Montants des différentes lois de programmation des armées

La programmation militaire : archaïsme ou outil du sage ?

Dossier : La politique militaireMagazine N°570 Décembre 2001
Par Benoît BESCOND (71)

Naissance de la programmation militaire

Naissance de la programmation militaire

Les plans d’é­qui­pe­ments mili­taires trouvent leurs racines dans l’his­toire de France. Ils ont per­mis, dans le pas­sé, ici l’é­ta­blis­se­ment d’un ensemble coor­don­né de for­ti­fi­ca­tions (du sys­tème dit de Ser­ré de Rivières 1874 à la ligne Magi­not), là une nou­velle orga­ni­sa­tion de la marine mili­taire (loi de 1912). Voués à assu­rer des dépenses néces­sai­re­ment plu­ri­an­nuelles, ces plans n’ont été consa­crés jus­qu’à la Deuxième Guerre mon­diale qu’à la réa­li­sa­tion ou à la moder­ni­sa­tion de sous-ensembles de l’ou­til mili­taire. Il s’a­gis­sait de plans d’opportunité.

Après 1945, la France a béné­fi­cié du plan Mar­shall. La démarche fran­çaise com­mence avec la consti­tu­tion de la Ve Répu­blique et l’u­ti­li­sa­tion mili­taire de l’a­tome. L’or­don­nance orga­nique 59–2 (2 jan­vier 1959) pré­voit que le gou­ver­ne­ment peut sou­mettre des dépenses mili­taires plu­ri­an­nuelles à l’ap­pro­ba­tion du Par­le­ment de façon à faire repo­ser la pla­ni­fi­ca­tion sur des bases finan­cières réa­listes. Ces pré­vi­sions de dépenses, ras­sem­blées en auto­ri­sa­tions de pro­grammes (AP), peuvent être votées dans une loi ; il est bien pré­ci­sé que cette éva­lua­tion n’a qu’un carac­tère pré­vi­sion­nel et qu’elle peut être limi­tée par les res­sources attri­buées par les lois de finances (bud­gets annuels).

Dès ce moment, la France se trouve dotée d’une pro­cé­dure de plans et de pro­grammes qui devien­dra la pro­gram­ma­tion mili­taire. Son démar­rage, contem­po­rain de celui de l’ar­me­ment nucléaire, n’est pas un hasard : la part du nucléaire est déjà de 20 % en 1960 et atteint rapi­de­ment 35 %. Il a en effet paru indis­pen­sable de mettre en concor­dance la réa­li­sa­tion des dif­fé­rentes com­po­santes de la dis­sua­sion, à savoir les études, la pro­duc­tion des matières fis­siles, les essais et les diverses fabri­ca­tions. Les pre­mières » lois de pro­grammes » avaient un but clair : elles visaient à ordon­nan­cer tant les actions à mener sur le plan calen­daire que les efforts finan­ciers à concéder.

De la programmation

Que signi­fie » pro­gram­mer » ? Si d’une façon géné­rale il s’a­git de pré­voir et d’or­ga­ni­ser, l’ère de l’in­for­ma­tique nous apprend qu’il s’a­git de codi­fier une suite d’o­pé­ra­tions élé­men­taires pou­vant être réa­li­sées par une machine ou un orga­nisme dédié. Dans la pers­pec­tive des années soixante, cette accep­tion cor­res­pond bien à la façon assez rigide et prio­ri­taire dont les efforts de défense ont été consa­crés à la force de dis­sua­sion, en y inves­tis­sant plus du tiers des res­sources d’équipements.

Le pro­gramme est aus­si le recueil des connais­sances qu’un élève doit acqué­rir en une année sco­laire. En ce sens, il consti­tue une réfé­rence sur laquelle s’ap­puie l’en­sei­gnant et qui sert de péri­mètre aux épreuves des exa­mens. Rare­ment acquis en tota­li­té, ce pro­gramme est évo­lu­tif ; l’É­du­ca­tion natio­nale modi­fie ses objec­tifs très régu­liè­re­ment. Si la pro­gram­ma­tion ne dis­tri­bue pas de notes, dès 1960 les lois ont été pour­vues d’in­di­ca­teurs des­ti­nés à suivre leur réa­li­sa­tion en regard des objec­tifs fixés.

