Livraison d'un repas en roller

La livraison instantanée, nouveau service dans les métropoles

Dossier : L'internet des objetsMagazine N°723 Mars 2017
Par Laetitia DABLANC

La demande est forte, mais le client ne veut pas payer. Le déve­lop­pe­ment se heurte à des contraintes éco­no­miques juri­diques, concer­nant le droit du tra­vail et la sécu­ri­té, et à des contraintes pra­tiques, concer­nant l’a­dap­ta­tion de la ville à ces nou­veaux services. 

Les grandes métro­poles béné­fi­cient de pres­ta­tions logis­tiques effi­caces : appro­vi­sion­ne­ment d’activités éco­no­miques d’une très grande diver­si­té, éva­cua­tion de déchets en tout genre et réponse aux demandes de consom­ma­teurs de plus en plus exi­geants, notam­ment liées au e‑commerce.

« Le développement des livraisons instantanées concerne avant tout les centres des très grandes villes »

Chaque jour, les ménages newyor­kais reçoivent près de 800 000 livrai­sons à domi­cile et les éta­blis­se­ments éco­no­miques plus de 1,4 mil­lion (Rens­se­laer Poly­tech­nic Institute). 

Cette offre logis­tique métro­po­li­taine s’est enri­chie depuis deux ou trois ans d’un nou­veau ser­vice : la « livrai­son ins­tan­ta­née », que l’on peut défi­nir comme un ser­vice de livrai­son B2B, B2C ou C2C sur demande en moins de deux heures qui met en rela­tion des cour­siers – per­sonnes pri­vées, auto-entre­pre­neurs ou employés – des déten­teurs de mar­chan­dises et des consom­ma­teurs au moyen d’une pla­te­forme numérique. 

REPÈRES

Les services logistiques qui irriguent les métropoles ont un coût social et environnemental non négligeable, notamment parce que le secteur utilise des véhicules utilitaires polluants : en Île-de-France, pour seulement 20 % des véhicules-kilomètres sur la voirie, le transport des marchandises est responsable de 33 % des émissions d’oxydes d’azote

UBÉRISATION DE L’ÉCONOMIE URBAINE

Les livrai­sons ins­tan­ta­nées sont direc­te­ment liées à l’ubérisation de l’économie urbaine et, pour cer­taines, au crowd­sour­cing, modèle éco­no­mique dans lequel les par­ti­cu­liers sont invi­tés à pro­fi­ter de dépla­ce­ments per­son­nels (en voi­ture, en vélo, en trans­port en com­mun…) pour trans­por­ter des marchandises. 

« Des milliers de particuliers dédommagés de l’ordre de 1 à 2 euros par livraison »

Le déve­lop­pe­ment des livrai­sons ins­tan­ta­nées concerne avant tout les centres des très grandes villes. Il se déve­loppe dans le monde entier, en par­ti­cu­lier aux États- Unis, en Europe, au Japon, en Corée et en Chine. 

Il engendre une mobi­li­té des mar­chan­dises très par­ti­cu­lière. Les livrai­sons ins­tan­ta­nées bous­culent la rou­tine de l’approvisionnement des villes. Elles ouvrent une série de ques­tions éco­no­miques, juri­diques, sociales et politiques. 

DE LA SOCIÉTÉ UNIPERSONNELLE À LA GRANDE ENTREPRISE

Le nombre d’entreprises de livrai­son ins­tan­ta­née (nous enten­dons par entre­prises les enti­tés qui pos­sèdent l’algorithme de mise en rela­tion) est dif­fi­cile à quan­ti­fier et évo­lue en per­ma­nence mais il en existe plu­sieurs cen­taines en Europe. 


Si Foo­do­ra, Deli­ve­roo et Allo Res­to tiennent le cap, TakeEa­tEa­sy et Tok Tok Tok ont dépo­sé le bilan en 2016.

Elles sont très variées, de la petite start-up can­ton­née à quelques quar­tiers à la très grande entre­prise (Uber­RUSH et Ube­rEATS, Ama­zon Prime Now) dont la pres­ta­tion a voca­tion à s’appliquer de façon qua­si uni­forme dans les grandes villes du monde. 

