­triels devront trou­ver le meilleur com­pro­mis pour leur appli­ca­tion en con­sid­érant : la taille des pièces pro­duites (de quelques microns à plusieurs mètres), la pro­duc­tiv­ité et les coûts (de quelques cm3/h à plusieurs dm3/h ou de quelques dizaines d’€/kg à plusieurs cen­taines d’€/kg), le niveau de fini­tion (niveau de détails de quelques microns à quelques mil­limètres), la finesse de l’état de sur­face et la qual­ité métal­lurgique et les pro­priétés mécaniques de la pièce finie.


REPÈRES

Venue du monde du polymère, la vague de l’impression 3D gagne désor­mais l’industrie. En par­ti­c­uli­er grâce aux tech­nolo­gies de fab­ri­ca­tion addi­tive métallique, comme en témoignent les nom­breuses créa­tions de start-up, l’émergence des pre­mières licornes, la mul­ti­pli­ca­tion des lev­ées de fonds et l’accroissement des investisse­ments en R & D. Les pro­jec­tions de marché (ventes de machines, matéri­aux, impres­sion et ser­vices asso­ciés) sont de l’ordre de 17 mil­liards d’euros pour 2020 et 35 mil­liards en 2024, avec une crois­sance annuelle de l’ordre de 20 % par an. Ain­si, en 2019 plus de 2 000 sys­tèmes d’impression 3D métallique ont été vendus.


Des domaines applicatifs toujours plus larges

Le suc­cès de l’impression 3D, ou fab­ri­ca­tion addi­tive, provient de la var­iété des appli­ca­tions poten­tielles, avec des béné­fices var­iés pour la plu­part des secteurs indus­triels. La fab­ri­ca­tion addi­tive métallique est un déclencheur d’innovation et de per­for­mance. Elle offre une liber­té inédite de con­cep­tion et per­met de réalis­er des pièces com­plex­es, impos­si­bles à réalis­er avec les tech­niques con­ven­tion­nelles. Les prin­ci­paux béné­fices de cette tech­nolo­gie sont présen­tés ci-après.

Pre­mière­ment, la fab­ri­ca­tion addi­tive per­met de réalis­er des pièces sans recourir à des out­il­lages, et ain­si de pro­duire rapi­de­ment des pièces uniques ou des petites séries. C’est la rai­son pour laque­lle elle s’est d’abord dif­fusée dans le monde du pro­to­ty­page. D’autres secteurs s’y sont rapi­de­ment intéressés, comme le sport auto­mo­bile : en pro­duisant de nom­breuses vari­antes de pièces durant les phas­es d’essais entre les cours­es, la tech­nolo­gie per­met d’adapter et d’améliorer les véhicules beau­coup plus rapi­de­ment. De même, le marché de la pièce de rechange auto­mo­bile, même s’il est encore embry­on­naire, présente des per­spec­tives intéressantes. 

Deux­ième­ment, la fab­ri­ca­tion addi­tive offre la pos­si­bil­ité de pro­duire de grandes séries de pièces toutes dif­férentes. On par­le de per­son­nal­i­sa­tion de masse, une capac­ité déjà exploitée par les indus­triels du den­taire et du médi­cal. En scan­nant le patient et en imp­ri­mant une pro­thèse aux dimen­sions exactes de l’os à rem­plac­er, ils réduisent les temps d’intervention et les temps de réé­d­u­ca­tion, ain­si que les coûts associés. 

Troisième­ment, le principe de fab­ri­ca­tion par couch­es suc­ces­sives per­met de réalis­er des pièces moins mas­sives que les procédés con­ven­tion­nels, tels l’usinage ou l’injection. Les indus­triels de l’aéronautique et du spa­tial utilisent cette tech­nolo­gie pour pro­duire des pièces tou­jours plus légères. Ils reconçoivent des équipements en se focal­isant unique­ment sur les par­ties fonc­tion­nelles et atteignent des gains de masse supérieurs à 50 %.

