hélice en cours de fabrication sur une machine Gefertec.

Deux polytechniciens startuppers dans la 3D

Dossier : La fabrication additiveMagazine N°756 Juin 2020
Par Joël ROSENBERG (84)
Par Yannick LOISANCE (71)
Par Charles de FORGES (95)

À la manière de la rubrique « 10 ques­tions à un X entre­pre­neur », tenue avec maes­tria par le cama­rade Hervé Kabla (84), le coor­don­na­teur du dossier de ce mois se livre à la présen­ta­tion de deux start-up dirigées par des cama­rades : Mul­ti­sta­tion et Spartacus3D. Com­ment voient-ils l’avenir de la 3D ?

Quelle est l’activité de Spartacus3D ?

C. de F. : Spartacus3D accom­pa­gne les indus­triels dans le développe­ment, l’industrialisation et la pro­duc­tion de sys­tèmes mécaniques par fab­ri­ca­tion addi­tive. Con­crète­ment nous inter­venons en assis­tance à la con­cep­tion afin que les com­posants soient dévelop­pés de manière opti­male, puis nous pilo­tons toutes les étapes jusqu’à la pro­duc­tion en série qui est réal­isée dans notre usine de Mâcon où nous détenons qua­tre machines de fusion laser. Nous avons des clients dans de nom­breux domaines d’activité, en pri­or­ité l’aéronautique et le spa­tial, mais aus­si l’énergie, le luxe, l’automobile.

Comment t’est venue l’idée ?

Dans mon par­cours indus­triel, j’ai tou­jours souhaité rester à la pointe de l’innovation, je suiv­ais donc de près les développe­ments de l’impression 3D alors que j’étais dans l’industrie du pack­ag­ing. Dans les années 2000 ces tech­nolo­gies étaient prin­ci­pale­ment réservées au pro­to­ty­page, à la maque­tte. L’idée était d’accompagner le pas­sage de ces tech­nolo­gies à la pro­duc­tion et, lorsque Frédéric Guinot (prési­dent de Farinia) a évo­qué ses réflex­ions sur l’impression 3D métallique, nous avons rapi­de­ment trou­vé un ter­rain d’entente.

Quel est le parcours des fondateurs ?

Frédéric Guinot est un entre­pre­neur avec une forte expéri­ence dans le domaine de la métal­lurgie et par­ti­c­ulière­ment de l’automobile. Il a créé Farinia en reprenant des activ­ités divers­es dans la fonderie, la forge et l’usinage. Son groupe réalise actuelle­ment 300 M€ de chiffre d’affaires. Pour ma part j’ai évolué dans dif­férents con­textes indus­triels, grand groupe d’abord avec Saint-Gob­ain, puis ETI famil­iale avec le groupe Pochet dont j’ai dirigé l’activité fla­con­nage en verre (200 M€ de chiffre d’affaires), enfin start-up indus­trielle avec Spartacus3D. Frédéric Guinot m’a don­né le goût d’entreprendre et d’une cer­taine forme de liberté.

Qui sont les concurrents ?

Les con­cur­rents sont de plusieurs types. D’abord des PME ayant démar­ré dans l’impression 3D plas­tique et le pro­to­ty­page, puis ayant évolué vers le métal. Ces PME ont générale­ment débuté à la fin des années 90, cer­taines ont été rachetées par des entre­pris­es de mécanique. Ensuite des entre­pris­es de mécanique ayant démar­ré une activ­ité de fab­ri­ca­tion addi­tive métallique, spon­tané­ment ou à la demande de leurs clients. Ce sont sou­vent des PME du secteur aéro­nau­tique. Ou encore quelques pure play­ers avec la même approche entre­pre­neuri­ale. Et enfin nos clients sont aus­si nos con­cur­rents, car il peut y avoir dans cer­tains cas une logique d’intégration.

Quelles ont été les étapes clefs depuis la création ?

La toute pre­mière phase a été la déci­sion d’investissement et les travaux, puis la créa­tion de l’équipe et l’apprentissage du procédé. En par­al­lèle il a fal­lu bâtir une his­toire et se présen­ter sur le marché, aller chercher des clients, com­mencer une longue étape d’évangélisation. Nous avons dès le début ciblé le marché aéro­nau­tique, ce qui sig­ni­fie une approche très rigoureuse du procédé et des proces­sus qual­ité. Une étape impor­tante a donc été la qual­i­fi­ca­tion de notre pre­mière machine par l’un de nos clients clefs, le groupe Safran.

En 2017 nous avons pris con­science de la néces­sité de mon­ter le niveau de qual­ité de notre out­il indus­triel pour accom­pa­g­n­er les don­neurs d’ordre de l’aéronautique, nous avons donc décidé de trans­fér­er notre activ­ité sur un nou­veau site. Cette déci­sion impor­tante s’est traduite par un redé­mar­rage de notre activ­ité sur ce site fin 2018. En par­al­lèle de ces choix indus­triels, il a été néces­saire de con­tin­uer à con­va­in­cre les action­naires de financer le pro­jet ; une dernière étape clef a été pour nous la lev­ée de fonds effec­tuée en juin 2018 auprès de la société de ges­tion Deme­ter Ventures.

