Mode : création et consommation en Chine

La création et la consommation chinoises en plein boom

Dossier : Les X et la modeMagazine N°768 Octobre 2021
Par Antoine BONDAZ
Par Yang LU
Par Laura NING
Par Lucas DELATTRE

Forte de son mar­ché inté­rieur plé­tho­rique et d’une classe moyenne inté­res­sée par le luxe, la Chine révèle l’étendue de ses res­sources cultu­relles et tech­no­lo­giques. Dans le sec­teur du luxe où elle est un par­te­naire incon­tour­nable, Antoine Bon­daz, Yang Lu et Lau­ra Ning voient émer­ger des ten­dances signi­fi­ca­tives de créa­tion et de consommation.

La Chine tire les chiffres du mar­ché du luxe vers le haut depuis plus d’une dizaine d’années. Pour Lau­ra Ning, 15 % des consom­ma­teurs chi­nois peuvent désor­mais s’offrir des pro­duits de luxe et ils ont des goûts de plus en plus pré­cis. Les consom­ma­teurs chi­nois du luxe ne recherchent pas uni­que­ment des grandes marques, mais aus­si de plus en plus des pièces uniques.

Les nouveaux comportements de consommation

Les jeunes de moins de 30 ans, qui tirent le mar­ché du luxe en Chine, achètent de moins en moins pour des rai­sons sta­tu­taires ou pour offrir des cadeaux. Aujourd’hui ils achètent parce que ça leur plaît. Yang Lu fait remar­quer que les marques de mode éthiques (matières natu­relles, slow fashion, mode vegan…) ont le vent en poupe en Chine. Pour Antoine Bon­daz, on aurait tort de croire que les mou­ve­ments éco­lo­gistes ou végé­ta­riens sont propres aux Occi­den­taux. Les Chi­nois font face aux mêmes défis que les Euro­péens. Ne par­lons pas de « rat­tra­page » mais plu­tôt d’ « enjeux com­muns » entre la Chine et l’Europe. Le logo de la marque compte désor­mais moins que sa cohé­rence sty­lis­tique et sa dimen­sion cultu­relle, sou­ligne Yang Lu, qui ajoute qu’une par­tie des jeunes consom­ma­teurs chi­nois appré­cie beau­coup la culture coréenne et japo­naise (man­gas). De petites marques japo­naises de street style peuvent être très popu­laires en Chine. Par ailleurs, les marques de luxe occi­den­tales orga­nisent des expo­si­tions spec­ta­cu­laires, notam­ment à Shan­ghai : l’art est un sup­port de com­mu­ni­ca­tion très impor­tant pour cer­tains clients exi­geants en Chine (Lau­ra Ning). 

Une évolution très rapide

Pour com­prendre la mon­tée en puis­sance des marques chi­noises, il est néces­saire de se rap­pe­ler quelques dates : l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001 a été sui­vie de dix ans de crois­sance très rapide pour le sec­teur de la mode, tant sur le plan de la pro­duc­tion que sur celui de la consom­ma­tion. Par­mi les dizaines de mil­liers d’usines qui ont pous­sé par­tout dans le pays, celles qui pro­duisent des vête­ments et des chaus­sures ont été par­mi les plus nom­breuses. On observe, depuis lors, une dif­fu­sion large et rapide du desi­gn (Lau­ra Ning), avec un goût qui s’affine et qui se répand dans les dif­fé­rentes strates de la socié­té. Même avec peu de moyens, les jeunes Chi­nois ont déve­lop­pé un goût pro­non­cé pour la mode depuis vingt ans. Le rôle d’Internet est natu­rel­le­ment très impor­tant dans cette évo­lu­tion : à la dif­fu­sion des images cor­res­pond la dif­fu­sion du style et du goût. Les jeunes qui cherchent leur iden­ti­té trouvent natu­rel­le­ment à l’exprimer à tra­vers le vête­ment. Dans ce contexte, une culture est inté­res­sante à connaître, celle du sha­mate (tra­duc­tion chi­noise du mot smart). La culture sha­mate a été une sous-culture chi­noise assez répan­due dans les milieux pauvres (jeunes ouvriers migrants, notam­ment) au cours des années 2000 : il s’agissait de secouer l’ordre éta­bli en affi­chant des coif­fures et des vête­ments excen­triques. Aujourd’hui, les jeunes géné­ra­tions chi­noises qui ne consomment pas du luxe consomment néan­moins beau­coup de mode, avec des ins­pi­ra­tions qui puisent dans un mélange de man­gas japo­nais, de cultures sud-coréenne et euro­péenne (séries télé­vi­sées, musique pop, rock, rap…).
La sophis­ti­ca­tion crois­sante des coif­fures, en Chine, est l’un des phé­no­mènes les plus inté­res­sants à obser­ver depuis vingt ans.

