Polluants dans l'atmosphère suite aux incendies de forêt en Australie

La modélisation du transport de polluants dans l’atmosphère

Dossier : La mécaniqueMagazine N°752 Février 2020
Par Laurent MENUT
Par Sylvain MAILLER
Par Solène TURQUETY

L’actualité four­nit de nom­breux exem­ples de trans­port de pol­lu­ants dans l’atmosphère : les émis­sions des vol­cans peu­vent paral­yser la cir­cu­la­tion aéri­enne dans une vaste région, les incendies de forêt faire aug­menter la mor­tal­ité dans des villes par­fois assez éloignées… La mod­éli­sa­tion de la dif­fu­sion de ces pol­lu­ants est donc d’une util­ité recon­nue pour pren­dre les mesures de préven­tion néces­saires lors de tels événe­ments. Les pro­grès sont avérés en la matière.

Lorsqu’on passe à grande échelle spa­tiale, on ne cherche plus sim­ple­ment à car­ac­téris­er un pic de pol­lu­tion local : on ajoute la dimen­sion du trans­port et de la chimie sur des mil­liers de kilo­mètres et on passe d’un prob­lème à court terme à un prob­lème pou­vant dur­er sur plusieurs jours ou semaines. Les pro­jets de mod­éli­sa­tion réal­isés se focalisent sur la tro­posphère, c’est-à-dire les dix pre­miers kilo­mètres de l’atmosphère. Ils cou­vrent dif­férents types de phénomènes, liés aux activ­ités humaines mais égale­ment à des sources naturelles ponctuelles et poten­tielle­ment extrême­ment intens­es, comme les soulève­ments d’aérosols déser­tiques, les érup­tions vol­caniques et les feux de bio­masse. La quan­tifi­ca­tion et la prévi­sion de ces sources et des panach­es asso­ciés restent actuelle­ment un défi majeur pour la com­mu­nauté sci­en­tifique, qui fait l’objet de plusieurs pro­jets dédiés au LMD.


REPÈRES

Le lab­o­ra­toire de météorolo­gie dynamique (LMD) de l’École poly­tech­nique étudie un grand nom­bre de proces­sus physique et chim­ique présents dans l’atmosphère. Cela cou­vre les proces­sus qui vont de la petite échelle, comme une ville, à la cir­cu­la­tion glob­ale ; les échelles de temps de la sec­onde (tur­bu­lence) au mil­lé­naire (le cli­mat). Par­mi ces études, l’équipe InTro développe (avec l’Insti­tut Iner­is) le mod­èle de chimie-trans­port Chimere. C’est un out­il numérique qui per­met de cal­culer l’évolution spa­tiotem­porelle de con­cen­tra­tions chim­iques en fonc­tion des con­di­tions météorologiques et d’émission de précurseurs de ces pol­lu­ants. Cet out­il a été dévelop­pé pour des études de pol­lu­tion tout d’abord à l’échelle régionale (c’est le mod­èle de prévi­sion à Air­parif et AtmoPaca, par exem­ple), puis à l’échelle nationale (avec le sys­tème Prev’Air), puis européenne (avec CAMS-Coper­ni­cus). Plus récem­ment, il a été éten­du à de plus grandes échelles spa­tiales, jusqu’à simuler le trans­port à l’échelle hémisphérique. 


Le cas des aérosols désertiques

Les aérosols déser­tiques sont qua­si inertes chim­ique­ment mais représen­tent la plus forte con­tri­bu­tion au bilan de masse glob­al des aérosols. Ils sont émis par éro­sion éoli­enne là où la sur­face ter­restre est sèche et érod­able : prin­ci­pale­ment les régions déser­tiques. Leur mise en sus­pen­sion dans l’atmosphère est un proces­sus tur­bu­lent déli­cat à simuler car il faut représen­ter des sur­faces à petite échelle, leur tex­ture, leur rugosité, la végé­ta­tion et la tur­bu­lence en sur­face, pour déter­min­er si l’aérosol minéral va être mis en sus­pen­sion ou non. 

