La formation militaire initiale des X à Barcelonette.

La formation “ défense ” des polytechniciens

Dossier : La politique militaireMagazine N°570 Décembre 2001
Par Gabriel de NOMAZY

Quelle influence la fin de la conscription a‑t-elle sur la formation des polytechniciens et à partir de quelle promotion la situation a‑t-elle évolué ?

Quelle influence la fin de la conscription a‑t-elle sur la formation des polytechniciens et à partir de quelle promotion la situation a‑t-elle évolué ?

C’est la pro­mo­tion X 2000 qui a inau­guré la nou­velle for­mule. Les X 99, eux, ont suivi une pre­mière année de cur­sus qui cor­re­spondait encore à un ser­vice nation­al. Les X 2000, par con­tre, ont fait un stage de for­ma­tion humaine et mil­i­taire, et il en sera de même pour les pro­mo­tions suiv­antes. La nuance est plus impor­tante qu’elle n’en a l’air. On ne raisonne plus en ter­mes de ser­vice à ren­dre à la nation.

Il s’ag­it désor­mais pour les élèves de recevoir une for­ma­tion qui les sen­si­bilise aux prob­lèmes de défense. Dans la péri­ode actuelle de sus­pen­sion de la con­scrip­tion en France, il est apparu impor­tant de con­solid­er les liens entre l’ar­mée et la société civile. Les poly­tech­ni­ciens ont voca­tion à par­ticiper active­ment à cette mis­sion durant toute leur car­rière pro­fes­sion­nelle. C’est dans ce sens qu’il faut com­pren­dre les pro­pos du min­istre de la Défense le 21 octo­bre dernier : ” Le main­tien du statut mil­i­taire pour les élèves français de l’É­cole poly­tech­nique dans le con­texte de la sup­pres­sion du ser­vice nation­al con­tribuera à ren­forcer le lien entre la nation et les armées. ”

Justement, quel statut militaire ont les polytechniciens des nouvelles promotions ?

Désor­mais, les élèves admis à l’X sig­nent un con­trat d’en­gage­ment ” en qual­ité d’élève offici­er de l’É­cole poly­tech­nique “. Ce con­trat cou­vre la total­ité du temps de sco­lar­ité soit qua­tre années à par­tir de la pro­mo 99 (excep­tion faite des élèves choi­sis­sant de servir dans un corps de l’É­tat, qui changent de statut en fin de troisième année). Les poly­tech­ni­ciens accè­dent au grade d’aspi­rant ” le pre­mier jour de la deux­ième année suiv­ant leur incor­po­ra­tion ” et sont nom­més sous-lieu­tenants de réserve à leur sor­tie de l’É­cole. Ils perçoivent une sol­de iden­tique, d’en­v­i­ron 3 000 francs, tout au long de leur sco­lar­ité. Une indem­nité per­me­t­tant de cou­vrir leurs frais d’en­tre­tien leur est ver­sée à par­tir de la sec­onde année.

Que se passe-t-il pendant le stage de formation humaine et militaire, qui occupe une grande partie de la première année du cursus à la place du service national ?

L’an­née com­mence par un mois de stage au cen­tre d’in­struc­tion de Barcelon­nette, dans les Alpes de Haute-Provence. C’est un cadre absol­u­ment superbe, qui per­met à la plu­part des élèves une tran­si­tion idéale entre les class­es pré­para­toires et une affec­ta­tion dans les forces armées. Les élèves quit­tent ensuite Barcelon­nette pour rejoin­dre l’é­cole d’ap­pli­ca­tion de l’ar­mée qu’ils ont choisie : l’É­cole navale pour la marine, Coëtquidan pour l’ar­mée de terre, l’É­cole de l’Air pour l’ar­mée de l’air et Melun pour la gen­darmerie et pour les élèves qui ont choisi d’être affec­tés ensuite dans des organ­ismes civils. Cette péri­ode en école d’ap­pli­ca­tion dure un à deux mois. Enfin arrive la péri­ode d’af­fec­ta­tion en unités mil­i­taires pour les trois quarts des élèves, dans des organ­ismes civils pour le quart restant (asso­ci­a­tion à car­ac­tère human­i­taire, mai­son d’ar­rêt, étab­lisse­ment sco­laire en zone d’é­d­u­ca­tion pri­or­i­taire, com­mis­sari­at de police…).