Enfin, le pro­gramme peut conte­nir les inten­tions d’un par­ti poli­tique ou d’un diri­geant ; plus déter­mi­niste, la racine grecque » pro­gram­ma » se rap­porte à » ce qui est écrit à l’a­vance » tel le pro­gramme du spectacle.

La pro­gram­ma­tion est ain­si un arte­fact, pen­sé et choi­si déli­bé­ré­ment, par lequel l’homme cherche à ne pas subir tota­le­ment la tyran­nie du pré­sent ; il se ménage à plus ou moins long terme des » pro­grammes » repères dont il pro­fi­te­ra le temps venu ou qu’il adap­te­ra aux cir­cons­tances. La pro­gram­ma­tion mili­taire n’a pas d’autre ambition.

Évolution de la programmation

Après la phase de consti­tu­tion de l’ar­me­ment nucléaire et sous la contrainte des dés­équi­libres consé­cu­tifs des chocs pétro­liers, la pro­gram­ma­tion mili­taire a subi un pro­fond chan­ge­ment au milieu des années soixante-dix. En s’ins­pi­rant de la méthode PPBS1 amé­ri­caine, le plan » long terme » a été rem­pla­cé par une pla­ni­fi­ca­tion autour d’un » modèle d’ar­mée » et les lois de pro­grammes2 sont deve­nues des » lois de programmation « .

Les trois armées (Terre, Marine et Air) dis­po­saient jus­qu’en 1975 de » maquettes » ; l’é­tat-major des armées reçoit alors pour tâche de fixer un modèle de réfé­rence, à atteindre à l’ho­ri­zon de quinze à vingt ans et dont le coût peut être éva­lué de façon » détem­po­ra­li­sée « . Capables alors de pré­voir, non seule­ment les dépenses d’é­qui­pe­ments nou­veaux, mais aus­si les dépenses ordi­naires à consa­crer à l’en­tre­tien des forces (hommes et maté­riels), les lois de pro­gram­ma­tion (LPM) deviennent plus glo­bales et portent sur le titre III comme sur le titre V (à l’ex­clu­sion du titre VI consa­cré aux sub­ven­tions). Le finan­ce­ment des LPM est décrit par la pré­vi­sion des paie­ments (CP) ain­si que, pour les équi­pe­ments, par les auto­ri­sa­tions de pro­grammes (AP).

La France connaît un nou­veau chan­ge­ment majeur en 1996 avec la déci­sion de pro­fes­sion­na­li­ser les armées. Aus­si­tôt la défense met en chan­tier un » modèle d’ar­mée pour 2015 » et dès la fin de l’an­née 1996 est votée une LPM 1997–2002 qui se sub­sti­tue à celle en cours (1995−2000).

La réa­li­sa­tion du modèle 2015 est pré­vue en trois étapes. La LPM 97–02 doit per­mettre d’at­teindre le nou­veau for­mat pro­fes­sion­nel et de pré­pa­rer les nou­veaux équi­pe­ments dont cette armée aura besoin. Les deux étapes sui­vantes sont pré­vues pour 2003–2008 et 2009–2015, avec comme mis­sion de conso­li­der la nou­velle orga­ni­sa­tion et de réa­li­ser les grands pro­grammes attendus.

Le projet de LPM 03–08

Entre 1999 et 2001, le minis­tère de la Défense a pré­pa­ré, conçu et expli­ci­té un pro­jet de LPM pour la période 2003–2008.

Pla­cé direc­te­ment dans la conti­nui­té de la loi 1997–2002, ce pro­duit dif­fère cepen­dant nota­ble­ment du pré­cé­dent sur un cer­tain nombre de points.

Si l’ob­jec­tif du modèle d’ar­mée pour 2015 reste d’ac­tua­li­té, la période post 2002 est nou­velle. Les effec­tifs et plus géné­ra­le­ment le for­mat des armées avec leur orga­ni­sa­tion en forces pro­fes­sion­nelles sont réa­li­sés et la prio­ri­té passe à la sta­bi­li­sa­tion, aux moyens de péren­ni­ser les flux de recru­te­ment par rap­port aux départs, au main­tien de l’in­té­rêt pour le métier mili­taire et à l’é­qui­libre entre les capa­ci­tés atten­dues et les moyens dont peuvent dis­po­ser les uni­tés opérationnelles.