Une fois la mise en sus­pen­sion iden­ti­fiée, il faut représen­ter sa dis­tri­b­u­tion en taille (en général de 0,1 à 40,0 µm) et ses pro­priétés optiques, les aérosols pou­vant faire un écran très effi­cace au ray­on­nement solaire. Les derniers travaux sur le sujet ont con­cerné tout d’abord le thème général de la vari­abil­ité sous-maille : pour représen­ter un proces­sus de petite échelle dans un domaine à grande échelle, on pour­rait utilis­er une réso­lu­tion fine mais cela serait trop coû­teux en temps de cal­cul. On va plutôt priv­ilégi­er des dis­tri­b­u­tions sous-maille des proces­sus clés que l’on doit représen­ter. Le vent étant un déclencheur majeur de l’émission de ces aérosols, le mod­èle a été enrichi de dis­tri­b­u­tions sous-maille sur le relief et la rugosité, per­me­t­tant d’obtenir une meilleure pré­ci­sion dans le calcul.

Afin d’enrichir l’information sur la con­sti­tu­tion de ces aérosols, la minéralo­gie des sols est aus­si, depuis peu, prise en compte : la dif­féren­ci­a­tion des aérosols per­me­t­tra d’avoir des infor­ma­tions plus pré­cis­es sur le trans­port, mais per­me­t­tra aus­si de mieux ren­seign­er les mod­èles de biogéochimie marine, ces derniers ayant besoin de con­naître la minéralo­gie des dépôts sur l’océan pour mieux mod­élis­er la crois­sance planc­tonique. Les don­nées des sols per­me­t­tent de con­naître la part rel­a­tive de quartz dans le limon. Cela per­met ensuite, lors de l’émission puis du trans­port, de suiv­re la com­posante quartz de la pous­sière. On peut main­tenant utilis­er une grande vari­abil­ité des infor­ma­tions lors du cal­cul : on passe d’une espèce moyenne dust à l’ensemble des minéraux com­posant ces pous­sières désertiques.

Pourcentage de quartz dans les limons.
Pour­cent­age de quartz dans les limons. Les limons con­stituent une grande par­tie des zones érod­ables. La dis­crim­i­na­tion des minéraux sur cette région per­met d’avoir accès à des infor­ma­tions plus per­ti­nentes sur les émis­sions, le trans­port et les dépôts de ces aérosols naturels.

Le cas des émissions volcaniques

Autre source naturelle de pol­lu­ants atmo­sphériques, les vol­cans. Par exem­ple, au cœur de la Méditer­ranée l’Etna est une source sub­stantielle de dioxyde de soufre, SO2, et ses émis­sions sont de deux types. Une par­tie des émis­sions est due au dégazage pas­sif, qui se traduit par un flux con­tinu de SO2 tout au long de l’année vers la basse tro­posphère. Le reste se pro­duit au cours d’explosions brèves et spec­tac­u­laires, qui advi­en­nent à rai­son d’un ou plusieurs événe­ments par mois au cours des péri­odes de forte activ­ité du vol­can. Ces explo­sions injectent des mass­es très impor­tantes de SO2 dans la tro­posphère libre, voire dans la basse stratosphère, sur des péri­odes de temps de quelques heures.

Out­re leur impact économique et san­i­taire, ces injec­tions se traduisent par d’importants panach­es de SO2 qui ont une sig­na­ture extrême­ment claire sur les mesures du satel­lite IASI (entre autres), ce qui per­met d’observer leur struc­ture hor­i­zon­tale avec une finesse spa­tiale de quelques kilo­mètres, mais aus­si de fournir des infor­ma­tions sur leur altitude.

indice de réfraction pour une espèce dust moyenne et les minéraux qui la constituent
Par­tie imag­i­naire de l’indice de réfrac­tion pour une espèce dust moyenne et les minéraux qui la con­stituent. Le cal­cul des pro­priétés optiques étant très sen­si­ble à ce paramètre, bien dif­férenci­er les minéraux va per­me­t­tre d’avoir un cal­cul d’impact radi­atif plus précis.