Le dernier béné­fice de la fab­ri­ca­tion addi­tive, qui est aus­si le plus impor­tant, est qu’elle donne l’occasion de repenser com­plète­ment cer­taines pièces ou sys­tèmes, avec la pos­si­bil­ité de réu­nir plusieurs fonc­tions dans une même pièce. Il n’est pas rare qu’un assem­blage de plusieurs dizaines de pièces puisse être regroupé en une seule. Out­re les gains de masse, cette diminu­tion du nom­bre de pièces génère des gains tout au long de la vie des pro­duits, de la fab­ri­ca­tion jusqu’à la main­te­nance. Surtout, la capac­ité à fab­ri­quer des pièces com­plex­es est l’occasion pour les indus­triels d’améliorer les per­for­mances de leurs équipements. Les pièces assur­ant de la cir­cu­la­tion de flu­ides ou des échanges ther­miques, tels les blocs hydrauliques ou les radi­a­teurs ou des out­il­lages (con­for­mal cool­ing), peu­vent voir leur effi­cac­ité net­te­ment améliorée grâce à cette technologie.

“La fabrication additive
donne une liberté quasi totale de conception.”


L’exemple de Michelin

Dès le début des années 2000, Miche­lin a pressen­ti tout le poten­tiel de la fab­ri­ca­tion addi­tive pour les moules de cuis­son de ses pneu­ma­tiques. Un moule, c’est un assem­blage com­plexe de pièces, qui peut com­porter jusqu’à plusieurs mil­liers de lamelles en aci­er (les lamelles étant les pièces qui créent les rain­ures dans les pneu­ma­tiques). Afin de pro­duire de nou­velles formes de lamelles, le groupe a dévelop­pé et indus­tri­al­isé son pro­pre sys­tème de fab­ri­ca­tion addi­tive à par­tir des solu­tions exis­tantes sur le marché. Depuis 2009, il a mis sous con­trôle tous les paramètres pour attein­dre la qual­ité et la répéta­bil­ité indis­pens­ables à la réal­i­sa­tion en série de pièces de lamelles. Il dis­pose aujourd’hui d’ateliers dédiés à l’impression métallique fonc­tion­nant 24 h / 24 en envi­ron­nement indus­triel, pro­duisant plus d’un mil­lion de pièces par an. Cette tech­nolo­gie a per­mis de con­cevoir des pneus aux sculp­tures inno­vantes, comme le Cross­Cli­mate+, pre­mier pneu qui a été cer­ti­fié pour rouler en con­di­tions hiver­nales et offrant une adhérence sur la neige sim­i­laire à un pneu hiv­er, et ce pen­dant toute sa durée de vie.


Des challenges identifiés

La fab­ri­ca­tion addi­tive métallique gagne chaque année en matu­rité, mais elle a encore de nom­breux défis à relever. Une des pre­mières dif­fi­cultés pour les indus­triels est d’arriver à iden­ti­fi­er des exem­ples con­crets de pièces éli­gi­bles, que ce soit pour la con­cep­tion de nou­veaux pro­duits ou la pro­duc­tion ponctuelle de pièces de rechange. Cette étape néces­site de con­naître les pos­si­bil­ités de la tech­nolo­gie, mais aus­si ses con­traintes. Les règles de con­cep­tion en fab­ri­ca­tion addi­tive sont encore peu con­nues dans la plu­part des bureaux d’études. Et, pour tous les indus­triels qui ont pris la mesure de l’énorme poten­tiel de la tech­nolo­gie, il leur reste à inven­ter les objets imprimés de demain. Car, si aujourd’hui la plu­part des appli­ca­tions por­tent sur des amélio­ra­tions de per­for­mance, rares sont les appli­ca­tions qui tirent pleine­ment par­ti de la fab­ri­ca­tion addi­tive, en créant des objets totale­ment nou­veaux qui per­me­t­tent à leurs inven­teurs de créer de véri­ta­bles rup­tures sur leurs marchés. Penser en addi­tif et imag­in­er de nou­veaux objets reste le prin­ci­pal défi pour la décen­nie à venir.

