La production informatique, élément majeur du fonctionnement des entreprises

Dossier : ExpressionsMagazine N°629 Novembre 2007
Par François-Bernard DENIZOT (67)
Par Daniel JONDET

Moins noble sans doute que le développe­ment aux yeux des spé­cial­istes, la pro­duc­tion infor­ma­tique con­stitue en fait l’élé­ment majeur du fonc­tion­nement des entre­pris­es. Dis­posant aujour­d’hui de méth­odes éprou­vées pour sat­is­faire l’u­til­isa­teur, la pro­duc­tion infor­ma­tique doit encore évoluer vers une meilleure prise de con­science de la notion de service.

La pro­duc­tion, ce sont certes des méth­odes et les proces­sus, mais ce sont aus­si des hommes. Ceux-ci sont appelés à une révo­lu­tion : pass­er de l’esprit pom­pi­er à l’esprit service.

Notre cama­rade Jean Ull­mo avait cru devoir com­mencer son ouvrage sur Le Prof­it par un théorème d’ex­is­tence. Il en va qua­si­ment de même pour le ser­vice, ou plus exacte­ment la famille de ser­vices, ren­du par la pro­duc­tion infor­ma­tique. La seule dif­férence c’est que nous ne le démon­trerons pas par un cal­cul, mais par l’ob­ser­va­tion de l’of­fre exis­tant sur le marché.

Ce doute exis­ten­tiel n’empêche pas que les car­ac­tères spé­ci­fiques de la gou­ver­nance de la pro­duc­tion sont con­nus depuis des décen­nies. Ils sont aujour­d’hui large­ment for­mal­isés grâce à l’I­TIL (voir encadré) qui n’a fait au fond que met­tre en forme et don­ner un statut nor­matif à des idées et des pra­tiques qui étaient « dans l’air » depuis longtemps.

Est-ce parce que l’in­for­ma­tique con­stru­it par nature des auto­mates que l’on a longtemps con­sid­éré, et que l’on con­sid­ère encore par­fois, qu’elle devait marcher toute seule, le corol­laire étant qu’il n’est besoin de per­son­ne pour ren­dre un ser­vice quel­conque à cet effet ?

His­torique­ment, la vie des sys­tèmes infor­ma­tiques a d’abord été le fait de col­lab­o­ra­teurs au pro­fil « d’au­teur-com­pos­i­teur-inter­prète », inter­venant de bout en bout pour con­cevoir, réalis­er, et exploiter les sys­tèmes infor­ma­tiques dont ils avaient la respon­s­abil­ité. Il n’é­tait pas ques­tion alors d’i­den­ti­fi­er un ser­vice spé­ci­fique de pro­duc­tion. Ce point d’his­toire n’au­rait qu’un intérêt très lim­ité si le phénomène ne se répé­tait pas à chaque rup­ture tech­nologique : il y a vingt ans, les pre­miers adeptes du « down­siz­ing » (diminu­tion de la taille des ordi­na­teurs) ont repro­duit trait pour trait les tâton­nements de leurs anciens du monde des « main­frames » (gros ordi­na­teurs), et le même retour en arrière s’est observé quand les micro-ordi­na­teurs ont pu pré­ten­dre au statut de serveurs, puis encore quand l’In­ter­net a amené le client léger. C’est sans doute ce qui explique qu’on ren­con­tre encore des maîtres d’ou­vrage qui ont gardé cette vision, et qui refusent à ce titre d’en­vis­ager de financer un ser­vice dont ils con­tes­tent l’existence.

La preuve par l’offre

La meilleure argu­men­ta­tion que l’on peut oppos­er à cette vision des choses est sans doute que l’on observe une offre spé­ci­fique sur le marché : le noy­au de ce qu’on appelle aujour­d’hui infogérance recou­vre bien pour l’essen­tiel la pro­duc­tion informatique.

Et d’ailleurs, cette offre se décom­pose en de nom­breuses presta­tions : l’héberge­ment, qui va de la sim­ple mise à dis­po­si­tion de sur­face dans des locaux sécurisés jusqu’à la four­ni­ture « d’én­ergie infor­ma­tique »1 ; le finance­ment ; la sur­veil­lance et la con­duite des opéra­tions, pour lesquelles on trou­ve des prestataires de télépi­lotage ; l’as­sis­tance aux util­isa­teurs ; les ser­vices de prox­im­ité, c’est-à-dire l’in­stal­la­tion, le démé­nage­ment ou encore la main­te­nance de postes de tra­vail et d’in­fra­struc­tures locales ; l’impres­sion, de la récep­tion des doc­u­ments sous leur forme élec­tron­ique à la mise en poste, qui a con­nu un suc­cès tel que les ser­vices internes ont pra­tique­ment dis­paru ; le « back­up », c’est-à-dire la mise en réserve de ressources mis­es à dis­po­si­tion des clients en cas de sin­istre, etc.