Une corrélation forte entre la mode et la technologie

En Chine plus qu’ailleurs, le mar­ché de la mode, la tech­no­lo­gie et les clients évo­luent de manière syn­chro­ni­sée et sur­tout de manière très rapide. Les jeunes géné­ra­tions chi­noises n’ont jamais uti­li­sé de carte de cré­dit, elles sont habi­tuées au paie­ment sur télé­phone mobile, même pour des achats de pro­duits de luxe. Si les tech­no­lo­gies ont tou­jours un peu d’avance aux États-Unis, c’est en Chine que leurs usages évo­luent le plus vite, avec des adap­ta­tions et de nou­velles solu­tions ins­pi­rées des tech­no­lo­gies exis­tantes indique Yang Lu. La méthode Ali­ba­ba ou Tencent consiste à tes­ter beau­coup de choses chaque jour pour pro­cé­der à une amé­lio­ra­tion conti­nue des tech­no­lo­gies et des pro­duits ven­dus. En matière de consom­ma­tion, les évo­lu­tions chi­noises sont très rapides, plus rapides qu’en Occi­dent, car en dix ans tout peut chan­ger, sou­lignent d’un com­mun accord Lau­ra Ning et Yang Lu. Lau­ra Ning rap­pelle que le lan­ce­ment de WeChat en Chine date d’il y a seule­ment dix ans (2011). Cette appli­ca­tion mobile de mes­sa­ge­rie tex­tuelle et vocale déve­lop­pée par Tencent compte aujourd’hui plus d’un mil­liard de comptes. Depuis une décen­nie, des mas­to­dontes du e‑commerce comme Ali­ba­ba et JD.com bou­le­versent les modes de consom­ma­tion et poussent les consom­ma­teurs chi­nois à recher­cher des pro­duits tou­jours plus sophis­ti­qués et diversifiés.

Exception de Mixmind et Icicle, la créativité à la chinoise

Excep­tion de Mix­mind (marque fon­dée en 1996 par Mao Jihong, for­mé à l’Académie de la mode de Pékin) est l’exemple d’une évo­lu­tion très inté­res­sante du mar­ché chi­nois. La marque a d’abord été assez éli­tiste et même excen­trique, libre, moins pru­dente que les marques clas­siques de la mode chi­noise (Lau­ra Ning), ce qui ne l’a pas empê­chée de ren­con­trer un large suc­cès. C’est une marque connue pour recher­cher des matières nobles, comme tel ou tel cache­mire de Nou­velle-Zélande (plu­tôt que de Mon­go­lie), choi­si en fonc­tion des normes les plus exi­geantes tant sur le plan de la qua­li­té que sur le plan du res­pect de l’environnement. La Fon­da­tion Mao Jihong pour l’art contem­po­rain (Mao Jihong Arts Foun­da­tion), diri­gée par Lau­ra Ning et qui a notam­ment signé un accord avec le Centre Pom­pi­dou mais éga­le­ment avec des uni­ver­si­tés chi­noises, sou­tient des créa­teurs et des artistes chi­nois et non chi­nois. Excep­tion de Mix­mind accueille notam­ment de jeunes desi­gners occi­den­taux en rési­dence depuis quelques années, pour leur offrir des cartes blanches créa­tives. Use­less, une marque créée par Ma Ke, une ancienne épouse de Mao Jihong, a défi­lé en 2009 à Paris dans le cadre de la Fashion Week. Cette marque pro­pose de reve­nir aux sources des matières avec le recours à un savoir-faire arti­sa­nal tra­di­tion­nel et une approche assez concep­tuelle du vête­ment (cer­taines pièces étaient enfouies plu­sieurs mois sous terre pour s’imprégner d’une patine par­ti­cu­lière). Autre exemple, Icicle est une marque chi­noise fon­dée il y a vingt ans, avec une forte dimen­sion com­mer­ciale et dis­tri­buée en France (ave­nue George‑V à Paris). Son logo est un idéo­gramme signi­fiant « une graine qui germe ». Son suc­cès se tra­duit par l’existence de 250 bou­tiques en Chine. Comme Excep­tion de Mix­mind, la marque Icicle a été fon­dée par un couple, for­mé à l’université de Dóng­hua (Shan­ghai). Made in Earth, la for­mule qui sert de slo­gan à la marque, montre que les exi­gences de mode durable sont aujourd’hui très pré­sentes en Chine. La marque recherche les meilleures matières, dans une volon­té d’afficher une forme d’harmonie entre l’humain et la nature.

Poster un commentaire