Du point de vue du développe­ment d’un mod­èle de chimie-trans­port, cette car­ac­téris­tique est une véri­ta­ble aubaine. En effet, si les mod­èles eulériens de chimie-trans­port sont util­isés régulière­ment pour représen­ter des panach­es issus de toutes sortes d’événements (érup­tions vol­caniques, acci­dents indus­triels, etc.), ils con­tin­u­ent à se heurter à une dif­fi­culté majeure : la dif­fu­sion numérique due aux sché­mas de trans­port util­isés dans les modèles. 

La mod­éli­sa­tion des panach­es de l’Etna, dont on con­naît très fine­ment la source dans le temps et dans l’espace (explo­sions très sur­veil­lées) et dont on est capa­ble de suiv­re durant plusieurs jours la tra­jec­toire par satel­lite, per­met de tester les capac­ités des mod­èles et d’apporter la preuve de la valeur ajoutée de nou­velles straté­gies de trans­port (util­i­sa­tion de sché­mas dits « antid­if­fusifs » par exem­ple) en com­para­i­son avec la réal­ité. C’est l’objectif du pro­jet TROMPET (TRans­pOrt en Méditer­ranée des Panach­es vol­caniques de l’ETna), mis en œuvre au LMD grâce au sou­tien de la direc­tion générale de l’armement. Ce tra­vail devrait per­me­t­tre d’améliorer à l’avenir la finesse de la représen­ta­tion du trans­port d’autres types de traceurs chim­iques (issus d’accidents indus­triels par exem­ple), qui eux ne sont pas observ­ables par satellite.

“Les grandes quantités de polluants émis par
les incendies altèrent considérablement la qualité
de l’air sur de grandes régions.”

Le cas des feux de forêt

Les feux de bio­masse représen­tent une source majeure de nom­breux gaz à l’état de traces et de par­tic­ules fines. À l’échelle du globe, les feux de bio­masse sont par­ti­c­ulière­ment intens­es et fréquents dans les régions trop­i­cales, sou­vent en lien avec les activ­ités agri­coles (déforesta­tion, cul­ture sur brûlis). Ils sont plus vari­ables aux moyennes lat­i­tudes et dans les régions boréales. En dehors des feux agri­coles, récur­rents, les feux sont forte­ment liés aux con­di­tions météorologiques et hydrologiques, à la quan­tité de végé­ta­tion disponible et à la sécher­esse du com­bustible. Une vague de chaleur et des vents vio­lents vont favoris­er la prop­a­ga­tion d’un incendie. Cepen­dant, le déclenche­ment est très sou­vent d’origine anthropique (nég­li­gence, déclenche­ment volon­taire…) ; en Europe dans plus de 90 % des cas. 

Dans le cas d’incendies par­ti­c­ulière­ment intens­es (« mégafeux »), les feux peu­vent aus­si génér­er leur pro­pre météorolo­gie, avec le développe­ment de la con­vec­tion liée à la chaleur dégagée par le feu par exem­ple (pyro­con­vec­tion) et d’orages. Les con­di­tions de prop­a­ga­tion de l’incendie sont alors mod­i­fiées, ren­dant le feu par­ti­c­ulière­ment dif­fi­cile à con­trôler, par exem­ple pen­dant les feux de brousse en Aus­tralie 2019–2020. La dis­per­sion des panach­es de pol­lu­ants asso­ciés est égale­ment mod­i­fiée. Ain­si, même si le risque météorologique peut être cal­culé, une prévi­sion réal­iste à court terme des incendies est impos­si­ble. La sur­veil­lance par satel­lite apporte alors un sou­tien impor­tant puisqu’elle per­met un suivi en temps réel des points chauds et des sur­faces brûlées.

