Le préfet LEPINE

Sécurité : un monde en pleine révolution

Dossier : L'internet des objetsMagazine N°723 Mars 2017
Par Thierry DELVILLE

L’arrivée des nou­velles tech­no­lo­gies signi­fie à la fois l’arrivée de nou­velles menaces et de nou­veaux outils pour les com­battre. L’ar­ri­vée de la science induit un chan­ge­ment de com­por­te­ment des hommes de la sécu­ri­té, métier où le fac­teur humain a tou­jours été for­te­ment repré­sen­té, mais autre­fois très centralisé. 

Dans ce contexte, les acteurs de la sécu­ri­té s’organisent. Le minis­tère de l’Intérieur tout d’abord, qui pilote l’activité des poli­ciers et gen­darmes, du ren­sei­gne­ment inté­rieur mais aus­si, dans une gou­ver­nance par­ta­gée avec les col­lec­ti­vi­tés locales, des sapeurs-pompiers. 

« Le monde de la sécurité représente près d’un million d’emplois »

D’autres acteurs éta­tiques éga­le­ment, comme les mili­taires qui sont enga­gés dans l’opération « Sen­ti­nelle » depuis les atten­tats de 2015 ou éga­le­ment les doua­niers et les sur­veillants pénitentiaires. 

La sécu­ri­té, c’est aus­si de façon gran­dis­sante les acteurs de la sécu­ri­té pri­vée. Le monde de la sécu­ri­té repré­sente près d’un mil­lion d’emplois, selon une étude Pipame menée en 2015 dans le cadre des tra­vaux de la filière indus­trielle de sécurité. 

REPÈRES

La sécurité ou plutôt l’insécurité se situe aujourd’hui derrière le chômage en deuxième position des préoccupations des Français.
Les années 2015 et 2016 ont fortement marqué dans les esprits l’idée qu’une menace terroriste était désormais bien présente dans notre vie quotidienne et que le risque demeure présent durablement.

DES HOMMES ET DES MOYENS

C’est un sec­teur où le fac­teur humain a tou­jours été for­te­ment repré­sen­té. Les débats sur les effec­tifs de la police et la gen­dar­me­rie sont anciens et régu­liers dans les hémi­cycles. Aujourd’hui, la ques­tion est bien plus de savoir com­bien il faut d’hommes et de femmes dans un commissariat. 

Il serait bon aus­si de déter­mi­ner clai­re­ment l’adéquation entre les besoins de sécu­ri­té et la réponse appor­tée : com­bien d’hommes certes, mais avec quels moyens tech­niques ou technologiques ? 

Les métiers de la sécu­ri­té s’appuient de plus en plus sur les tech­no­lo­gies de pointe. Qu’il s’agisse de la police tech­nique et scien­ti­fique, du ren­sei­gne­ment ou des tech­niques d’intervention pour les forces de l’ordre comme pour les pom­piers, il est aujourd’hui deve­nu plus que néces­saire d’adapter l’exercice des métiers de la sécu­ri­té avec des dis­po­si­tifs constam­ment à l’état de l’art.

UN LENT CHEMINEMENT

L’introduction des tech­no­lo­gies, notam­ment celles qui accé­lèrent la cir­cu­la­tion de l’information, n’est pas tou­jours allée de soi dans un domaine où les struc­tures sont par néces­si­té hié­rar­chi­sées et où les pro­ces­sus de déci­sion se font d’abord de haut en bas. 

UN RÊVE QUI DEVIENT RÉALITÉ

Un ancien directeur général de la police avait coutume de dire qu’il dirigeait une entreprise de main‑d’oeuvre et qu’il rêvait de la faire évoluer vers une entreprise de haute technologie sans pour autant laisser de côté le nécessaire facteur humain qui demeure essentiel lorsque l’on parle de la protection d’une population.
Peut-on considérer que son rêve est devenu réalité à l’heure de la digitalisation, des réseaux sociaux, des drones ou encore des objets connectés ?