Le deux­ième chal­lenge con­cerne la pro­duc­tiv­ité des machines. Si la fab­ri­ca­tion addi­tive a déjà démon­tré sa per­ti­nence pour un cer­tain nom­bre d’applications, l’équation économique et les tailles de séries cibles doivent être améliorées pour con­quérir des marchés de masse, tels que l’automobile. Les derniers pro­grès lais­sent entrevoir des gains de pro­duc­tiv­ité d’un fac­teur dix pour la seule tech­nolo­gie « fusion sur lit de poudre », à très court terme. Quant aux start-up qui mul­ti­plient les annonces por­tant sur de nou­veaux procédés, elles doivent désor­mais démon­tr­er leur capac­ité à indus­tri­alis­er la tech­nolo­gie. Sur ce point, l’émergence d’acteurs à cul­ture indus­trielle est perçue comme un véri­ta­ble accélérateur.

Un autre défi est celui des matéri­aux. La fab­ri­ca­tion addi­tive est com­pat­i­ble avec la plu­part des alliages métalliques, et les fab­ri­cants de machines ont com­mencé à tra­vailler avec les alliages couram­ment util­isés dans l’industrie, tels que le titane, l’inconel, l’aluminium, l’acier marag­ing, l’inox, le cuiv­re, l’or, etc. Mais il reste une large place pour le développe­ment de nou­veaux matéri­aux, ouvrant la voie vers la pro­duc­tion d’objets aux car­ac­téris­tiques inédites. Partout dans le monde, des lab­o­ra­toires de recherche tra­vail­lent sur des sujets de mise en forme de nou­veaux matéri­aux et de développe­ment de nou­veaux types de poudres.

Enfin, il est néces­saire de pren­dre en compte la prob­lé­ma­tique HSE (hygiène, sécu­rité, envi­ron­nement). Les risques sont déjà con­nus. Ils sont mul­ti­ples : risques d’incendies liés à l’utilisation de poudres métalliques très fines (de l’ordre de quelques dizaines de microns) et risques pour la san­té, dus à la généra­tion de par­tic­ules nanométriques pen­dant la fab­ri­ca­tion, dont cer­taines con­ti­en­nent des métaux classés CMR (can­cérigènes, mutagènes, repro­tox­iques). Heureuse­ment, les normes encad­rant l’usage des tech­nolo­gies « lit de poudre » seront pub­liées dans les prochains mois. En out­re, cer­tains con­struc­teurs les ont anticipées pour la créa­tion de leurs machines et de leurs ate­liers. C’est le cas du français AddUp qui, en plus du tra­vail réal­isé sur l’étanchéité de ses machines, impose le port d’équipements de pro­tec­tion indi­vidu­elle (EPI) pour les opéra­teurs et pré­conise d’installer les machines dans des zones con­finées, à l’atmosphère con­trôlée, afin d’éviter toute prop­a­ga­tion de la poudre en dehors de la zone de pro­duc­tion. Ces règles suff­isent à garan­tir une sécu­rité totale des util­isa­teurs et des installations.

“Penser
en additif reste le défi principal.”

Une opportunité pour l’industrie 4.0 et la French Fab

Pour finir, la fab­ri­ca­tion addi­tive est un des piliers de l’industrie du futur. Nous avons vu qu’elle per­met de créer des objets tou­jours plus légers, plus per­for­mants, plus fiables, et qu’elle donne aux indus­triels qui l’adoptent la pos­si­bil­ité de pren­dre une sérieuse avance sur leurs con­cur­rents. Elle per­met aus­si à de nom­breux secteurs d’améliorer, voire de redessin­er leur chaîne d’approvi­sionnement. Les nom­breuses ini­tia­tives qui ont vu le jour récem­ment dans le domaine, en rai­son de la crise san­i­taire liée à la Covid-19, démon­trent la capac­ité de la tech­nolo­gie à assur­er la four­ni­ture rapi­de de com­posants cri­tiques au plus près de leurs lieux d’utilisation.