Quelle est l’activité de Multistation SAS ?

Y. L. : Mul­ti­sta­tion est aujourd’hui un inté­gra­teur de solu­tions com­plètes de fab­ri­ca­tion addi­tive et dig­i­tale. Elle pro­pose des machines, des logi­ciels et des ser­vices à une clien­tèle indus­trielle, prestataires de ser­vices comme Spartacus3D, ETI ou grands groupes, et bien enten­du le monde de l’éducation.

Comment t’est venue l’idée ?

Alors dirigeant de la fil­iale française du pre­mier groupe européen de machines-out­ils, j’ai eu l’occasion en 1987 de créer avec Dominique Hum­blot une société des­tinée à com­mer­cialis­er les machines d’usinage 5 axes, alors fon­da­men­tale­ment nova­tri­ces, et les logi­ciels de fab­ri­ca­tion assistée par ordi­na­teur. Et dès le début des années 90 nous avons com­pris l’intérêt de l’ajout de matière, car­ac­téris­tique de la fab­ri­ca­tion addi­tive par rap­port à l’enlèvement de matière réal­isé par les méth­odes tra­di­tion­nelles d’usinage. Nous avons créé en 1992 l’AFPR, Asso­ci­a­tion française de pro­to­ty­page rapi­de, pre­mière du genre au monde, et organ­isé les pre­mières Assis­es du pro­to­ty­page rapi­de à l’École polytechnique.

Quel est le parcours des fondateurs ?

Dominique est doc­teur en math­é­ma­tiques et j’ai repris sa par­tic­i­pa­tion deux ans après la créa­tion de Mul­ti­sta­tion. J’ai com­mencé ma car­rière au Bureau Ver­i­tas comme ingénieur naval, avant de rejoin­dre des sociétés inter­na­tionales de com­merce industriel.

“Les premières Assises du prototypage rapide
ont eu lieu à
l’École polytechnique.”

Qui sont les concurrents ?

Notre porte­feuille d’activités est aujourd’hui très diver­si­fié, de la four­ni­ture de machines à l’éducation ou à une plate-forme inter­na­tionale de marché pour les gross­es machines de fab­ri­ca­tion addi­tive indus­trielle. Nous avons de mul­ti­ples canaux de dis­tri­b­u­tion, ce qui fait que notre busi­ness mod­èle n’est pas très stan­dard ; nous avons donc des con­cur­rents dif­férents selon cha­cune de nos activités.

Quelles ont été les étapes clefs depuis la création ?

Ces étapes clefs sont les crises économiques qui n’ont cessé de sec­ouer l’industrie française… Mon obses­sion a été d’y sur­vivre et donc de choisir un mode de remise en cause per­ma­nente, basé avant tout sur une offre orig­i­nale, inno­vante et dis­rup­tive, des machines qui per­me­t­tent de pro­duire ce que l’on ne savait pas faire aupar­a­vant ! Cette expéri­ence se révèle par­ti­c­ulière­ment utile dans cette péri­ode de pandémie où le rôle de l’impression 3D vient d’être mis en valeur par son agilité à réa­gir dans la crise de la Covid-19.

Quelles seront les étapes clefs dans le proche futur qui auront un impact sur notre activ­ité ? J’en vois qua­tre. Tout d’abord que sera « le monde d’après » lorsque des pans entiers de l’industrie sont en sit­u­a­tion de sidéra­tion… Nous voyons des con­cepts nou­veaux se dévelop­per à grande vitesse pour pren­dre en compte la dig­i­tal­i­sa­tion, les dif­fi­cultés logis­tiques, la remise en cause de la glob­al­i­sa­tion, l’impossibilité de se déplac­er, et surtout le besoin de pro­duire près des lieux d’usage… Après une phase de pro­grès puis d’innovation, la pro­duc­tion indus­trielle se régénér­era dans le monde d’après et nous essaierons d’être présents pour lui fournir de nou­veaux équipements.

Le sec­ond point est la prise en compte du for­mi­da­ble essor de l’industrie chi­noise, sa capac­ité d’innovation portée par son marché intérieur et sa volon­té stratégique de venir en Europe, c’est la rai­son pour laque­lle nous tra­vail­lons sur la créa­tion de Mul­ti­sta­tion Chi­na. Troisième­ment, la fab­ri­ca­tion addi­tive doit faire l’objet d’une réflex­ion glob­ale dans l’entreprise d’après, ce qui génère un fort besoin d’ingénierie et de con­sult­ing, d’où la créa­tion de notre fil­iale spé­cial­isée Additiv3X en lien avec les majors du domaine. Enfin le marché de l’occasion, où nous sommes très présents via notre plate-forme mon­di­ale Mul­ti­sta­tion sec­ond life, va faire l’objet d’une forte crois­sance : crise actuelle, lance­ment anar­chique de nou­veaux mod­èles vite obsolètes, mis­in­vest­ment, volon­té des pri­mo-util­isa­teurs de faire leurs pre­mières armes sur des machines moins chères…

Nous nous dévelop­per­ons en adap­tant notre mod­èle au « monde d’après », volatil, incer­tain, com­plexe et ambigu, en suiv­ant bien sûr la doc­trine d’Edgar Morin : « Attends-toi à l’inattendu. »

“L’Europe se fait doubler par une Chine
lancée à toute vapeur.”