La for­ma­tion mil­i­taire ini­tiale des X à Barcelonette. 
 © THOMAS ARRIVÉ–ÉCOLE POLYTECHNIQUE

L’ob­jec­tif de toute cette péri­ode, qui se ter­mine le 1er mai de la 1re année, est avant tout de sen­si­bilis­er les élèves aux dif­fi­cultés des autres, de les ini­ti­er aux respon­s­abil­ités, et de leur don­ner une for­ma­tion d’of­fici­er de réserve.

Que se passe-t-il, sur le plan de la formation militaire, durant les autres années du cursus ?

Les élèves, comme aupar­a­vant, par­ticipent à de nom­breuses céré­monies : celles du 11 novem­bre et du 8 mai, celles de la présen­ta­tion au dra­peau et de la pas­sa­tion du dra­peau, et bien sûr celle du 14 juil­let (pour l’anec­dote, la reine d’Es­pagne, qui assis­tait au défilé du 14 juil­let dernier, m’a fait dire par Madame Chirac qu’elle avait par­ti­c­ulière­ment appré­cié la presta­tion des X 99).

Général de Nomazy.
Général de Nomazy. 

Les élèves suiv­ent égale­ment, durant leur for­ma­tion à Palaiseau, un cycle de con­férences sur le thème ” défense et affaires étrangères “1. Par ailleurs, plusieurs céré­monies des couleurs ont lieu à l’É­cole pen­dant l’an­née. De plus, depuis quelques mois, pour hon­or­er nos élèves étrangers, nous avons instau­ré une céré­monie (couleurs suiv­ies d’un petit-déje­uner) le jour de chaque fête nationale des pays représen­tés par nos élèves.

Mais cette for­ma­tion ne serait pas com­plète si elle se résumait en 2e et 3e années à ces quelques man­i­fes­ta­tions. Je crois qu’il est néces­saire en fin de 3e année, au moment où l’élève a les acquis pour quit­ter le plateau de Palaiseau, de clore cette for­ma­tion par un stage de quelques jours dans l’ar­mée dans laque­lle il a effec­tué son stage ini­tial. Au cours de ce stage, il pour­rait recevoir divers enseigne­ments sur la défense, assis­ter à des démon­stra­tions de matériel et être infor­mé sur le cur­sus dans la réserve.

Ce cur­sus devrait, à mes yeux, être attrayant, s’é­taler sur toute une car­rière pro­fes­sion­nelle et être spé­ci­fique aux poly­tech­ni­ciens. C’est à mon avis une oppor­tu­nité excep­tion­nelle à saisir pour les armées. C’est le moyen pour elles de dis­pos­er à moyen terme d’un relais d’opin­ion par­ti­c­ulière­ment effi­cace et com­pé­tent. C’est pourquoi nous allons met­tre en vigueur ce stage dès cette année.

Outre la volonté de conserver le lien armée-nation, quels sont les principaux intérêts que vous voyez dans le maintien du statut militaire des élèves ?

Une for­ma­tion mil­i­taire est por­teuse d’un cer­tain nom­bre de valeurs : sens du devoir, respon­s­abil­ité, sol­i­dar­ité… Ces valeurs seront utiles aux élèves même en dehors du con­texte mil­i­taire. Je me per­me­ts de citer à nou­veau le dis­cours pronon­cé par le min­istre de la Défense en octo­bre 2000 : ” Le statut mil­i­taire que l’É­cole a hérité de l’His­toire est un puis­sant atout pour l’avenir. Il est en effet essen­tiel que les poly­tech­ni­ciens, appelés à exercer d’im­por­tantes respon­s­abil­ités, acquièrent les qual­ités humaines qui en sont le sup­port, ain­si que le sens des respon­s­abil­ités civiques et sociales. Ce sont ces qual­ités qui leur per­me­t­tront d’ex­ercer leurs fonc­tions avec le sens de l’in­térêt col­lec­tif et la recon­nais­sance de leurs partenaires. ”