Ceci explique que la pro­gram­ma­tion du titre III est réduite à l’ac­ti­vi­té des forces et au fonc­tion­ne­ment cou­rant, que la loi pré­voit un » fonds de conso­li­da­tion de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion » et qu’il suf­fit, dans l’op­tique du modèle 2015, de main­te­nir l’é­qui­libre glo­bal des effec­tifs atteint en 2002. L’ob­jec­tif de 100 000 réser­vistes est confir­mé et il est pré­vu d’en réa­li­ser 82 000 pour 2008.

Pour les dépenses en capi­tal, la durée des cycles de réa­li­sa­tion des pro­grammes d’ar­me­ment est d’en­vi­ron quinze ans. La LPM 97–02 a por­té l’ef­fort sur les déve­lop­pe­ments au détri­ment des fabri­ca­tions. La LPM 03–08 pré­voit le lan­ce­ment de ces réa­li­sa­tions en éta­lant l’ef­fort cor­res­pon­dant jus­qu’en 2015, par­fois au-delà. La part des fabri­ca­tions dans le titre V pas­se­rait ain­si de 37 % à 43 %.

Les originalités de la programmation 2003–2008

Sur le plan du contexte stra­té­gique, elle reste dans le cadre fixé en 1994 par le Livre blanc sur la défense, mais elle se doit de tenir compte des spec­ta­cu­laires avan­cées de l’Eu­rope de la défense. En cohé­rence avec les enga­ge­ments de la France, la LPM a don­né la prio­ri­té aux pro­grammes qui concourent à com­bler les lacunes recen­sées au Conseil euro­péen de Nice (décembre 2000). Seront ain­si amé­lio­rées les capa­ci­tés suivantes :

  • appré­cia­tion de situa­tion et aide à la décision,
  • sup­pres­sion des défenses anti­aé­riennes adverses,
  • pro­tec­tion et sau­ve­garde des combattants,
  • sau­ve­tage des pilotes au combat,
  • ravi­taille­ment en vol.


De façon conco­mi­tante, les pro­grammes en coopé­ra­tion voient leur part aug­men­ter dans les fabri­ca­tions, pas­sant de 8 % dans la période actuelle à 11 % du titre V. La signa­ture de la » Let­ter of Intent » (LoI)6 en juillet 2000 et la mon­tée en puis­sance de l’OC­CAR7 du côté des États et les rap­pro­che­ments récents entre indus­triels créent les liens durables de la dimen­sion euro­péenne de la défense. Sur le plan opé­ra­tion­nel, l’in­te­ro­pé­ra­bi­li­té et les struc­tures par­ta­gées (corps euro­péen) ou inter­opé­rables jus­ti­fient les efforts pré­vus au pro­fit des équi­pe­ments spa­tiaux (Syra­cuse et Hélios) comme envers les moyens de com­man­de­ment tac­tique et stra­té­gique indis­pen­sables à une force euro­péenne autonome.

Sur le plan de la méthode, l’é­la­bo­ra­tion de la LPM 03–08 a été mar­quée par l’a­dop­tion de l’ap­proche capa­ci­taire. Les contri­bu­tions des armées sont répar­ties par sys­tèmes de forces8 dont les capa­ci­tés concourent au même résul­tat opé­ra­tion­nel. Ana­ly­sés au tra­vers de ce prisme et sans s’at­ta­cher à l’ar­mée ou aux armées les four­nis­sant, les moyens de la Défense peuvent être pesés, com­pa­rés et ajus­tés afin de tenir, sans infla­tion, les équi­libres sou­hai­tés par le modèle 2015.

Depuis 1997, l’é­co­no­mie de plu­sieurs grands pro­grammes a pous­sé à grou­per, non seule­ment des com­mandes de maté­riels en série, mais aus­si d’y rat­ta­cher le cas échéant des com­mandes de déve­lop­pe­ment ou de com­po­sants ; le but étant de faire à terme une éco­no­mie d’é­chelle en échange de la confiance d’un contrat por­tant sur plu­sieurs années de livrai­sons. Bien que cela soit dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec la stricte règle vou­lant que les AP égalent les CP, la LPM 2003–2008 est orga­ni­sée pour main­te­nir des com­mandes glo­bales ; celles-ci devraient atteindre ain­si 20 % des paie­ments du titre V alors qu’elles en repré­sentent 7 % dans le bud­get 2001.

