La bio-impression pour une médecine régénérative

Dossier : La fabrication additiveMagazine N°756 Juin 2020
Par Delphine FAYOL (05)
Par Fabien GUILLEMOT

La bio-impres­sion est une branche tout à fait ori­gi­nale de l’impression 3D. Poie­tis, qui est une start-up ins­tal­lée dans la région de Bor­deaux, fait par­tie des pion­niers en la matière. Les apports de cette tech­nique à la méde­cine sont très prometteurs.

L’impression 3D fait par­tie des méthodes de fabri­ca­tion dites addi­tives : elle se dis­tingue des autres tech­niques indus­trielles de mise en forme des maté­riaux telles que l’usinage ou l’injection en ce que les objets 3D sont créés selon une logique bot­tom up, par ajout de matière couche après couche. La bio-impres­sion désigne quant à elle les tech­no­lo­gies adap­tées à l’impression 3D de matière vivante, comme des cel­lules humaines, par­fois com­bi­née avec des maté­riaux inertes. Ces cel­lules vivantes confèrent aux struc­tures 3D des pro­prié­tés uniques, comme leur capa­ci­té à chan­ger de forme et de com­po­si­tion au cours du temps ou à répondre à des sti­mu­li chi­miques et phy­siques. Les tech­no­lo­gies dis­po­nibles en bio-impres­sion pré­sentent une réso­lu­tion allant de ~20 µm à ~500 µm et sont com­pa­tibles avec des maté­riaux de vis­co­si­té de 1 à 105 m Pa.s. Cer­taines bio-impri­mantes intègrent plu­sieurs tech­no­lo­gies afin d’offrir une gamme de tra­vail élar­gie. On parle alors de sys­tèmes multimodaux.


REPÈRES

La bio-impres­sion est née du détour­ne­ment de sys­tèmes d’impression exis­tants : dans une publi­ca­tion datée de 1988, Robert Klebe com­bine une impri­mante jet d’encre à un pro­gramme infor­ma­tique pour dépo­ser une pro­téine selon un motif pré­dé­ter­mi­né. Il conclut que cette approche fon­dée sur la maî­trise de l’organisation spa­tiale offre des pers­pec­tives par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­santes pour fabri­quer des tis­sus arti­fi­ciels. Aujourd’hui, quatre tech­no­lo­gies prin­ci­pales de bio-impres­sion existent : l’extrusion, le jet d’encre, la micro­vanne et la bio-impres­sion assis­tée par laser. 


Un secteur industriel en pleine émergence

Issue de la recherche aca­dé­mique, la bio-impres­sion est main­te­nant un sec­teur indus­triel en pleine émer­gence, carac­té­ri­sé par une explo­sion du nombre de créa­tion d’entreprises depuis les années 2010 et l’entrée en Bourse de trois d’entre elles (Orga­no­vo en 2013, Cel­link en 2017 et T&R Bio­fab en 2018) pour une capi­ta­li­sa­tion actuelle totale de l’ordre de 600 mil­lions de dol­lars. Ces entre­prises se répar­tissent majo­ri­tai­re­ment entre l’Europe et l’Amérique du Nord, l’Asie pos­sé­dant tou­te­fois des acteurs majeurs au Japon et en Corée.

Les inno­va­tions tech­no­lo­giques appor­tées par ces toutes jeunes socié­tés sont regar­dées avec beau­coup d’intérêt par les acteurs éta­blis, en témoignent les nom­breuses col­la­bo­ra­tions indus­trielles signées avec des grands groupes de l’industrie phar­ma­ceu­tique (ex. : Orga­no­vo et Roche, Orga­no­vo et Merck, Poie­tis et Ser­vier, Aspect Bio­sys­tems et John­son & John­son, Advan­ced Solu­tions et GE Heal­th­care) ou de l’industrie cos­mé­tique (ex. : Poie­tis et BASF, Poie­tis et L’Oréal). Aujourd’hui, les pro­duits et ser­vices ven­dus ciblent des acti­vi­tés de recherche en labo­ra­toire avec la coexis­tence de plu­sieurs modèles éco­no­miques : la vente de bio-impri­mantes, asso­ciée éven­tuel­le­ment à de la vente de bioencres ; la vente de ser­vices de déve­lop­pe­ment de modèles tis­su­laires auprès d’industriels des sec­teurs cos­mé­tiques et phar­ma­ceu­tiques (ex. : modèles de peau ou de foie pour des études d’efficacité ou de toxi­ci­té) ; la vente de ces modèles tis­su­laires pour des études de recherche (ex. : modèles de peau).