Les grandes quan­tités de pol­lu­ants émis par les incendies altèrent con­sid­érable­ment la qual­ité de l’air sur de grandes régions. Par exem­ple, des con­cen­tra­tions en par­tic­ules fines supérieures à 200 µg/m3 (le seuil d’alerte régle­men­taire étant fixé à 80 µg/m3) ont été relevées pen­dant plusieurs jours à San Fran­cis­co ou à Lis­bonne pen­dant des épisodes de feux ces dernières années, villes pour­tant situées à plusieurs cen­taines de kilo­mètres, ce qui paral­yse l’activité dans de grandes zones urbaines. Lors de mégafeux, comme en Aus­tralie cet hiv­er, des panach­es extrême­ment dens­es, com­posés notam­ment de dioxyde de car­bone (CO2), de monoxyde de car­bone (CO) et de par­tic­ules fines (aérosols organiques en majorité), peu­vent avoir un impact à l’échelle de tout l’hémisphère.

Pour pren­dre en compte cette source majeure, le LMD développe un mod­èle de cal­cul des émis­sions fondé sur la détec­tion par satel­lite et asso­ciant un type de végé­ta­tion brûlée, une den­sité de bio­masse cor­re­spon­dante et des fac­teurs d’émission pour dif­férentes espèces chim­iques. Mal­gré les incer­ti­tudes impor­tantes liées au car­ac­tère peu prévis­i­ble des feux, au manque d’observations et à cer­tains proces­sus encore mal représen­tés, pren­dre en compte ces émis­sions pour l’étude de la pol­lu­tion atmo­sphérique est indis­pens­able, ce d’autant plus qu’on s’attend à une aug­men­ta­tion du risque d’incendie dans tout l’hémisphère Nord en rai­son du change­ment climatique.

Simulation du panache de SO2 issu de l’éruption de l’Etna du 18 mars 2012
Sim­u­la­tion du panache de SO2 issu de l’éruption de l’Etna du 18 mars 2012 avec le mod­èle Chimere. Cette sim­u­la­tion a été obtenue avec un sché­ma antid­if­fusif, 99 niveaux ver­ti­caux, une réso­lu­tion hor­i­zon­tale de 5 km (800 x 400 mailles pour cou­vrir l’ensemble de la tra­jec­toire du panache). La com­para­i­son avec les don­nées satel­li­taires a mon­tré la valeur ajoutée du sché­ma antid­if­fusif et du grand nom­bre de niveaux ver­ti­caux par rap­port à une con­fig­u­ra­tion plus clas­sique du modèle.

Des modèles en constante amélioration

L’ensemble de ces mod­éli­sa­tions reste en développe­ment, de nom­breux proces­sus restant mal expliqués et donc mal représen­tés dans le mod­èle, d’autres n’étant pas encore représen­tés du tout. Par exem­ple, tout récem­ment les pre­mières études de cou­plage entre la météorolo­gie et la chimie ont été implan­tées dans ce mod­èle. L’impact des pol­lu­ants sur la météorolo­gie est main­tenant pris en compte à haute fréquence tem­porelle (quelques min­utes). L’effet dit « direct » des aérosols sur l’atténuation du ray­on­nement va entraîn­er une mod­i­fi­ca­tion de la tem­péra­ture près de la sur­face, puis de la tur­bu­lence, du vent et donc du transport. 

L’effet dit « indi­rect » va mod­uler la for­ma­tion des nuages en fonc­tion de la présence et des car­ac­téris­tiques des aérosols pou­vant servir de noy­au de con­den­sa­tion. Ces effets se cumu­lent dans le temps et il faut donc un out­il numérique assez pré­cis pour les décrire sur le court terme, mais aus­si pour cal­culer ces effets sur de longues péri­odes et bien quan­ti­fi­er leur impact à long terme. Encore bien loin d’être par­faits, ces mod­èles sont en con­stante amélio­ra­tion et leur util­i­sa­tion devient de plus en plus robuste pour la prévi­sion de la pol­lu­tion, mais aus­si pour les scé­nar­ios futurs con­cer­nant les vari­a­tions pos­si­bles du cli­mat et des émissions.


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