Pour terminer, une question commune pour les deux entrepreneurs : quel est l’avenir de la 3D ?

Le dic­ton affirme à juste titre que c’est en forgeant que l’on devient forg­eron. Il en va de même avec l’impression 3D qui est une prac­tice based tech­nol­o­gy et s’inscrit dans une chaîne de valeur uni­verselle. Cet écosys­tème se décline suiv­ant les métiers. Par exem­ple la haute joail­lerie a par­faite­ment inté­gré l’impression 3D alors que le matériel minier n’en est qu’aux prémices. Les mul­ti­ples procédés de fab­ri­ca­tion addi­tive génèrent une foul­ti­tude d’opportunités suiv­ant les métiers, qui sont tous impactés. Mais une telle évo­lu­tion, par­fois anar­chique, freine les investisse­ments du fait des inter­ro­ga­tions qu’elle sus­cite. Ce besoin d’ingénierie et d’étude des besoins de l’entreprise est récent et en pleine explo­sion. La POC (proof of con­cept) devient la règle universelle !

Dans le monde, il existe plusieurs cen­taines de fab­ri­cants d’imprimantes 3D : beau­coup de pâles copies des lead­ers, un flux d’entrants per­ma­nents et des échecs sig­ni­fi­cat­ifs… Mar­keter l’impression 3D n’est pas sim­ple car trop d’anecdotes nuisent à la crédi­bil­ité de la tech­nolo­gie. Cet engoue­ment 3D est mon­di­al et a créé de fortes dis­par­ités autour des trois pôles améri­cain, chi­nois et européen. Prenons l’exemple de la courbe de Hype, qui décrit l’évolution de l’intérêt pour les nou­velles tech­nolo­gies ; il est facile de con­stater que les vitesses de déplace­ment de chaque tech­nolo­gie vari­ent d’un pays à l’autre ; l’Europe, engluée dans ses normes et ses hési­ta­tions, se fait dou­bler par une Chine lancée à toute vapeur.

En résumé, la fab­ri­ca­tion addi­tive s’invite de plus en plus à la table des dirigeants, elle con­stitue un out­il fan­tas­tique pour définir les ori­en­ta­tions stratégiques en matière d’innovation pro­duit et d’organisation de la pro­duc­tion. Elle mod­i­fie en pro­fondeur la pen­sée design de l’entreprise, en per­me­t­tant un apport émo­tion­nel à des fonc­tions jusqu’alors stricte­ment opéra­tionnelles. Elle a pour effet de rac­cour­cir le délai entre le con­cept et la réal­i­sa­tion du pre­mier pro­to­type et égale­ment de per­son­nalis­er la pro­duc­tion. La fab­ri­ca­tion addi­tive est l’outil idéal pour dévelop­per l’agilité de l’entreprise face à ses con­cur­rents. Mais les écueils sont là et ont le mérite d’être de mieux en mieux iden­ti­fiés. Car la fab­ri­ca­tion addi­tive génère un sen­ti­ment de volatil­ité et d’incertitude qui affecte cer­tains salariés.

Thier­ry Ray­na, enseignant chercheur à l’École poly­tech­nique inter­rogé par Les Échos du 4 mai 2020, a déclaré : « Si une par­tie des pro­duc­tions revi­en­nent en France ou en Europe, elles se fer­ont sur des séries plus cour­tes et les nom­bres d’applications favor­ables à l’impression 3D aug­menteront. Tout recul du com­merce mon­di­al et hausse des prix du trans­port con­stituent un bon point pour l’impression 3D. » Suiv­ant le con­sul­tant Phil Reeves, la fab­ri­ca­tion addi­tive béné­ficiera dans « le monde d’après » du développe­ment de l’économie cir­cu­laire et de la réu­til­i­sa­tion des objets : « Si l’on s’éloigne de cette économie de la con­som­ma­tion effrénée pour val­oris­er la répa­ra­tion ou la réu­til­i­sa­tion, l’impression 3D pren­dra une place majeure. On pour­ra fab­ri­quer les pièces qui pro­longeront la vie de nos objets du quo­ti­di­en et leur don­neront même une nou­velle fonction. »

Le monde d’après qui se pro­file con­stitue une for­mi­da­ble oppor­tu­nité pour l’impression 3D, par­ti­c­ulière­ment la fab­ri­ca­tion addi­tive faisant appel au métal, désor­mais la plus promet­teuse. Eu égard aux grandes ten­dances socié­tales du monde de l’après-Covid, la fab­ri­ca­tion addi­tive béné­fi­cie d’une image bien vertueuse !

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