Des applications thérapeutiques

Si les bio-impri­mantes com­mer­ciales actuelles sont limi­tées à un usage de recherche, plu­sieurs acteurs tra­vaillent à une ver­sion cli­nique de ces machines avec pour objec­tif de les rendre com­pa­tibles avec les exi­gences des bonnes pra­tiques de fabri­ca­tion phar­ma­ceu­tique et per­mettre leur uti­li­sa­tion pour la pro­duc­tion des gref­fons tis­su­laires implan­tables dans le cadre de thé­ra­pies de méde­cine régé­né­ra­tive. La méde­cine régé­né­ra­tive se carac­té­rise par des approches thé­ra­peu­tiques qui s’appuient sur l’essence même du vivant – des cel­lules humaines – pour orches­trer des méca­nismes de répa­ra­tion chez l’homme et défi­ni­ti­ve­ment gué­rir de cer­taines patho­lo­gies. Cette nou­velle dis­ci­pline a émer­gé au tour­nant des années 1980–1990 et s’est depuis lors nour­rie des avan­cées scien­ti­fiques majeures dans les domaines des cel­lules souches et du génie géné­tique. Tou­te­fois ces nou­velles thé­ra­pies, dési­gnées par les agences régle­men­taires par le terme MTI (médi­ca­ments de thé­ra­pies inno­vantes), res­tent émi­nem­ment com­plexes, à la fois du point de vue de la com­pré­hen­sion scien­ti­fique de leur méca­nisme d’action et de celui de la maî­trise de leurs pro­cé­dés de pro­duc­tion. L’équation éco­no­mique de la com­mer­cia­li­sa­tion et du rem­bour­se­ment de ces thé­ra­pies est éga­le­ment loin d’être évi­dente. Ain­si, mal­gré de très belles réus­sites au stade de la preuve de concept cli­nique, peu de pro­duits sont actuel­le­ment sur le mar­ché en Europe. On compte aujourd’hui cinq thé­ra­pies géniques, une thé­ra­pie cel­lu­laire et deux pro­duits d’ingénierie tis­su­laire, cinq autres thé­ra­pies ayant été reti­rées du marché.

L’industrialisation des pro­cé­dés de pro­duc­tion de ces médi­ca­ments inno­vants consti­tue un des obs­tacles majeurs à lever pour per­mettre la dif­fu­sion de ces thé­ra­pies elles-mêmes inno­vantes. Et les approches de bio-impres­sion de tis­sus pos­sèdent plu­sieurs atouts pour atteindre cet objec­tif. D’un point de vue scien­ti­fique, les carac­té­ris­tiques intrin­sèques de la fabri­ca­tion par bio-impres­sion font étroi­te­ment écho aux méca­nismes bio­lo­giques condui­sant à la for­ma­tion des tis­sus lors du déve­lop­pe­ment, puis à leur main­tien à l’état phy­sio­lo­gique. La bio-impres­sion per­met en pre­mier lieu une maî­trise de l’organisation spa­tiale des consti­tuants du tis­su. Or il existe une inter­dé­pen­dance entre la forme et la fonc­tion dans les tis­sus vivants, la forme déter­mi­nant l’émergence de la fonc­tion bio­lo­gique, tout en appor­tant ensuite un sup­port essen­tiel à sa bonne exé­cu­tion. Autre­ment dit, en tant qu’outil de maî­trise de la forme, la bio-impres­sion se pro­pose de trans­for­mer un pro­blème de maî­trise des fonc­tions bio­lo­giques en un pro­blème de maî­trise de la dis­po­si­tion spa­tiale des dif­fé­rents consti­tuants du tissu.

