La pierre qui parle (1940–1945)

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°638 Octobre 2008Par : Marie Gatard, Préface de Max GalloRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)Editeur : L’esprit du livre 22, rue Jacques Rivière, 92330 Sceaux.

Couverture du livre : La pierre qui parleMarie Gatard est la fille de notre cama­rade Jean Frédéric Gatard (pro­mo 28), offici­er résis­tant fusil­lé par les Alle­mands. La pierre qui par­le est celle de Ramat­uelle sur laque­lle sont inscrits 320 noms de résis­tants des ser­vices secrets morts en dépor­ta­tion ou exé­cutés par les nazis (Gestapo ou Abwehr), ce livre nous racon­te leur his­toire, et on trou­ve en annexe 16 mes­sages de con­damnés à mort avant leur décès. La Résis­tance la moins con­nue est celle des ser­vices secrets qui sont par nature par­ti­c­ulière­ment dis­crets donc sus­cep­ti­bles de se faire oubli­er. Le témoignage du colonel Pail­lole, qui les dirigea, nous paraît essen­tiel, tout autant que celui de MAD, une Française de 36 ans, pro­fesseur de français à Vienne, qui adres­sa, des années durant, aux ser­vices français, des ren­seigne­ments sur les pro­jets nazis et les opéra­tions de l’armée alle­mande en Europe, et dont le nom n’est pas révélé.

Ce petit livre con­tient des infor­ma­tions nom­breuses et variées :
– sur les tor­tures, exé­cu­tions, dépor­ta­tions, organ­isées par les nazis,
– sur les exac­tions de la divi­sion « Das Reich » en 1944, à Rouf­fil­lac, Tulle, Mus­si­don, Oradour, Maillé,
– sur l’attitude courageuse et anti­hitléri­enne de cer­tains officiers alle­mands à qui des hom­mages sont ren­dus : l’amiral Canaris (pen­du en avril 1945 sur ordre d’Hitler), Erwin von Lahousen,
– sur Pétain (un vieil­lard sur un nuage) qui n’a pas pu ignor­er que Rémi Robelin, colonel de la garde de Vichy, résis­tant arrêté avec la com­plic­ité de Dar­nand, a été étran­glé dans sa cel­lule le 10 octo­bre 1943.

On trou­ve aus­si des réc­its impres­sion­nants et des let­tres d’adieu émou­vantes sur quelques fig­ures superbes de la Résis­tance des ser­vices secrets, je n’en évo­querai que quatre :
– Paulette Duhalde, la fée aux yeux clairs, qui trans­met­tait le cour­ri­er des ser­vices secrets et qui fut arrêtée et trans­férée à Fresnes puis à Ravens­brück où elle est morte,
– Claude Betsch, qui par­lait un alle­mand impec­ca­ble, ce qui lui per­mit d’être placé sous uni­forme alle­mand comme sous-offici­er à l’état-major de l’armée de l’air alle­mande avant d’être arrêté et exé­cuté au mont Valérien en 1942,
– Robert Keller, ingénieur des PTT, qui réus­sit à met­tre Hitler et Himm­ler sur écoutes par une déri­va­tion du câble Paris-Metz, qui fut dénon­cé comme agent gaulliste à la sol­de des Anglais et arrêté par la Gestapo. Il mour­ra à Bergen-Belsen en avril 1945,
– Stephan Frei­d­mann, qui avait un bureau à l’hôtel Luté­tia, ce qui lui per­mit de « fréquenter » des officiers alle­mands et de trans­met­tre à la Résis­tance l’organigramme de la Gestapo parisi­enne. Après son arresta­tion, il aurait été décapité dans la cour d’une prison.

J’ai été amené à relire deux ouvrages de mémoire sur la Résis­tance et les atroc­ités nazies : La guerre, mon père de la même Marie Gatard (édi­tions Bleu autour, cf. La Jaune et la Rouge, févri­er 2002), Mau­thausen : percer l’oubli (Mau­thausen, Melk, Ebensee) du général Pierre Saint Macary (l’Harmattan). Ceux qui s’intéressent à cette péri­ode de notre his­toire trou­veront infor­ma­tion et matière à réflex­ion. Le père de Marie Gatard a été arrêté le 24 mai 1943, après une ten­ta­tive d’évasion infructueuse, il fut trans­féré à la prison de Montluc à Lyon (où Jean Moulin et Ray­mond Aubrac ont été eux aus­si détenus), et c’est là qu’il a été fusil­lé le 6 août 1943. Pierre Saint Macary, arrêté en août 1944, fut aus­sitôt trans­féré à Mau­thausen, puis à Melk et délivré par les Améri­cains à Ebensee, le 6 mai 1945. À la fin des fins, c’est la vic­toire, la Libéra­tion et les fêtes qui l’ont accom­pa­g­née, c’est aus­si à juste titre l’épuration (qui a eu ses excès et c’est regret­table). Pierre Saint Macary a estimé qu’il était de son devoir de témoign­er, ne serait-ce que pour con­tr­er les néga­tion­nistes, Marie Gatard a voulu faire, elle aus­si, un tra­vail de mémoire en faveur d’une Résis­tance qu’elle admire (comme aujourd’hui la plu­part des Français, quelles que soient leurs tendances).

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