Le ser­vice Prime Now d’Amazon, qui livre gra­tui­te­ment en moins de deux heures les membres de son ser­vice Pre­mium, est aujourd’hui dis­po­nible dans 27 villes aux États-Unis, 7 en Europe (dont Paris depuis juillet 2016) et une au Japon. Le type de pro­duits concer­nés par la livrai­son ins­tan­ta­née va des plats pré­pa­rés (res­tau­rants et trai­teurs) à l’épicerie géné­rale et, de plus en plus, aux pro­duits de grande consommation. 

Cer­tains ser­vices sont dédiés à des mar­chés très spé­cia­li­sés comme les objets volu­mi­neux. Cer­tains sont basés sur le crowd­sour­cing.

En Europe, le test de DHL à Stock­holm est le plus pous­sé à ce jour : recru­tés via Face­book, plu­sieurs mil­liers de par­ti­cu­liers, appe­lés les myway­sers, dédom­ma­gés de l’ordre de 1 à 2 euros par livrai­son, ont livré à domi­cile des colis du e‑commerce lorsque leur iti­né­raire cor­res­pon­dait à une demande de livrai­son. Le ser­vice a été aban­don­né devant la réti­cence des e- com­mer­çants (et des des­ti­na­taires) à payer pour le service. 

Aux États-Unis, sur un cré­neau assez sem­blable (mais les cadres régle­men­taires nord-amé­ri­cains et euro­péens sont sans doute trop dif­fé­rents pour effec­tuer des com­pa­rai­sons), Ama­zon a réus­si à déve­lop­per son ser­vice Ama­zon Flex, qui engage des par­ti­cu­liers pour livrer des colis Ama­zon. Le ser­vice a été récem­ment intro­duit au Royaume- Uni. 

UN MODÈLE ÉCONOMIQUE MAL ASSURÉ

Le modèle éco­no­mique reste fra­gile et de nom­breuses entre­prises ont déjà jeté l’éponge. Le ser­vice eBay Now démar­ré en 2011 à New York puis Dal­las, Chi­ca­go et San Fran­cis­co avait été stop­pé à la fin de l’année 2014. 

100 000 LIVRAISONS PAR SEMAINE SUR PARIS

D’après nos estimations, les entreprises de livraison instantanée représentaient, à la mi-2016, environ 0,2 livraison par ménage par semaine à Paris, soit 100 000 livraisons par semaine, représentant 10 % des livraisons à domicile et 3 % du total des livraisons et enlèvements de marchandises de l’Île-de-France.

Le belge TakeEa­tEa­sy, opé­rant dans toute l’Europe, fai­sait faillite en juillet 2016, obli­geant en France ses 200 employés ain­si que plu­sieurs mil­liers de livreurs indé­pen­dants à se tour­ner vers de nou­velles pla­te­formes numé­riques, dont les deux grands concur­rents sur le sec­teur de la livrai­son de repas, Deli­ve­roo (d’origine bri­tan­nique) et Foo­do­ra (un groupe allemand). 

Une entre­prise plus petite, Tok Tok Tok, d’origine fran­çaise, a arrê­té ses acti­vi­tés en sep­tembre 2016 et ven­du son algo­rithme à Just Eat, une autre socié­té britannique. 

TakeEa­tEa­sy a lar­ge­ment média­ti­sé son échec, en expli­quant com­ment la hausse rapide de ses tra­fics n’avait pas suf­fi à convaincre les inves­tis­seurs à répondre à une nou­velle demande de fonds : avec une offre qui a explo­sé en quelques mois, le sec­teur est peut-être satu­ré et com­mence à s’autoréguler.

Post­mates, une socié­té active aux États-Unis, créée par un entre­pre­neur alle­mand émi­gré à San Fran­cis­co en 2011, est, elle, une suc­cess sto­ry qui dure. L’entreprise s’est diver­si­fiée, pas­sant d’un ser­vice dédié aux res­tau­rants à une offre géné­ra­liste au ser­vice des com­mer­çants, petits et grands, des agglo­mé­ra­tions urbaines, se posi­tion­nant ain­si comme un « anti-Amazon ». 

Elle comp­tait à la fin 2015 sur un pool de 6 000 cour­siers. Elle est aujourd’hui pré­sente dans une cen­taine de villes amé­ri­caines et pour­rait atteindre un béné­fice net en 2017, déjouant les pré­dic­tions habi­tuelles sur le sec­teur (Tech­Crunch, 25 avril 2016). 

