La dette des municipalités

Dossier : Libres ProposMagazine N°533 Mars 1998Par : Pierre MOULIN (49), conseiller municipal, Commission Finances

Et pour­tant, par le biais des tax­es locales — fonci­er bâti et habi­ta­tion pour ne citer que les prin­ci­pales — cha­cun con­tribue aux recettes de sa com­mune, dont une part non nég­lige­able est affec­tée au ser­vice — cap­i­tal et intérêts — de la dette. Ain­si, nul ne devrait se dés­in­téress­er de la ges­tion qui est faite de la dette de sa commune.

Cette dette résulte d’emprunts con­trac­tés au fil des années passées, autant que de besoin pour des investisse­ments d’u­til­ité publique, pour des péri­odes de dix ou quinze ans, voire vingt ou vingt-cinq ans, le plus générale­ment à taux fixe.

Ceci explique la sur­vivance aujour­d’hui de rem­bourse­ments à des taux d’in­térêt annuel de 10 % et plus, taux des prêts con­sen­tis aux munic­i­pal­ités qui reflé­tait le rythme d’in­fla­tion des décen­nies précé­dentes et le coût cor­rélatif des ressources des organ­ismes prê­teurs (emprunts oblig­ataires placés auprès du public).

L’in­fla­tion ayant été durable­ment maîtrisée et, en résul­tat, le loy­er de l’ar­gent ayant forte­ment bais­sé, les munic­i­pal­ités se sont souciées de refi­nancer à moin­dre coût leurs emprunts aux taux les plus élevés.

S’agis­sant des emprunts dont le rem­bourse­ment anticipé s’ac­com­pa­gne du paiement d’une indem­nité égale à un semes­tre d’in­térêt du cap­i­tal restant dû, les dis­cus­sions avec les organ­ismes prê­teurs, sans être pour autant faciles, aboutis­sent à des accords de refi­nance­ment, soit à un taux fixe notable­ment moin­dre, soit à un taux vari­able le plus sou­vent indexé sur le PIBOR*, donc bas au départ.

Il n’en va pas de même des emprunts dont le rem­bourse­ment anticipé est régi par la clause suivante :

” Une indem­nité est due dans le cas où le taux de réem­ploi du cap­i­tal par le prê­teur est inférieur au taux ini­tial du prêt don­nant lieu à rem­bourse­ment. Cette indem­nité est égale à la dif­férence, en valeur actu­al­isée au taux de réem­ploi, entre :
— d’une part les annu­ités de rem­bourse­ment qu’au­rait pro­duites le cap­i­tal rem­boursé, sur la base du taux ini­tial et sur la durée restant à courir,
— et d’autre part, les annu­ités d’un prêt de même mon­tant au taux de réemploi. ”

Sur cette indem­nité dite ” actu­ar­ielle “, le représen­tant d’un des organ­ismes prê­teurs la pra­ti­quant porte le juge­ment écrit suivant :

” Une telle indem­nité per­met de neu­tralis­er l’opéra­tion (de réamé­nage­ment) ; elle fait pay­er à l’emprunteur la majeure par­tie de la dif­férence entre les intérêts dus au taux d’o­rig­ine jusqu’à la fin du con­trat et ceux cal­culés au taux de réaménagement.
C’est donc une opéra­tion qua­si­ment blanche si l’on repart sur un emprunt au même taux que celui ser­vant de cal­cul au réamé­nage­ment… à moins de choisir de repar­tir sur un prêt à taux révisable. ”

On ne peut être plus lucide et clair sur le sort — sévère — réservé à l’emprunteur. Les chiffres ” vécus ” qui suiv­ent l’illustrent.
Pour un emprunt de 302 000 F souscrit en 1994 pour une durée de quinze ans au taux fixe de 10,10 % auprès d’un étab­lisse­ment français spé­cial­isé dans le finance­ment des col­lec­tiv­ités locales, la munic­i­pal­ité en cause a sol­lic­ité des offres de refi­nance­ment par un nou­veau prêt, soit à taux fixe, soit à taux révis­able indexé sur le PIBOR.

• En octo­bre 1996, le mon­tant du cap­i­tal restant dû s’él­e­vait à 270 760 F. Pour un refi­nance­ment au taux fixe de 6,50 %, l’in­dem­nité actu­ar­ielle s’él­e­vait à 55 740 F, soit 21 % de ce cap­i­tal. L’in­té­gra­tion de cette indem­nité dans le nou­v­el emprunt con­dui­sait à un mon­tant de 326 500 F, supérieur de 8 % au mon­tant ini­tial… après trois années de ser­vice de la dette.

La propo­si­tion était dif­fi­cile­ment acceptable.
• Mi-décem­bre 1996, après paiement d’une nou­velle échéance, le mon­tant du cap­i­tal restant dû s’él­e­vait à 258 170 F. Pour un refi­nance­ment à taux vari­able indiqué être au départ 3,89 %, l’in­dem­nité actu­ar­ielle s’él­e­vait à 72 305 F, soit 28 % de ce cap­i­tal. L’in­té­gra­tion de cette indem­nité dans le nou­v­el emprunt con­dui­sait à un mon­tant de 330 475 F, supérieur de 9,4 % au mon­tant initial.

