Bloc hydraulique optimisé en fabrication additive.

La fabrication additive dans le domaine naval

Dossier : La fabrication additiveMagazine N°756 Juin 2020
Par Guillaume RÜCKERT
Par Patrice VINOT
Par Marc BORIO
Par Laurent MOCARD

Naval Group intro­duit les nou­velles tech­no­lo­gies de fabri­ca­tion addi­tive sur l’ensemble de ses sites de pro­duc­tion. Cet exemple par­ti­cu­lier illustre pour le domaine naval, au tra­vers de mul­tiples cas, la capa­ci­té de mettre en œuvre des concepts inno­vants grâce à un pro­cé­dé de fabri­ca­tion addi­tive et une chaîne numé­rique maî­tri­sée de la concep­tion à la fabrication.

La fabri­ca­tion addi­tive est désor­mais une réa­li­té indus­trielle à Naval Group en tenant compte des spé­ci­fi­ci­tés de son domaine (équi­pe­ments de petites à très grandes dimen­sions, condi­tions d’utilisation sévères, effet de série limi­té et contraintes éco­no­miques fortes). Un pre­mier exer­cice d’identification des cas d’usage en fabri­ca­tion addi­tive a inci­té l’industriel à orien­ter ses efforts sur deux voies prin­ci­pales : d’une part l’amélioration de la dis­po­ni­bi­li­té des navires grâce à la mise en place d’une offre com­plète de ser­vices depuis l’identification des cas jusqu’à la pro­duc­tion de répa­ra­tions ou de pièces de rechange conformes ; d’autre part l’amélioration des per­for­mances en ser­vice par une opti­mi­sa­tion de concep­tion ren­due pos­sible grâce aux pos­si­bi­li­tés offertes par les pro­cé­dés de fabri­ca­tion additive.

Pour répondre aux besoins de dis­po­ni­bi­li­té des navires et appor­ter des solu­tions effi­caces aux cas d’obsolescence en par­ti­cu­lier, les dif­fé­rents sites de pro­duc­tion de l’industriel s’organisent en réseau afin d’apporter des solu­tions à la chaîne de valeur com­plète pour la mise à dis­po­si­tion de solu­tions de répa­ra­tion ou de pièces de rechange à fabri­quer à quai ou à bord selon les cas. En outre, l’entreprise se dote d’équipements indus­triels dif­fé­ren­ciants pour la fabri­ca­tion de pro­duits de grandes dimen­sions, tels que les hélices de pro­pul­sion de navire, et il aborde en paral­lèle la démarche de qua­li­fi­ca­tion afin d’attester la confor­mi­té des pièces avant ins­tal­la­tion à bord.

Principe de la solution complète d’accompagnement pour la fabrication directe à bord.
Prin­cipe de la solu­tion com­plète d’accompagnement pour la fabri­ca­tion directe à bord.

Des ambitions élevées pour la fabrication additive

Les besoins du groupe jus­ti­fiant de recou­rir aux dif­fé­rentes solu­tions de fabri­ca­tion addi­tive sont mul­tiples et variés ; des pre­miers cas de pro­to­ty­page et d’outillage ont conduit les sites d’ingénierie et de pro­duc­tion à s’équiper depuis plu­sieurs années, pour désor­mais offrir des solu­tions de répa­ra­tion ou de rechange en main­te­nance, ain­si que des pièces à géo­mé­trie extrê­me­ment com­plexe pour l’amélioration des per­for­mances ou la réduc­tion de l’encombrement en construc­tion neuve. Le groupe s’appuie désor­mais sur des com­pé­tences et moyens com­plé­men­taires, orga­ni­sés en réseau autour d’une exper­tise déve­lop­pée par sa direc­tion de l’innovation et de l’expertise tech­no­lo­gique à par­tir des pre­miers pro­jets de R & D lan­cés depuis une décen­nie. Une pre­mière expé­ri­men­ta­tion de fabri­ca­tion addi­tive embar­quée a été pro­po­sée dès 2018 à bord du bâti­ment de pro­jec­tion et de com­man­de­ment (BPC) Dix­mude. L’objectif était de mieux appré­hen­der les besoins des équi­pages et d’expérimenter des impres­sions 3D à dis­tance de pièces d’équipement opé­ra­tion­nel. Au-delà de l’appropriation de cette nou­velle tech­no­lo­gie par les marins, cette pre­mière expé­rience a four­ni une pre­mière liste de cas de rechange en mission. 