Le contenu du projet de LPM 2003–2008

Si le regard sur le pro­jet de LPM 03–08 ne révèle pas de rup­ture, il per­met de consta­ter d’a­bord que le domaine nucléaire semble sta­bi­li­sé autour des 20 % du titre V mal­gré la moder­ni­sa­tion en cours des deux com­po­santes de la dis­sua­sion. Par ailleurs, l’ef­fort atten­du en matière de recherche et tech­no­lo­gies (R&T)9 est axé sur 40 tech­no­lo­gies prio­ri­taires10 ; il se tra­duit par une amé­lio­ra­tion nette par rap­port aux bud­gets actuels et atteint 5 % du titre V.

Le pro­jet de LPM com­porte enfin une part de défis. Le pre­mier est atta­ché aux pré­vi­sions de coûts des pro­grammes d’ar­me­ment. Cal­cu­lés au plus juste, ils sup­posent acquis le béné­fice des syner­gies entre les armées (exemple de l’a­vion Rafale) des com­mandes plu­ri­an­nuelles et la réus­site des pers­pec­tives de coopé­ra­tion (exemple des futures capa­ci­tés de ren­sei­gne­ment d’o­ri­gine spatiale).

Une seconde incer­ti­tude est liée au suc­cès des nou­velles struc­tures de sou­tien créées (SIMMAD pour les maté­riels aéro­nau­tiques, SSF pour la flotte et SIMMT pour les équi­pe­ments ter­restres) qui doivent à terme redres­ser la dis­po­ni­bi­li­té des équi­pe­ments mais aus­si per­mettre de maî­tri­ser la ten­dance crois­sante des coûts de l’en­tre­tien pro­gram­mé des maté­riels (EPM).

Le pro­jet de LPM réa­lise un com­pro­mis har­di entre le besoin de doter les armées des moyens de faire face aux mis­sions réelles et poten­tielles, et la contrainte sur les coûts de la défense, elle-même s’ins­cri­vant de façon plus géné­rale dans l’ob­jec­tif de maî­trise des dépenses publiques comme la France s’y est enga­gée d’i­ci 2004.

L​ois de programme 1960–1964 1965–1970 1971–1975
Cou­ver­ture finan­cière3 40% du titre V e​n AP 70% du titre V en AP 100% du titre V en AP
Part du nucléaire fixée par la loi  20% 35% 33%
Nombre d’indicateurs de programmes 14 23 22
Objec­tif principal Créer la force nucléaire stratégique(FNS) Créer la force nucléaire stratégique Diver­si­fier la FNS et com­men­cer à doter les forces classiques
Lois de pro­gram­ma­tion militaire 1977–1982 1984–1988 1987–1991 1990–1993 1995–2000
Financement Titre III et titre V en CP Titre III en CP et titre V en AP/CP Titre III en CP et titre V en AP/CP Titre III en CP et titre V en AP/CP Titre III en CP et titre V en AP/CP
Part du nucléaire fixée par la loi –​ –​ 32% 30% 21%
Indicateurs 39 pro­grammes (com­mandes et livrai­sons). Acti­vi­té des forces4 46 pro­grammes (com­mandes et livrai­sons). Acti­vi­té des forces 6 maté­riels “ cibles ” - 63 pro­grammes (com­mandes et livraisons)
Objectif Reprendre les fabri­ca­tions “ clas­siques ” et atteindre 4% du PIBm5 Effort sur les études et la recherche Sou­te­nir les fabri­ca­tions à l’aide d’une forte crois­sance (6% par an) Crois­sance de 4% par an Assu­rer une crois­sance d’au moins 0,5% par an et si pos­sible accé­lé­rer en fin de période
Lois de pro­gram­ma­tion militaire 1997–2002 2003–2008 (pro­jet)
Financement Titre III en CP et titre V en AP/CP (les effec­tifs sont pro­gram­més à la fois en nombre et en dépense – CP). Fixa­tion de la règle AP = CP. Titre V en AP/CP (simple main­tien des effec­tifs au niveau atteint en 2002). Règle AP = CP maintenue.
Part du nucléaire fixée par la loi 21% 20%
Indicateurs 63 pro­grammes réfé­ren­cés. Taux d’activité et d’entraînement. Des­crip­tion de 45 pro­grammes. Quan­ti­té et qua­li­té de l’entraînement (tir, exer­cices inter­al­liés et savoir-faire spécifiques).
Objectif Pas­sage à l’armée pro­fes­sion­nelle. Pour­suite des déve­lop­pe­ments en cours. Conso­li­da­tion de la pro­fes­sion­na­li­sa­tion. Réa­li­sa­tion des équi­pe­ments nouveaux.