Les indus­triels français ont-ils pris le virage de la fab­ri­ca­tion addi­tive ? Si les con­struc­teurs alle­mands et améri­cains sont bien implan­tés sur le marché de la four­ni­ture de machines (citons Gen­er­al Elec­tric qui a racheté deux lead­ers du secteur en 2017 pour env­i­ron 1,7 mil­liard d’euros), la fil­ière française n’est pas en reste, avec un écosys­tème riche et dynamique. La plu­part de nos lab­o­ra­toires par­ticipent à des pro­grammes de recherche, dont cer­tains très ambitieux, comme le pro­jet SoFIA (Solu­tions pour la fab­ri­ca­tion indus­trielle addi­tive) doté de 50 mil­lions d’euros de bud­get. Des réseaux de recherche se for­ment dans les dif­férentes régions, telle la plate-forme AFH qui regroupe de nom­breux acteurs (AddUp, Air Liq­uide, EDF, LNE, Onera, Safran, Val­lourec, les Insti­tuts Carnot, Cetim, CEA, Arts et Métiers Paris­Tech, CNRS…) sous l’égide de la région Île-de-France.

Nos écoles s’équipent elles aus­si. C’est le cas de l’École poly­tech­nique, qui dis­pose de moyens de pro­duc­tion en DED. Dans le monde indus­triel, enfin, nos grands groupes se mobilisent et investis­sent dans la tech­nolo­gie. En 2016, Miche­lin et Fives ont uni leurs forces pour créer AddUp, fab­ri­cant de machines et d’ateliers de pro­duc­tion. En par­al­lèle, de nom­breuses start-up con­tin­u­ent de se créer, que ce soit dans le domaine du logi­ciel, de la presta­tion en con­cep­tion ou de la fab­ri­ca­tion de pièces. Et tous ces investisse­ments s’effectuent avec le sou­tien act­if des pou­voirs publics, à tra­vers l’action de Bpifrance. La fab­ri­ca­tion addi­tive est un levi­er majeur de l’industrie du futur et reste une très belle oppor­tu­nité à saisir par l’industrie française !


AddUp, joint-venture entre Fives et Michelin

En 2016, les deux groupes Fives et Miche­lin ont asso­cié leurs com­pé­tences, respec­tive­ment dans la fab­ri­ca­tion de machines indus­trielles et dans la maîtrise du procédé LBM pour la fab­ri­ca­tion de pièces en grandes séries. Ils ont créé la coen­tre­prise AddUp (www.addupsolutions.com) dans le but de pro­pos­er une offre com­plète à des­ti­na­tion des indus­triels, depuis la four­ni­ture de machines et de solu­tions HSE jusqu’à la livrai­son d’ateliers com­plets, en pas­sant par la pro­duc­tion de pièces à la demande. Grâce à des acqui­si­tions récentes, notam­ment le rachat de BeAM (con­struc­teur de machines DED) et une prise de par­tic­i­pa­tion majori­taire dans la société Poly-Shape (un des lead­ers européens de la fab­ri­ca­tion de pièces métalliques), AddUp est devenu un four­nisseur mul­ti­tech­nologique et dis­pose d’une capac­ité de pro­duc­tion impor­tante. À cette offre s’ajoute une large palette de ser­vices. AddUp accom­pa­gne ses clients depuis les débuts de leurs pro­jets, par du con­seil et de la for­ma­tion (www.addup-academy.online), et les aide à toutes les étapes de l’intégration de la tech­nolo­gie : réflex­ions stratégiques, choix de la tech­nolo­gie, iden­ti­fi­ca­tion des pièces éli­gi­bles, aide à la recon­cep­tion de pièces, réal­i­sa­tion de preuves de con­cept, développe­ment de recettes, opti­mi­sa­tion des paramètres de pro­duc­tion, etc. 



Pour en savoir plus sur la fab­ri­ca­tion addi­tive métallique : www.addupsolutions.com et www.addup-academy.online

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