La Paix

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°578 Octobre 2002Par : d’Aristophane, dans une mise en scène de Stéphanie TessonRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Les lecteurs ont dû remar­quer que ces colonnes con­ti­en­nent par­fois des sortes de réserves à l’égard des met­teurs en scène con­tem­po­rains. Il ne s’agit pour­tant pas d’un par­ti pris et on y lira aujourd’hui tout le bien qui se peut exprimer sur le tra­vail accom­pli par Mme Stéphanie Tes­son en mon­tant La Paix d’Aristophane, en fait un mon­tage à par­tir de deux textes de l’auteur : Les Acharniens (425 av. J.-C.) et La Paix (421 av. J.-C.).

Aristo­phane n’avait pas beau­coup plus d’une ving­taine d’années lorsqu’il écriv­it ces deux comédies, en pleine guerre du Pélo­pon­nèse. Doué d’un vigoureux bon sens et sans doute per­son­nelle­ment réti­cent à l’égard de la démoc­ra­tie dém­a­gogique et va-t-en-guerre de son athéni­enne patrie, mais surtout con­scient, en homme de théâtre, de tout le par­ti comique à tir­er des aber­ra­tions du sys­tème poli­tique de son temps, il imag­ine dans Les Acharniens qu’un cer­tain Dikéopo­lis, habi­tant du dème d’Acharnes – dont les citoyens ne pas­saient pas pour intel­lectuelle­ment doués – décide de con­clure une paix séparée avec Sparte.

Cette paix per­son­nelle lui per­met de retrou­ver l’abondance et de ripailler et bais­er à loisir, à la colère indignée du chœur – les marchands de char­bon du lieu – et surtout au nez et à la barbe d’un mata­more fait général par la voix des urnes, grandil­o­quent lors de son départ au com­bat, mais en revenant fort éclopé et tout piteux.

Dans La Paix, Aristo­phane racon­te les mésaven­tures du paysan Trygée qui, fatigué de la guerre – tou­jours celle du Pélo­pon­nèse – s’envole vers l’Olympe à cal­i­four­chon sur un scarabée géant, préal­able­ment sural­i­men­té de crottes, afin de deman­der à Zeus de met­tre un peu de plomb dans la cervelle des belligérants.

Manque de pot, le dieu suprême et sa suite ayant démé­nagé au fin fond du ciel pour ne plus voir le spec­ta­cle de la bêtise humaine, il ne trou­ve qu’Hermès, lais­sé sur place à la garde du mobili­er et de la vais­selle. D’abord hargneux, Her­mès se laisse séduire par l’offrande d’un beau morceau de viande de sac­ri­fice et révèle l’endroit où est cachée la Paix : au fond d’un puits, enfouie sous un mon­ceau de pier­res. Après divers­es péripéties et aidé d’autres paysans, Trygée parvient à dégager la Paix, la ramène sur terre et, mal­gré les impré­ca­tions des marchands de cuirass­es et de lances, tout finit par des noces, des dans­es et des chansons.

Procé­dant à quelques allége­ments et coupures, redonnant à Trygée le nom de Dikéopo­lis, Stéphanie Tes­son a fon­du ces deux pièces en une seule, jouée au Théâtre Treize, et le résul­tat est un enchante­ment. Il s’agissait pour­tant bien d’une gageure : Aristo­phane est dif­fi­cile à mon­ter. Ses comédies, surtout celles de sa jeunesse, sont presque totale­ment dépourvues de con­struc­tion dra­ma­tique. Elles font plutôt penser à un enchaîne­ment d’entrées de clowns, de saynètes de guig­nol, de brefs sketch­es, certes bâtis autour d’un thème unique mais sans gra­da­tion dans le déroule­ment de l’action, si tant est que l’on puisse par­ler d’action. En out­re, pour répon­dre au goût du pub­lic athénien, il est un peu bien sou­vent ques­tion d’étrons, de pets, de culs à enfil­er, et pas seule­ment de ceux des filles!…

Tout cela peut sans doute amuser des lecteurs éru­dits, prompts à goûter la plaisan­terie attique, mais n’est guère facile à traduire en lan­gage scénique con­tem­po­rain. Sans par­ler des mots forgés, des ono­matopées, ni surtout des inces­santes allu­sions à l’actualité et aux tra­vers des politi­ciens véreux qui s’abattirent sur Athènes après la mort de l’aristocratique Péri­clès. Il est malaisé, de nos jours, d’interpréter les textes d’une manière de chan­son­nier tru­cu­lent du IVe siè­cle avant J.-C.

Appuyée d’abord sur l’excellente tra­duc­tion d’une jeune uni­ver­si­taire, Mali­ka Ham­mou, enseignant le grec à l’université de Toulouse et spé­cial­iste du théâtre antique, Stéphanie Tes­son y a mis tout son tal­ent, en par­ti­c­uli­er son expéri­ence du théâtre de mar­i­on­nettes dont les impérat­ifs de sim­plic­ité scénique s’accordent bien avec la juvénile spon­tanéité d’Aristophane, qui ne cherche pas “ midi à qua­torze heures ”, et dit tout crû­ment ce qui passe dans sa tête imag­i­na­tive et poé­tique. Sans lour­deur pour­tant, de sorte qu’il ne se mon­tre jamais vul­gaire, pareil en cela à notre Rabelais.

Appuyée aus­si sur des comé­di­ens remar­quables, dont en par­ti­c­uli­er Maxime Lom­bard, curieuse­ment voué d’abord à l’enseignement – il est agrégé de lin­guis­tique – puis passé à bonne école, celle d’Ariane Mnouchkine et de la Car­toucherie – Théâtre du Soleil. Il joue Dikéopolis.

On regret­tera seule­ment qu’une pareille mer­veille, créée en avril dernier à La Fila­ture de Mul­house, n’ait pu être jouée que deux mois à Paris. Un trop bref printemps

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