Ain­si, pour répondre aux besoins opé­ra­tion­nels de ses clients, l’industriel met en place une nou­velle offre de ser­vices, depuis l’identification du besoin jusqu’à la livrai­son d’une pièce avec accep­ta­tion de sa confor­mi­té, à par­tir de moyens d’impression orga­nique ins­tal­lés à bord des navires. Le prin­cipe consiste à four­nir une pièce de rechange impri­mée à par­tir d’une biblio­thèque de fichiers de modèles 3D de réfé­rence (voire d’un scan­ner 3D pour modé­li­ser la pièce à rem­pla­cer). Le simple fait de dis­po­ser d’un moyen d’impression 3D ne suf­fit pas à accé­der rapi­de­ment et en sécu­ri­té à la fabri­ca­tion de pièces fonc­tion­nelles et de qua­li­té. La solu­tion com­porte donc plu­sieurs étapes d’accompagnement et d’aide à la déci­sion ; elle s’appuie sur une inter­face construite à par­tir de plu­sieurs algo­rithmes et une hot­line tech­nique et elle croise l’expérience acquise sur les pro­cé­dés de fabri­ca­tion addi­tive et la com­pé­tence d’architecte-systémier-intégrateur de navires. Une der­nière étape consiste à appor­ter la preuve de la confor­mi­té par une série de tests à bord ou à quai selon la cri­ti­ci­té de l’usage.

“Une première expérimentation de fabrication additive embarquée.”

De plus, les condi­tions d’utilisation sévères des navires mili­taires jus­ti­fient de répondre à des exi­gences fortes pour la fabri­ca­tion des équi­pe­ments et sys­tèmes qui les consti­tuent. Les pièces réa­li­sées par fabri­ca­tion addi­tive doivent donc répondre à des règles spé­ci­fi­que­ment adap­tées pour ces nou­veaux pro­cé­dés. En l’absence de normes appli­cables dans le domaine, une démarche de qua­li­fi­ca­tion est entre­prise au sein du groupe, avec l’appui de par­te­naires comme le Bureau Veri­tas, afin d’apporter la jus­ti­fi­ca­tion néces­saire à l’introduction de pièces cri­tiques à bord dans un ave­nir proche de deux ans. Sur le fon­de­ment d’un socle solide, Naval Group ambi­tionne fina­le­ment une uti­li­sa­tion intense des dif­fé­rents pro­cé­dés de fabri­ca­tion addi­tive au pro­fit des grands pro­grammes natio­naux et export à venir (sous-marins et bâti­ments de surface).

Bloc hydraulique de référence.

Bloc hydraulique optimisé en fabrication additive.
Bloc hydrau­lique opti­mi­sé en fabri­ca­tion additive.

De premières réalisations emblématiques

Les tra­vaux enga­gés depuis 2015 sur le pro­cé­dé de dépôt de fil métal­lique ou WAAM (Wire Arc Addi­tive Manu­fac­tu­ring) ont rapi­de­ment confir­mé l’intérêt d’une telle solu­tion comme rem­pla­ce­ment cré­dible aux pro­cé­dés conven­tion­nels pour la four­ni­ture d’ébauches de pièces com­plexes de grandes dimen­sions. En effet, les pre­mières réa­li­sa­tions du Joint Labo­ra­to­ry of Marine Tech­no­lo­gy (JLMT), labo­ra­toire com­mun entre l’École cen­trale Nantes et Naval Group, ont démon­tré la capa­ci­té du pro­cé­dé à offrir des per­for­mances « maté­riau » au moins égales, voire supé­rieures, à celles connues pour la fon­de­rie dans des délais de fabri­ca­tion com­pa­tibles avec les enjeux indus­triels. Ce type de pro­cé­dé agile apporte de sur­croît une liber­té de concep­tion en per­met­tant de pla­cer la quan­ti­té de matière juste néces­saire à l’endroit où elle est requise. 