On peut sophis­ti­quer encore l’analyse avec l’émer­gence de nou­velles offres poten­tielles : l’in­té­gra­tion et la mise en pro­duc­tion des appli­ca­tions, qui est en général con­sid­érée comme très dépen­dante des sys­tèmes d’in­for­ma­tion, mais qui peut très bien faire l’ob­jet d’une presta­tion indus­trielle ; la mise à dis­po­si­tion des clients d’out­ils de « process mon­i­tor­ing », c’est-à-dire de sur­veil­lance de l’exé­cu­tion des proces­sus liés au méti­er de l’en­tre­prise au-delà de celle des proces­sus infor­ma­tiques ; le traite­ment du papi­er, qui entraîne bien d’autres ser­vices que l’im­pres­sion : la scanéri­sa­tion, l’archivage, le traite­ment du cour­ri­er, le traite­ment des chèques, etc. ; l’as­sis­tance spé­ci­fique à l’util­i­sa­tion d’outils d’in­térêt général, du type info­cen­tre ; l’archivage, dont la régle­men­ta­tion de plus en plus pré­cise et exigeante imposera un peu partout la mise en place de solu­tions indus­trielles, etc.

Des principes formels de gouvernance

ITIL, au ser­vice de l’entreprise
ITIL, abrévi­a­tion de Infor­ma­tion tech­nol­o­gy infra­struc­ture library (bib­lio­thèque de l’in­fra­struc­ture des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion), est un cadre de référence pro­posé par l’OGC (Office of Gov­ern­ment Com­merce) du Roy­aume-Uni pour servir de guide pra­tique aux ser­vices infor­ma­tiques. Il se pro­pose de dot­er les direc­tions infor­ma­tiques d’outils et de doc­u­ments per­me­t­tant d’amélior­er la qual­ité de leurs presta­tions en ter­mes de sat­is­fac­tion de leurs clients. ITIL vise à ce que l’in­for­ma­tique soit au ser­vice de l’en­tre­prise et non l’in­verse. ITIL se décom­pose en neuf domaines, cou­verts par neuf livres ou cahiers.

Les pro­fes­sion­nels con­nais­sent depuis longtemps les con­cepts clés qui fondent le fonc­tion­nement de la pro­duc­tion infor­ma­tique, ses rap­ports avec ses clients comme ses four­nisseurs. Mais c’est aux Bri­tan­niques que revient l’hon­neur, à tra­vers l’I­TIL, mise au point dans un cadre qui n’est pas sans évo­quer la façon dont les Français ont créé Racines et Merise2, de leur avoir don­né un statut nor­matif. Au cœur de cet ensem­ble se trou­ve la notion de con­trat de ser­vice qui est, pour le ser­vice récur­rent, le pen­dant du con­trat d’ap­pli­ca­tion pour le développement-intégration.

Pour l’anec­dote, on notera que la néces­sité de ce con­trat a sem­blé telle­ment évi­dente aux rédac­teurs de l’I­TIL que le cahi­er qui lui est con­sacré (« Ser­vice Lev­el Man­age­ment ») n’éprou­ve même pas le besoin d’en évo­quer les « ben­e­fits ».

Les deux autres con­cepts majeurs sont : la ges­tion des change­ments, qu’il faut en réal­ité enten­dre comme le proces­sus d’au­tori­sa­tion, de coor­di­na­tion, et de plan­i­fi­ca­tion de ces derniers. Il a pour objet de rompre le cer­cle vicieux change­ment — inci­dents bien con­nus de tous les prati­ciens ; la ges­tion des inci­dents qui a pour objet d’as­sur­er le rétab­lisse­ment du niveau de ser­vice, dont on ne peut dis­soci­er la ges­tion des prob­lèmes, pour l’érad­i­ca­tion des caus­es d’incidents.