Il est amu­sant de relire les mémoires des com­mis­saires Goron et Macé, anciens chefs de la sûre­té de Paris, qui, à la fin du XIXe siècle, ne sup­por­taient pas de pas­ser par la police muni­ci­pale, seule dotée de moyens de trans­mis­sion « modernes ». 

Long­temps chasse gar­dée des res­pon­sables muni­ci­paux, les appa­reils télé­pho­niques ont en effet atten­du plu­sieurs années avant de pou­voir être uti­li­sés par les ser­vices d’enquêtes.

Dans un hori­zon plus récent, l’arrivée d’Internet et des mes­sa­ge­ries per­son­nelles ne s’est pas non plus impo­sée comme une évi­dence tant il appa­rais­sait ris­qué de voir cir­cu­ler sans contrôle une infor­ma­tion qui d’ordinaire ne pou­vait qu’être véhi­cu­lée via le ser­vice du « Télex ». 

L’HEURE DU WEB 2.0 ET DU BIG DATA

Ces temps paraissent si loin et pourtant… 

« En moyenne chaque objet connecté comporte entre 10 et 25 failles de sécurité »

La sécu­ri­té est aujourd’hui confron­tée à une nou­velle vague d’évolutions tech­no­lo­giques, celle du Web 2.0 faite de réseaux sociaux qui trans­mettent l’information avant même qu’elle n’arrive par voie offi­cielle, celle du big data qui ouvre des pers­pec­tives consi­dé­rables mais fait dans le même temps cou­rir des risques impor­tants sur l’exercice des liber­tés indi­vi­duelles ou encore celle des objets connec­tés qui sou­lèvent de manière intrin­sèque la ques­tion de l’équilibre entre la faci­li­té d’usage, la pra­ti­ci­té de leur emploi et la sécu­ri­té des don­nées qu’ils véhi­culent ou de la sécu­ri­té de leur bon fonctionnement. 

Une étude menée en 2014 par Sie­mens éta­blis­sait qu’en moyenne chaque objet connec­té com­por­tait entre 10 et 25 failles de sécu­ri­té. On com­mence à voir appa­raître des attaques signi­fi­ca­tives via des réseaux d’objets connectés. 

L’EXPLOSION DE LA SCIENCE DE LA SÉCURITÉ

Alors faut-il craindre l’évolution tech­no­lo­gique dans les métiers de la sécu­ri­té ? La réponse est évi­dem­ment non si l’on se réfère aux trente der­nières années, que ce soit en matière de pro­tec­tion des agents (avec des maté­riaux tou­jours plus per­for­mants, notam­ment pour la résis­tance au feu, mais aus­si aux armes à feu), d’accélération du temps néces­saire à l’élucidation des enquêtes avec les apports de l’informatique, de la bio­mé­trie ou encore de la chimie. 

La science de la sécu­ri­té a connu ces der­nières décen­nies une véri­table explo­sion qui fait écho à celle que consti­tua à la fin du XIXe l’apport de la cri­mi­na­lis­tique et de l’identité judi­ciaire où la France por­ta très haut le sens du mot inno­va­tion avec des pion­niers comme Alphonse Ber­tillon ou Edmond Locard. 

SÉCURITÉ ET SOCIÉTÉ


Le pré­fet Lépine a moder­ni­sé l’équipement des forces de police dès la fin du XIXe siècle.

Alphonse Bertillon
 
Alphonse Ber­tillon est le créateur
de l’anthropométrie judiciaire.

Quelles tech­no­lo­gies ou quels virages tech­no­lo­giques répondent aux défis que devront rele­ver les pom­piers, gen­darmes et poli­ciers dans les années à venir ? Poser cette ques­tion sup­pose de réflé­chir au préa­lable à l’évolution de la socié­té vers laquelle nous allons et la place qu’y occu­pe­ront les ques­tions de sécurité. 