Ain­si, sur la base d’une concep­tion opti­mi­sée, un pre­mier démons­tra­teur de pale creuse en acier aus­té­no-fer­ri­tique a été réa­li­sé au sein du JLMT dans le cadre du pro­jet euro­péen H2020 RAMSSES (Rea­li­sa­tion and Demons­tra­tion of Advan­ced Mate­rial Solu­tions for Sus­tai­nable and Effi­cient Ships), finan­cé par la Com­mis­sion euro­péenne. Les gains de per­for­mance asso­ciés pour ce cas d’étude sont signi­fi­ca­tifs : réduc­tion de la masse de la pale de 50 % et amé­lio­ra­tion du ren­de­ment pro­pul­sif de l’ordre de 5 %, offrant éga­le­ment la pos­si­bi­li­té d’une signa­ture acous­tique réduite et per­son­na­li­sée. Dès lors, forte de cette pre­mière expé­rience pro­met­teuse, l’entreprise s’est dotée d’un moyen indus­triel d’envergure sur son site de pro­duc­tion de Nantes-Indret, dans le but de four­nir des ébauches pour ses équi­pe­ments. En pre­mier lieu, des pales d’hélice ont été réa­li­sées en série pour une expé­ri­men­ta­tion à la mer sur un bâti­ment mili­taire, pré­vue à l’été 2020. Des com­mandes sont déjà prises pour de pro­chains pro­grammes et les études de R & D conti­nuent en paral­lèle sur des moyens équi­va­lents pour appor­ter les solu­tions inno­vantes de demain, qui per­met­tront aus­si de s’affranchir des dif­fi­cul­tés d’obtention d’ébauches mou­lées ou for­gées de qualité. 

Par ailleurs, les pro­cé­dés de type fusion sur lit de poudre métal­lique ou Laser Beam Mel­ting (LBM) apportent des solu­tions nou­velles pour la fabri­ca­tion de com­po­sants de géo­mé­trie com­plexe inac­ces­sible par des pro­cé­dés conven­tion­nels. Le site d’Angoulême-Ruelle, qui s’équipe d’un moyen indus­triel pour la fabri­ca­tion addi­tive métal­lique, pro­pose par exemple des solu­tions d’allègement signi­fi­ca­tives pour des dis­tri­bu­teurs hydrau­liques (réduc­tion de 80 % de la masse par rap­port à une pièce usi­née) à par­tir d’une recon­cep­tion adap­tée au pro­cé­dé de fabri­ca­tion addi­tive. Ain­si, une pièce de rechange a été réa­li­sée pour équi­per un sys­tème d’armes lors d’une opé­ra­tion de main­te­nance d’un navire mili­taire. Les dif­fé­rents essais sur témoins et sur la pièce concer­née ont vali­dé son usage à bord.

“Un démonstrateur de pale creuse a été réalisé à Nantes.”

Un nouveau modèle de service

Le domaine des usages de la fabri­ca­tion addi­tive est vaste et les inves­tis­se­ments en recherche et déve­lop­pe­ment se ren­forcent pour iden­ti­fier les très grandes pos­si­bi­li­tés offertes. Mais, en paral­lèle, l’industrialisation au pro­fit du naval de défense est en cours, la qua­li­fi­ca­tion est déjà acquise pour des pre­miers cas d’usage. Un nou­veau modèle de ser­vice est éga­le­ment pro­po­sé pour appor­ter des solu­tions au plus proche des besoins des marins, en conci­liant approche inno­vante et sécu­ri­sa­tion de la démarche. Avec l’hélice de pro­pul­sion de navire et le dis­tri­bu­teur hydrau­lique pour sys­tème d’armes, deux pièces à fortes contraintes méca­niques et d’usage réa­li­sées en fabri­ca­tion addi­tive et mon­tées à bord de navires mili­taires en 2020, Naval Group change de rythme sur la fabri­ca­tion addi­tive et dis­pose donc d’une solu­tion agile dif­fé­ren­ciante dans sa boîte à outils indus­trielle, au pro­fit de la dis­po­ni­bi­li­té des navires et de l’amélioration de leurs performances.


Références

Eva­lua­tion of wire arc addi­tive manu­fac­tu­ring for large-sized com­po­nents in naval appli­ca­tions, Que­gui­neur (A.), Rückert (G.), Cor­tial (F.), Has­coët (J.-Y.), Wel­ding in the World, Sprin­ger, Decem­ber 2017. 

On the bene­fits of metal­lic addi­tive manu­fac­tu­ring for pro­pel­lers, Mul­ler (P.), Rückert (G.), Vinot (P.), Sixth Inter­na­tio­nal Sym­po­sium on Marine Pro­pul­sors (smp’19), Rome, Ita­ly, May 2019. 

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