La déci­sion du Con­seil munic­i­pal fut donc de con­serv­er cet emprunt au taux de 10,10 %, alors même que le seuil de l’usure - taux à ne pas dépass­er, applic­a­ble par tous les étab­lisse­ments ban­caires à compter d’oc­to­bre 1996 — venait d’être fixé à 11 % pour les crédits d’in­vestisse­ment d’une durée supérieure à deux ans à taux fixe.

Mais cette oblig­a­tion ne con­cer­nait que les prêts aux entreprises !

Certes, les étab­lisse­ments prê­teurs doivent servir les emprunts oblig­ataires qu’ils ont placés sur le marché durant la dernière décen­nie à des taux attrac­t­ifs en regard du rythme d’in­fla­tion de l’époque : soit, s’agis­sant d’un de ces établissements :

— 10 % en 1987,
— 8,9 % et 9 % en 1988,
— 10,4 % en 1990.

Est-il pour autant nor­mal que, à tra­vers ces étab­lisse­ments, le bud­get des com­munes finance les revenus de cap­i­taux oblig­ataires à des taux élevés désor­mais sans rap­port avec le coût actuel de l’ar­gent, alors que l’ab­sence de tout risque et la faible prob­a­bil­ité de nou­velle infla­tion ne le jus­ti­fient plus ?

Et, s’agis­sant des ren­tiers détenant ces titres oblig­ataires, que leur sert de touch­er de con­fort­a­bles intérêts, si ces revenus sont util­isés à pay­er des impôts locaux fixés à des taux élevés pour con­tribuer à un bud­get com­mu­nal gon­flé du rem­bourse­ment à des taux qua­si usuraires d’une dette de fait non renégociable ?

En cause est cette clause d’in­dem­nité actu­ar­ielle, dont nom­bre d’or­gan­ismes publics français à voca­tion de finance­ment des col­lec­tiv­ités locales tirent leur sécu­rité finan­cière et béné­fi­cient d’un avan­tage devenu exor­bi­tant et abusif, et par là con­tra­dic­toire à leur voca­tion même.

Cette clause ne devrait-elle pas être déclarée — par cir­cu­laire, décret ou loi selon que le cas l’ex­ige — ” léo­nine et donc illé­gale “, sinon dans son principe, du moins au regard des con­di­tions actuelles et prévis­i­bles du loy­er de l’argent.

Cor­réla­tive­ment, les organ­ismes prê­teurs, pour assur­er le néces­saire équili­bre de leurs comptes entre coût des ressources et ren­de­ment des emplois, seraient con­duits à amor­tir leurs emprunts publics aux taux les plus élevés avant leur date con­tractuelle d’amor­tisse­ment — et pour ce faire en tant que de besoin offi­cielle­ment déliés des engage­ments con­traires pris à l’émis­sion de ces emprunts — à pro­por­tion des mon­tants de dette à taux qua­si usuraire dont les com­munes deman­deraient le refi­nance­ment à moin­dre taux, sans pénal­ité plus sévère que le semes­tre d’in­térêt du cap­i­tal restant dû ?

Une telle poli­tique au ser­vice des col­lec­tiv­ités locales con­duirait sans doute à des résul­tats financiers moins bril­lants des organ­ismes prê­teurs. Mais elle serait con­forme à leur final­ité, et d’une actu­al­ité et util­ité certaine.

En effet, pour la com­mune dont les chiffres ” vécus ” ont été cités, les économies de rem­bourse­ment de dette qu’elle réalis­erait du fait de taux ramenés de 10 % à — dis­ons — 5 %, dégageraient à bud­get égal les ressources suff­isantes à engager un(e) jeune employé(e) municipal(e)… con­tribuant ain­si au pro­gramme gou­verne­men­tal de créa­tion d’emplois per­ma­nents par les col­lec­tiv­ités locales.

Que conclure ?

Est-ce là une rigid­ité par­mi tant d’autres du sys­tème financier, rigid­ité dont il con­vient de s’ac­com­mod­er comme un moin­dre mal en regard des con­séquences en chaîne que provo­querait la remise en cause de ” con­trats ” libre­ment con­clus entre munic­i­pal­ités, organ­ismes prê­teurs, et souscrip­teurs et action­naires de ces organismes ?

Est-ce là une rigid­ité… française, parce que n’ex­is­tant pas dans d’autres pays ou y ayant existé mais ayant été cor­rigée par des mesures adéquates qui auraient valeur d’ex­em­ple à suivre ?

L’au­teur serait vive­ment intéressé à recevoir, sur ce sujet de l’in­dem­nité actu­ar­ielle et sur les réformes pro­posées, tant les témoignages de cama­rades engagés comme lui dans la ges­tion du bud­get de munic­i­pal­ités et autres col­lec­tiv­ités que les réac­tions de cama­rades respon­s­ables à titre et niveau divers des étab­lisse­ments prê­teurs dont la poli­tique est mise en cause.

Pierre Moulin
Hameau de la Belle Étoile
84760 Saint-Martin-de-la-Brasque
Tél. : 04.90.07.71.41.
Fax : 04.90.07.71.31.

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