Les études pros­pec­tives fran­çaises et étran­gères récentes per­mettent de tra­cer, à l’horizon 2020–2025, les grandes évo­lu­tions d’un monde mar­qué par un contexte inter­na­tio­nal en bou­le­ver­se­ment, tra­ver­sé par des nou­velles menaces ter­ro­ristes, la pour­suite de la tran­si­tion éner­gé­tique, l’évolution démo­gra­phique, les consé­quences des chan­ge­ments cli­ma­tiques ou encore la confron­ta­tion entre les grandes puis­sances d’hier et celles qui émergent sur le plan économique. 

UN MONDE PROFONDÉMENT TRANSFORMÉ

L’apport des tech­no­lo­gies trans­forme fon­da­men­ta­le­ment le monde de la sécu­ri­té. Jusqu’à pré­sent, l’activité judi­ciaire se mesure dans le contexte tra­di­tion­nel du vol à main armée ou du tra­fic de stu­pé­fiants sur la base d’une nomen­cla­ture où sont enre­gis­trés les faits consta­tés et les faits élu­ci­dés, pour l’essentiel sur le ter­ri­toire français. 

« Se positionner à l’international sur un marché en forte croissance pour les années à venir »

Le déve­lop­pe­ment des cyber­me­naces et du volet cyber­cri­mi­nel rend ces cri­tères caducs. Les don­nées sont répar­ties dans le cloud ; le recel et la revente de don­nées, d’objets illi­cites voire de tra­fic d’organes se font sur le dark­net avec des ser­veurs répar­tis par­tout dans le monde. 

Le trai­te­ment des affaires repose sur la mise en œuvre d’accords inter­na­tio­naux qui prennent beau­coup de temps à être adop­tés puis à s’appliquer alors que les inno­va­tions tech­no­lo­giques et leur détour­ne­ment à des fins mal­veillantes défient chaque jour un peu plus l’équilibre des forces. 

REPENSER LE RÔLE DE L’ÉTAT

Drone sur une centrale nucléaire
Les drones consti­tuent une nou­velle forme de menace mais peuvent aus­si ser­vir les forces de sécu­ri­té. © GILLES PAIRE – 14KTGOLD / FOTOLIA.COM – PHOTOMONTAGE

Les tech­no­lo­gies évo­luent et le monde de la sécu­ri­té opère sa révo­lu­tion. De nom­breuses acti­vi­tés en lien avec la cyber­sé­cu­ri­té sont assu­rées par des entre­prises du numérique. 

Si les grands groupes du CAC 40 ont pu créer les SOC (secu­ri­ty ope­ra­tions cen­ter, nou­veaux centres de com­man­de­ment de la cyber­sé­cu­ri­té) pour coor­don­ner leur sécu­ri­té, il n’en va pas de même pour les mil­liers de PME qui sont sous la menace du ran­som­ware ou d’une cybe­rat­taque à des fins qui vont de la délin­quance d’appropriation clas­sique à l’espionnage industrielle. 

Si la délin­quance « tra­di­tion­nelle » et les enjeux de sécu­ri­té demeu­re­ront, l’évolution de la sécu­ri­té du monde numé­rique appelle une adap­ta­tion du posi­tion­ne­ment de l’État vers un rôle plus régu­la­teur tra­vaillant dans un cadre par­te­na­rial élargi. 

L’autre enjeu pour l’État et l’ensemble des acteurs de sécu­ri­té réunis autour de lui pour rele­ver les défis aux­quels doit faire face la socié­té du XXIe siècle est de s’organiser pour anti­ci­per et pré­pa­rer les solu­tions aux défis pré­sents ou à venir. 

C’est l’esprit de la filière indus­trielle de sécu­ri­té (Cofis) mise en place en 2013 pour éta­blir des ponts entre des acteurs qui d’un côté cherchent à sor­tir de la logique de « l’achat sur éta­gère », des cher­cheurs qui s’approprient plei­ne­ment le thème de la sécu­ri­té dans toutes ses dimen­sions et des acteurs éco­no­miques qui s’organisent pour appor­ter des réponses aux besoins des métiers et par là même se posi­tion­ner à l’international sur un mar­ché en forte crois­sance pour les années à venir.

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