L’ITIL dis­tingue encore bien d’autres dis­ci­plines qu’il n’est pas utile d’énumér­er ici. Pour­tant, elle est loin de recou­vrir l’ensem­ble des proces­sus qu’il y a lieu de met­tre en œuvre dans une pro­duc­tion infor­ma­tique. En par­ti­c­uli­er, les cahiers con­sacrés aux proces­sus opéra­tionnels sont aujour­d’hui très peu dévelop­pés. Par exem­ple, on ne trou­ve pas grand-chose sur la ges­tion des opéra­tions, qui va de l’élab­o­ra­tion du plan de tra­vail quo­ti­di­en à sa mise en œuvre et au con­trôle de son exé­cu­tion. Cela n’a pas grande impor­tance. En effet, les pro­fes­sion­nels maîtrisent nor­male­ment ces proces­sus aus­si bien sinon mieux que les proces­sus trans­vers­es et ce sont en général les mieux formalisés.

On notera au pas­sage qu’il existe abon­dance d’outils sur le marché pour sup­port­er l’exé­cu­tion des uns comme des autres.

De la culture de la crise à la maîtrise du service

Le noy­au de ce qu’on appelle aujourd’hui infogérance recou­vre bien pour l’essentiel la pro­duc­tion infor­ma­tique. Face à cette richesse, il est para­dox­al que les grands prestataires aient tout fait pour présen­ter « l’informatique » comme un ser­vice inté­gré, qui ne pou­vait faire l’objet que d’une délé­ga­tion glob­ale. L’éclatement de plus en plus fréquent des grands con­trats mono­prestataires rend cette vision de moins en moins crédible.

L’homme de pro­duc­tion est en général un per­son­nage éminem­ment sym­pa­thique. Un bon développeur ignore tout et tous ; il tuerait père et mère pour tenir ses délais. Au con­traire, son homo­logue de la pro­duc­tion ferait « les pieds au mur » pour ren­dre ser­vice à ses util­isa­teurs : rester « en salle » jusqu’à trois heures du matin pour faire pass­er un traite­ment imprévu, où s’at­tel­er nuit et jour à la réso­lu­tion d’un incident.

Pour dévelop­per des appli­ca­tions infor­ma­tiques, il suf­fit d’in­di­vidus moyens. Assur­er un ser­vice au jour le jour exige des esprits supérieurs.

Ce dévoue­ment, qui est sa car­ac­téris­tique pre­mière, a des con­trepar­ties qui ne sont pas tou­jours pos­i­tives. Comme c’est la seule sit­u­a­tion dans laque­lle il est recon­nu — on ne par­le jamais des trains qui arrivent à l’heure — l’homme de pro­duc­tion aime la crise. C’est cela qui lui inter­di­ra de dire non à une demande per­tur­ba­trice alors qu’il sait per­tinem­ment qu’il devrait le faire, ou qui le poussera à chercher indéfin­i­ment par lui-même l’o­rig­ine d’un inci­dent au lieu de se tourn­er vers des sup­ports externes sus­cep­ti­bles de l’i­den­ti­fi­er beau­coup plus rapidement.

Le défi des directeurs de pro­duc­tion pour les prochaines années est de trans­former cette cul­ture de la crise en maîtrise d’un ser­vice adap­té. L’homme de pro­duc­tion ne doit pas per­dre ce dévoue­ment qui est sa car­ac­téris­tique prin­ci­pale. Il doit l’ex­ercer à bon escient. Et pour cela il doit être par­faite­ment au fait des exi­gences pro­fondes des métiers de ses clients. Il doit savoir au jour le jour ce qui est impor­tant et ce qui ne l’est pas.

À cet effet, il doit met­tre en place et retrou­ver facile­ment des dossiers d’ex­ploita­tion con­tenant des con­signes claires et per­ti­nentes. Il doit organ­is­er des présen­ta­tions et des for­ma­tions, tant avec ses col­lègues des études qu’avec les maîtres d’ou­vrage, à l’oc­ca­sion de toute mise en pro­duc­tion importante.

On con­state que les direc­tions de pro­duc­tion qui ont mis en place cette poli­tique devi­en­nent les pre­miers déposi­taires de la con­nais­sance fonc­tion­nelle d’ensem­ble des sys­tèmes d’in­for­ma­tion, avant même les con­cep­teurs, les réal­isa­teurs ou les util­isa­teurs de ces systèmes.

___________________
1. On entend par énergie infor­ma­tique l’exé­cu­tion, par un processeur, d’in­struc­tions dans un envi­ron­nement multiclients.
2. Racines et Merise sont des méth­odes bien con­nues de développe­ment de pro­grammes informatiques.

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el mostafa srhirrépondre
11 novembre 2008 à 11 h 25 min

pro­duc­tion
avenir de la pro­duc­tion informatique

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