Évaluation de la programmation

À l’exa­men du gra­phique ci-des­sus, il appa­raît que les LPM n’ont jamais vrai­ment été exé­cu­tées11 comme elles avaient été votées. Cepen­dant, faut-il y voir une ambi­tion exces­sive, une inca­pa­ci­té de la défense à » défendre » ses besoins ou une ques­tion de méthode ?

Lors de l’é­la­bo­ra­tion du pro­jet pour 2003–2008, les états-majors se sont deman­dés si l’on pou­vait, avec un niveau de res­source don­né, conser­ver le cap sur le » modèle 2015 » ou pas. À l’é­vi­dence un mini­mum de cré­dits est néces­saire, mais en fixer le seuil plan­cher sup­po­se­rait une connais­sance déter­mi­niste de l’é­vo­lu­tion du monde et de la défense pour connaître pré­ci­sé­ment la réponse.

Il semble que le but d’une LPM n’est pas tel­le­ment de pré­ser­ver des reve­nus ou de jus­ti­fier des besoins mili­taires à un moment don­né car la nation sait être géné­reuse quand le dan­ger guette.

Il s’a­git de mieux dépen­ser, c’est-à-dire de dépen­ser intel­li­gem­ment, aux bons moments et en réser­vant les efforts aux domaines les plus impor­tants : le pro­blème n’est donc pas comp­table mais de l’ordre du management.

Si la loi orga­nique le sti­pule très exac­te­ment, les faits ont confir­mé depuis long­temps que l’an­nui­té de la LPM en cours ne sert que de repère sans impo­ser aucune obli­ga­tion à la loi de finances ini­tiale dotant le bud­get. Aus­si la LPM doit-elle être jugée non pas quant à son exé­cu­tion comp­table mais, autant que pos­sible, sur ses résul­tats en termes de moyens. Fai­sons l’a­na­lo­gie avec le plan d’o­pé­ra­tion mili­taire ; la ques­tion n’est pas pour le géné­ral Joffre en sep­tembre 1914 : Ai-je bien sui­vi mon plan à la lettre ? mais plu­tôt : Ai-je effec­ti­ve­ment arrê­té les armées adverses dans leur marche vers Paris ?

La dif­fi­cul­té est de mesu­rer si une pro­gram­ma­tion répond aux objec­tifs atten­dus ; elle est d’au­tant plus grande lorsque cette éva­lua­tion doit être conduite ab ini­tio. Des indi­ca­teurs ont été défi­nis dès les pre­mières lois de pro­grammes. Aujourd’­hui, ils sont de deux ordres.

Les pre­miers fixent pour une cin­quan­taine de pro­grammes des échéan­ciers de com­mandes et de livrai­sons ; d’autres indi­ca­teurs se rap­portent à l’en­traî­ne­ment et au fonc­tion­ne­ment cou­rant des armées ; ils fixent des objec­tifs quan­ti­ta­tifs et qua­li­ta­tifs en matière de sor­ties sur le ter­rain, de jours de mer et d’heures de vol ain­si qu’à l’ap­pren­tis­sage des prin­ci­paux savoir-faire.

LPM/LFI en MF 2000 (actua­li­sa­tion indice des prix du PIB)

Le suivi de la LPM

Le dérou­le­ment de la pro­gram­ma­tion fait l’ob­jet de contrôles et d’a­jus­te­ments réguliers.

Le Par­le­ment se fait pré­sen­ter chaque année un rap­port sur l’exé­cu­tion de la loi en cours. Ce rap­port se fonde sur les para­mètres finan­ciers et sur les indi­ca­teurs per­met­tant de rendre compte des pro­grès effec­tués et éven­tuel­le­ment des dif­fi­cul­tés rencontrées.