Le second point clef réside dans le paral­lèle entre le carac­tère addi­tif de la bio-impres­sion et le carac­tère mul­ti-échelle des tis­sus vivants. Ces der­niers sont en effet des sys­tèmes dits com­plexes au sens phy­sique du terme : les inter­ac­tions à l’échelle locale régissent les pro­prié­tés obser­vées à une échelle plus grande, qui ont elles-mêmes en retour un effet sur les com­por­te­ments locaux. Par­tant de ce constat, la stra­té­gie sui­vie est de maî­tri­ser la forme là où elle est simple, c’est-à-dire à l’échelle locale d’un ensemble de cel­lules, puis d’orienter l’émergence de formes com­plexes à une échelle plus grande – celle du tis­su – via un contrôle des condi­tions envi­ron­ne­men­tales. On parle alors de mor­pho­ge­nèse gui­dée ou de bio-impres­sion 4D, la qua­trième dimen­sion cor­res­pon­dant à l’évolution tem­po­relle de la struc­ture 3D ini­tiale. Les formes com­plexes qui émergent de ce pro­ces­sus servent ensuite de sup­port à l’expression des fonc­tions biologiques.

Une personnalisation du produit et une automatisation de la production

D’un point de vue indus­triel main­te­nant, la fabri­ca­tion addi­tive est par­ti­cu­liè­re­ment adap­tée à une per­son­na­li­sa­tion à la demande des objets fabri­qués. Le pro­cé­dé consiste en effet à créer le répli­cat phy­sique d’un fichier numé­rique conçu par ordi­na­teur. On parle de jumeaux phy­siques-numé­riques. Ce fichier peut aisé­ment être par­ta­gé, dis­tri­bué ou encore modi­fié de manière à fabri­quer dif­fé­rents variants, sans que la réa­li­sa­tion de ces variants néces­site des modi­fi­ca­tions majeures du pro­cé­dé de fabri­ca­tion. Des pro­thèses adap­tées aux carac­té­ris­tiques mor­pho­lo­giques spé­ci­fiques du patient sont ain­si aujourd’hui fabri­quées par impres­sion 3D.

La bio-impres­sion apporte éga­le­ment une auto­ma­ti­sa­tion des pro­cé­dés, ce qui faci­lite le pas­sage à l’échelle (scale-up) et per­met la stan­dar­di­sa­tion des opé­ra­tions de fabri­ca­tion, en par­ti­cu­lier lorsqu’il existe plu­sieurs sites de pro­duc­tion (scale-out). En lui ados­sant des outils de sui­vi ana­ly­tique des pro­cé­dés, le but est d’aboutir à une carac­té­ri­sa­tion com­plète de la fabri­ca­tion, étape par étape. Ce sui­vi quan­ti­ta­tif des para­mètres cri­tiques est indis­pen­sable pour amé­lio­rer gra­duel­le­ment la qua­li­té des tis­sus fabri­qués et en assu­rer une pro­duc­tion reproductible.

En conclu­sion, les tech­no­lo­gies de bio-impres­sion ont main­te­nant atteint un stade de matu­ri­té indus­trielle avec la mise sur le mar­ché de plu­sieurs bio-impri­mantes et la com­mer­cia­li­sa­tion de tis­sus entiè­re­ment fabri­qués par bio-impres­sion. Elles doivent encore mûrir pour réa­li­ser tout leur poten­tiel, notam­ment en ce qui concerne la pro­duc­tion de gref­fons pour la méde­cine régé­né­ra­tive. Les objec­tifs se concentrent sur : la fia­bi­li­sa­tion de ces tech­no­lo­gies et leur capa­ci­té à four­nir des pro­cé­dés de fabri­ca­tion robustes ; l’intégration des contraintes régle­men­taires des bonnes pra­tiques de fabri­ca­tion phar­ma­ceu­tique, qui implique de repen­ser tout le cycle de vie des bio-impri­mantes, de la concep­tion à l’usage ; l’intégration au sein des bio-impri­mantes de solu­tions tech­no­lo­giques com­plé­men­taires de sui­vi ana­ly­tique des pro­cé­dés et d’analyse de données.

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