DROIT DU TRAVAIL ET SÉCURITÉ

Livraison de colis en vélo
En France, pour contour­ner l’inscription au registre des trans­por­teurs légers, beau­coup de livrai­sons sont effec­tuées à vélo. © BLURAZ / SHUTTERSTOCK, INC.

Le modèle social des livrai­sons ins­tan­ta­nées est radi­ca­le­ment nou­veau et pose des pro­blèmes de sécu­ri­té rou­tière (les cour­siers sont géné­ra­le­ment payés à la tâche et sus­cep­tibles de mul­ti­plier les courses au mépris du res­pect du code de la route) et de droit du tra­vail et du transport. 

Les livreurs sont dans leur très grande majo­ri­té des cour­siers indé­pen­dants, qui se connectent via une appli­ca­tion pour rece­voir des ordres de livrai­son. Comme pour l’ensemble des jobs de type « Uber », leur sta­tut est juri­di­que­ment dans une zone grise. 

La régle­men­ta­tion fran­çaise du trans­port rou­tier de mar­chan­dises impose l’inscription au registre des trans­por­teurs légers à toute acti­vi­té de trans­port de mar­chan­dises pour compte d’autrui au moyen d’un véhi­cule moto­ri­sé : les ser­vices de livrai­son ins­tan­ta­née se sont ain­si mas­si­ve­ment tour­nés vers les courses à vélo (ou vélo à assis­tance élec­trique, consi­dé­ré en l’espèce comme non motorisé). 

Des courses moto­ri­sées sont cepen­dant fré­quentes, quoique illé­gales. Qu’arriverat- il en cas d’accident ? Aux États-Unis, une telle règle ne s’applique pas, mais de nom­breux conten­tieux sont en cours visant à impo­ser aux plates-formes de livrai­son la requa­li­fi­ca­tion des cour­siers indé­pen­dants en salariés. 

Des conten­tieux et demandes de requa­li­fi­ca­tion ont éga­le­ment été enga­gés en France, sur la base d’éléments tels que l’impossibilité de fixer, ou du moins de négo­cier, sa propre rému­né­ra­tion, contrai­re­ment à la situa­tion des pres­ta­taires free­lance en général. 

LIVRAISONS GRATUITES

En 2014, le PDG de eBay avait fait remarquer qu’il n’y avait pas de modèle économique pour la livraison instantanée si le destinataire ne voulait pas la payer. Sur ce point cependant, deux ans après, Amazon Prime Now semble bien pousser le marché à tendre vers des livraisons « gratuites ».

PREMIERS CONFLITS SOCIAUX

« Les livreurs sont dans leur très grande majorité des coursiers indépendants »

À Londres, les pro­tes­ta­tions des cour­siers pen­dant l’été 2016 ont momen­ta­né­ment empê­ché l’adoption obli­ga­toire du nou­veau contrat. Des orga­ni­sa­tions de type coopé­ra­tif se mettent, timi­de­ment, en place pour fédé­rer les auto-entre­pre­neurs du sec­teur de la livraison. 

En Bel­gique, une majo­ri­té des cour­siers de TakeEa­tEa­sy étaient affi­liés à la socié­té mutuelle des artistes et indé­pen­dants (la SMart) et lui fac­tu­raient leur pres­ta­tion : ils sont ain­si les seuls, en Europe, à avoir per­çu leur rému­né­ra­tion pour le tra­vail four­ni en juillet avant la faillite de l’entreprise. Les cour­siers fran­çais, eux, n’ont pas été payés. 

UN NOUVEAU TRAFIC À INTÉGRER DANS L’ESPACE PUBLIC

Les ges­tion­naires des villes doivent doré­na­vant comp­ter avec ces nou­veaux services. 

UNE RÉMUNÉRATION QUI ÉVOLUE À LA BAISSE

Un phénomène observé récemment, qui avait déjà été noté pour les services de transport de personnes à la demande (Uber, Lyft), est celui de l’évolution de la courbe de rémunération : élevée au début, pour attirer un nombre suffisant de coursiers dans un environnement très compétitif, puis progressivement diminuée au fur et à mesure que se consolident les entreprises restées en vie.
Deliveroo a annoncé en octobre 2016 à ses coursiers la fin du paiement à l’heure (assorti d’une commission supplémentaire par livraison) et l’introduction d’une rémunération entièrement basée sur le nombre de livraisons.