La passation du drapeau, à l'Ecole polytechnique
La pas­sa­tion du dra­peau. © THOMAS ARRIVÉ–ÉCOLE POLYTECHNIQUE

D’autres raisons, peut-être moins impor­tantes, jus­ti­fient la tutelle de la Défense sur Poly­tech­nique. D’abord, l’X est la plus grande école d’ingénieur du pays : le pres­tige qui l’en­toure retombe for­cé­ment sur la Défense. Ensuite, même si peu d’X choi­sis­sent de faire une car­rière mil­i­taire, ceux qui font ce choix per­me­t­tent de diver­si­fi­er les élites des armées. Enfin, l’X est un vivi­er essen­tiel de recrute­ment d’ingénieurs de l’armement.

Mais je voudrais insis­ter sur une autre rai­son. Les enseignants et les chercheurs de l’X, qui sont pour la plu­part de très haut niveau (une ving­taine d’en­tre eux sont mem­bres de l’A­cadémie des sci­ences) et qui habituelle­ment tra­vail­lent loin du monde mil­i­taire, peu­vent ici, à Palaiseau, établir des con­tacts appro­fondis avec des mil­i­taires et être tenus infor­més des besoins des armées. La Défense a tout à gag­n­er dans cette proximité.

De plus, le cen­tre de recherche de l’X (qui com­prend près de la moitié de l’ef­fec­tif présent sur le site) a des activ­ités qui intéressent directe­ment les armées, qu’il s’agisse de travaux sur les lasers, les réac­teurs à plas­ma, la cryp­tolo­gie infor­ma­tique, la prop­a­ga­tion des ondes, le traite­ment du sig­nal… Je remar­que d’ailleurs qu’aux États-Unis les cen­tres de recherche des grandes uni­ver­sités sont très large­ment irrigués par les sub­ven­tions du min­istère de la Défense.

Vous êtes directeur général de l’École depuis un an : comment percevez-vous les élèves et quel est d’après vous leur sentiment à l’égard des armées ?

Dans des pro­mo­tions de près de 500 élèves, il y a un peu tous les styles. Ce grand nom­bre m’in­ter­dit d’ailleurs de tous les con­naître et donc d’avoir un avis glob­al sur eux. Cepen­dant, cer­tains traits revi­en­nent régulière­ment. Je remar­que que les élèves ont une puis­sance de tra­vail impres­sion­nante, une com­préhen­sion rapi­de des prob­lèmes, une volon­té man­i­feste d’ou­ver­ture et un solide sens de l’humour.

Sur le plan mil­i­taire, on met sou­vent en avant le fait qu’il n’y ait que peu d’X qui, chaque année, ren­trent dans les armées. C’est un fait, mais à mon avis cela ne veut absol­u­ment pas dire que les X n’ont pas la ” fibre défense “. Leur atti­tude démon­tre d’ailleurs l’in­verse. Il y a tou­jours plus de can­di­dats que de places disponibles pour par­ticiper au défilé du 14 juil­let. L’an­née de ser­vice mil­i­taire était de plus en plus appré­ciée : elle est passée de 51 % d’élèves sat­is­faits en 1994 à 85 % cette année. Je ne doute pas que le stage de for­ma­tion humaine et mil­i­taire qui l’a rem­placée con­naisse un suc­cès au moins égal.

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1. Cette année vont inter­venir le général Ben­tegeat (chef de l’é­tat-major par­ti­c­uli­er du Prési­dent de la République), M. de Mont­br­i­al (directeur de l’IFRI), M. Bujon de l’Es­tang (ambas­sadeur de France aux États-Unis), M. de Villepin (prési­dent de la Com­mis­sion des affaires étrangères et de défense du Sénat), M. Glucks­mann (écrivain et philosophe).

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