Pour sa part le ministre de la Défense conduit chaque année une révi­sion du réfé­ren­tiel12 de la pro­gram­ma­tion. Il peut ain­si, dans la limite de ses res­pon­sa­bi­li­tés, actua­li­ser ce réfé­ren­tiel de façon à opti­mi­ser la réa­li­sa­tion de la loi en cours. La pro­cé­dure de VAR (Ver­sion actua­li­sée du réfé­ren­tiel) donne une plus grande sou­plesse au dis­po­si­tif de la LPM et main­tient un lien étroit entre déci­deurs et exécutants.

Lorsque l’ac­tua­li­té le com­mande, le Gou­ver­ne­ment peut faire faire un point de situa­tion inter­mé­diaire pen­dant la période de pro­gram­ma­tion. En 1997, le nou­veau gou­ver­ne­ment a deman­dé une » revue des pro­grammes » qui s’est tra­duite par une légère révi­sion des objec­tifs et par une dimi­nu­tion des cré­dits pro­gram­més au titre V.

L’avenir de la programmation militaire

L’en­semble de ces pro­cé­dés per­met jus­qu’à pré­sent d’ex­ploi­ter le mieux pos­sible la pla­ni­fi­ca­tion et la pro­gram­ma­tion. Dans une pers­pec­tive moderne, ces pro­cé­dés appa­raissent cepen­dant lourds, par­fois inco­hé­rents et man­quant de réac­ti­vi­té. Des pistes existent pour amé­lio­rer la pro­gram­ma­tion militaire.

Si les Bri­tan­niques pra­tiquent une pro­gram­ma­tion glis­sante sur trois ans, elle ne concerne que les équi­pe­ments. Le glis­se­ment per­met de conser­ver une pro­fon­deur constante de l’a­na­lyse, tout en coor­don­nant au mieux pro­gram­ma­tion et bud­get. Les Alle­mands dis­posent d’une pla­ni­fi­ca­tion à quinze ans et d’un plan finan­cier enga­geant le gou­ver­ne­ment sur trois ans. Ils regrettent l’ex­ces­sive rigi­di­té de leur pro­cé­dure et cherchent une for­mule de pro­gram­ma­tion glis­sante sur trois à cinq ans. La ten­dance des Euro­péens va bien vers un dis­po­si­tif souple et le prin­cipe d’une pro­gram­ma­tion glis­sante est pro­ba­ble­ment à étu­dier pour la France.

Les Amé­ri­cains, à l’o­ri­gine du PPBS, ont consta­té plu­sieurs insuf­fi­sances de cette pro­cé­dure et les cher­cheurs de la RAND Cor­po­ra­tion13 ima­ginent d’en amé­lio­rer le fonc­tion­ne­ment de la façon suivante :

  • refor­mu­ler aux armées le conte­nu expli­cite de leur(s) mission(s),
  • relan­cer l’a­na­lyse et la pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique et en déduire les capa­ci­tés clés à détenir,
  • se doter d’ou­tils ana­ly­tiques pour com­pa­rer les dif­fé­rents pro­jets de programmation,
  • pen­ser à faci­li­ter le tra­vail des déci­deurs en matière de programmation,
  • ins­til­ler, dans la pro­cé­dure de pla­ni­fi­ca­tion-pro­gram­ma­tion, des pro­fes­sion­nels de la pros­pec­tive et de l’économie.


L’i­dée géné­rale est de res­ser­rer le lien et d’a­mé­lio­rer la cohé­rence entre ce qui est néces­saire au plan stra­té­gique et ce qui est pro­gram­mé, entre ce qui est déci­dé et ce qui est réa­li­sé. En ce sens, la réforme de l’or­don­nance 59–2 sur les finances publiques qui a été votée par le Par­le­ment en 2001 va exi­ger une plus grande trans­pa­rence. Les dépenses mili­taires, comme celles des autres minis­tères seront sui­vies par objec­tifs et à l’aide d’in­di­ca­teurs. La contre­par­tie en sera, comme l’in­diquent les Amé­ri­cains, la for­mu­la­tion des objec­tifs stra­té­giques confiés à la Défense nationale.