D’abord, pour la ges­tion du tra­fic : l’addition de dizaines de mil­liers de livrai­sons à vélo ou scoo­ters, quand ce n’est pas en rol­ler ou trot­ti­nette, dans les rues des grandes villes ren­force l’hétérogénéité des usages de la voi­rie publique, tou­jours redou­tée des ingé­nieurs du trafic. 

Ensuite, pour l’organisation de l’urbanisme : garan­tir une livrai­son en moins de deux heures signi­fie que le point de départ (le picking) de la mar­chan­dise doit se situer à rela­tive proxi­mi­té du point d’arrivée chez le consom­ma­teur. Pour cou­vrir la des­serte d’une majo­ri­té des habi­tants de Los Angeles, Ama­zon a ain­si eu besoin de loca­li­ser cinq entre­pôts de 5 000 à 6 000 m2 cha­cun dans l’agglomération, à des endroits stra­té­giques et tous très urbains. 

« Les gestionnaires des villes doivent dorénavant compter avec ces nouveaux services »

Or, le mar­ché de l’immobilier logis­tique urbain est très limi­té. Les zones logis­ti­co-indus­trielles et le petit arti­sa­nat ont été pro­gres­si­ve­ment pous­sés hors des villes (phé­no­mène de logis­tics sprawl) et il est doré­na­vant dif­fi­cile de trou­ver des sur­faces en ville de plus de 3 000 m2.

En France, la légis­la­tion est stricte et les plans locaux d’urbanisme res­tric­tifs face à l’accueil d’activités logis­tiques. Le PLU de Paris tout récem­ment adop­té fait excep­tion, en pré­voyant l’identification d’espaces logis­tiques urbains, mais rares seront ceux qui auront la taille recher­chée par les pres­ta­taires logistiques. 

UNE CROISSANCE INEXORABLE DE LA DEMANDE

Colis de livraison Amazon
À Los Angeles, Ama­zon a créé cinq entre­pôts de 5 000 à 6 000 m2 cha­cun à des endroits stra­té­giques et tous très urbains. © TRONG NGUYEN / SHUTTERSTOCK, INC.

Il est encore tôt pour tirer un bilan d’une acti­vi­té en forte émer­gence mais dont le modèle éco­no­mique et social est fluc­tuant et fragile. 

Si Uber a réus­si dans le trans­port des per­sonnes, c’est parce que les clients fai­saient face à un défi­cit de qua­li­té (taxis insuf­fi­sants, prix éle­vés). Dans le sec­teur du trans­port de mar­chan­dises, le ser­vice est ren­du (aucune rup­ture d’approvisionnement majeure dans les grandes villes !) et géné­ra­le­ment de qualité. 

L’équation éco­no­mique est par ailleurs très dif­fi­cile à trou­ver en rai­son d’un phé­no­mène bien connu pour la livrai­son urbaine, notam­ment celle des­ti­née aux par­ti­cu­liers : des coûts éle­vés (livrer en ville est com­plexe) mais des prix bas (les des­ti­na­taires, d’une façon géné­rale, sont de plus en plus réti­cents à payer le vrai prix d’une livrai­son, ou plu­tôt sont réti­cents à savoir qu’ils le paient). 

Il n’est pas sûr que l’innovation prin­ci­pale des livrai­sons ins­tan­ta­nées, l’utilisation d’un pool de cour­siers dis­po­nibles à la demande, puisse per­mettre de répondre aux défis de ce sec­teur, du moins dans des condi­tions sociales acceptables. 

La crois­sance de la demande des consom­ma­teurs pour des livrai­sons ins­tan­ta­nées, en tout cas dans les très grandes villes, paraît cepen­dant inexorable. 

Livraison instantanée à Los Angeles par Amazon

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davidrépondre
18 avril 2017 à 5 h 15 min

c’est inté­res­sant mais comme

c’est inté­res­sant mais comme vous le sou­le­vez il faut consi­dé­rer cer­tains pro­blèmes, je pense aux acci­dents de la route mais après il y a beau­coup de piste cyclable, et il faut être sen­sé aus­si : livrai­son ins­tan­ta­née s’op­pose à la livrai­son dans la semaine, si je suis dans mon cam­ping à Sar­lat et que je passe com­mande pour des légumes par ex et que je les récep­tionne 2 heures plus tard où est le pro­blème ? on va deve­nir des gamins carac­té­riels si on prend le mot « ins­tan­ta­né » à la lettre

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