Les condi­tions du recru­te­ment des futurs sol­dats, la com­pé­tence des par­te­naires indus­triels dans quelques années, l’é­vo­lu­tion éco­no­mique des pays et le deve­nir de tech­no­lo­gies nais­santes sont autant d’in­cer­ti­tudes aux­quelles la pro­gram­ma­tion se heurte. Si les démarches actuelles intègrent cer­taines orien­ta­tions recom­man­dées par le PP30, la consti­tu­tion du modèle de réfé­rence ne peut résul­ter que d’une approche plus pros­pec­tive. Ouvert aux domaines non seule­ment tech­niques et opé­ra­tion­nels mais aus­si à ceux qui res­sortent de l’é­co­no­mie et des sciences humaines, ce tra­vail doit opé­rer en amont de l’a­na­lyse stra­té­gique et conduire à la pla­ni­fi­ca­tion.

La pro­gram­ma­tion est aus­si dif­fi­cile parce qu’elle relève d’un para­doxe ; on exige d’elle une réponse déter­mi­née et opti­male dans un envi­ron­ne­ment contin­gent par nature. Au-delà du para­doxe, le pire serait de ne pas faire de plan. Si les plus fins stra­tèges savent qu’il faut bous­cu­ler les plans de l’ad­ver­saire, cela sup­pose que ces plans, en l’ab­sence de génie, res­tent redoutables.

La pla­ni­fi­ca­tion et la pro­gram­ma­tion mili­taire consti­tuent un pro­ces­sus indis­pen­sable, dont les insuf­fi­sances doivent conti­nuer à faire l’ob­jet de cor­rec­tions et d’a­mé­lio­ra­tions. La sagesse consiste à leur conser­ver le rôle de réfé­rence sans pour autant qu’il faille être sur­pris si la réa­li­té pousse natu­rel­le­ment à s’é­car­ter du che­min tracé. 

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1. Plan­ning, pro­gram­ming and bud­ge­ting system.
2. Entre 1960 et 1970, les deux pre­mières lois de pro­grammes ne décri­vaient que 40 % puis 70 % du titre V. Seules les auto­ri­sa­tions de pro­grammes (AP) étaient explicitées.
3. Les dépenses publiques sont jus­qu’à aujourd’­hui répar­ties en titres, cha­pitres et articles. Le bud­get de la défense y voit ins­crit ses dépenses de fonc­tion­ne­ment (y com­pris les soldes) au titre III et les dépenses en capi­tal (inves­tis­se­ments) prin­ci­pa­le­ment au titre V.
4. Cette acti­vi­té est fixée annuel­le­ment à 180 h/pilote, 100 jours à la mer et 100 jours d’en­traî­ne­ment des forces terrestres.
5. La défense se donne en effet en 1977 l’ob­jec­tif de faire pas­ser le bud­get de la défense de 17 % du bud­get de l’É­tat à 20 %. En cours de loi, en 1979, en rai­son de la prise en compte d’im­por­tantes dépenses à carac­tère social, l’ob­jec­tif est rat­ta­ché au pro­duit inté­rieur brut mar­chand (PIBm).
6. Cet accord est signé entre les pays sui­vants : France, Royaume-Uni, Alle­magne, Ita­lie, Espagne et Suède.
7. OCCAR : Orga­ni­sa­tion conjointe de coopé­ra­tion en matière d’armement.
8. Les huit sys­tèmes de forces sont : dis­sua­sion ; com­man­de­ment, com­mu­ni­ca­tions, conduite et ren­sei­gne­ment ; mobi­li­té ; frappe dans la pro­fon­deur ; maî­trise du milieu aéro­ter­restre ; maî­trise du milieu aéro­ma­ri­time ; maî­trise du milieu aéro­spa­tial ; pré­pa­ra­tion et main­tien de la capa­ci­té opérationnelle.
9. Cet agré­gat se com­pose de la tota­li­té des études, y com­pris celles trans­fé­rées au CEA.
10. Ces 40 tech­no­lo­gies sont celles qui res­sortent du plan pros­pec­tif à 30 ans dit PP30.
11. Sans avoir ni dépen­sé autant que pré­vu ni atteint tous les objec­tifs fixés en 1996, la LPM 97–02 peut cepen­dant être consi­dé­rée comme une des mieux accomplies.
12. Le réfé­ren­tiel est un grand tableau actua­li­sé et détaillé des échéan­ciers phy­siques et finan­ciers sur la période de pro­gram­ma­tion, des opé­ra­tions rele­vant du bud­get de la défense, clas­sées par types (études, déve­lop­pe­ments et fabrications).
13. Impro­ving the Army PPBES par Roger Brown et John Schra­der 1999.

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