La Contribution sociale sur la valeur ajoutée se heurte à des difficultés pratiques

Dossier : Fiscalité : les nouvelles formulesMagazine N°687 Septembre 2013
Par Gérard LAFAY

La Contri­bu­tion sociale sur la valeur ajou­tée (CSVA), par­fois bap­ti­sée abu­si­ve­ment « TVA sociale », a été appli­quée par­tiel­le­ment par le gou­ver­ne­ment alle­mand. En France, le gou­ver­ne­ment met en place une ver­sion un peu dif­fé­rente dans le contexte de son « pacte de compétitivité ».

REPÈRES
La Contri­bu­tion sociale sur la valeur ajou­tée (CSVA) ne se pré­sente pas comme une nou­velle forme de taxa­tion. Il s’agit de trai­ter l’ensemble des coti­sa­tions sociales de la même façon que la TVA, c’est-à-dire d’opérer un cal­cul sur le chiffre d’affaires de l’entreprise, avec déduc­ti­bi­li­té des achats de biens inter­mé­diaires et des inves­tis­se­ments pro­duc­tifs (cal­cul effec­tué, par consé­quent, sur une valeur ajou­tée nette des inves­tis­se­ments pro­duc­tifs de l’année). De plus, il faut assu­rer une neu­tra­li­té par­faite vis-à-vis de l’étranger, puisque les pro­duits impor­tés sup­por­te­raient un pré­lè­ve­ment équi­valent aux pro­duits fabri­qués en France, tan­dis que le mon­tant de la CSVA serait, comme pour la TVA, déduit des pro­duits exportés.

Deux avantages essentiels

Le prin­cipe de la CSVA paraît très sédui­sant car il pré­sente deux avan­tages essen­tiels. On rem­place un sys­tème com­plexe de coti­sa­tions mul­tiples, qui sépare fic­ti­ve­ment les coti­sa­tions des employeurs et les coti­sa­tions des sala­riés et qui dis­tingue sept types de coti­sa­tions (mala­die, vieillesse, veu­vage, familles, FNAL, CSG, CRDS) et trois types dif­fé­rents d’assiette, rien que pour l’Urssaf, sans comp­ter les régimes mul­tiples d’assurances com­plé­men­taires Arc­co et Agirc, Asse­dic, Apec et diverses taxes.

Sim­pli­fier un sys­tème inex­tri­cable qui, à lui seul, freine l’embauche

Ce sys­tème résulte d’une série de strates suc­ces­sives, déci­dées de façon concer­tée avec les par­te­naires sociaux, de même que la mul­ti­pli­ca­tion des formes de contrat de travail.

Quel chef d’entreprise ne rêve­rait pas de sim­pli­fier ce sys­tème inex­tri­cable qui, à lui seul, freine l’embauche ? Actuel­le­ment, si les assiettes des coti­sa­tions sociales varient, elles sont toutes mesu­rées sur les salaires, ce qui péna­lise les indus­tries de main-d’oeuvre.

Or, la CSVA per­met d’améliorer la com­pé­ti­ti­vi­té de l’économie tout en main­te­nant la pro­tec­tion sociale. C’est dans ce but que l’Allemagne l’a par­tiel­le­ment utilisée.

Une hausse des produits importés

L’application concrète de la CSVA se heurte à de nom­breuses dif­fi­cul­tés pra­tiques, que ce soit au niveau de l’économie natio­nale ou au niveau inter­na­tio­nal. Les coti­sa­tions sociales repré­sentent, à elles seules, la moi­tié des pré­lè­ve­ments obli­ga­toires. Il est vrai qu’une par­tie de cer­taines coti­sa­tions, comme la CSG, n’est pas assise sur les salaires, et donc que cette par­tie subsisterait.

Il est plus facile d’augmenter cer­tains prix que de bais­ser les autres

Il n’en demeure pas moins qu’un bas­cu­le­ment de toutes les autres coti­sa­tions sociales vers la CSVA impli­que­rait des taux supé­rieurs, sur chaque pro­duit, à ceux de la TVA. Glo­ba­le­ment, ce bas­cu­le­ment n’aurait aucun effet infla­tion­niste sur les pro­duits fabri­qués en France. En revanche, il impli­que­rait fata­le­ment une hausse des prix des pro­duits importés.

Ce bas­cu­le­ment impli­que­rait aus­si une modi­fi­ca­tion des prix rela­tifs des pro­duits. Si l’on appli­quait, de façon simple, des taux de CSVA pro­por­tion­nels au taux de TVA (coef­fi­cient supé­rieur à 1 en cas de bas­cu­le­ment inté­gral), cette modi­fi­ca­tion serait dif­fi­cile à gérer, car il est plus facile d’augmenter cer­tains prix que de bais­ser les autres.

Un risque de fraude aux frontières

La TVA se heurte déjà à la dif­fi­cul­té d’appliquer des taux éle­vés pour le sec­teur des ser­vices, où la matière impo­sable est plus facile à frau­der que pour les mar­chan­dises. La dif­fi­cul­té serait aggra­vée avec la CSVA. Au niveau inter­na­tio­nal, cette mesure serait appli­quée logi­que­ment envers tous les pays étrangers.

Pour les pays exté­rieurs à l’Union euro­péenne, cela effa­ce­rait une par­tie des dis­pa­ri­tés, mais sans suf­fire à cor­ri­ger toutes les dis­tor­sions pro­ve­nant de ceux à mon­naie sous-évaluée.

Pour les par­te­naires de l’Union euro­péenne, il est théo­ri­que­ment pos­sible d’augmenter des taux que l’on pré­sen­te­rait pour eux comme une exten­sion de la TVA, mais on ris­que­rait d’avoir des fraudes impor­tantes aux fron­tières de la France.

Une baisse de pouvoir d’achat

Sor­tir de l’euro ?
Le dis­po­si­tif paraît déri­soire pour redres­ser à court terme la com­pé­ti­ti­vi­té de l’industrie fran­çaise. Celle-ci a besoin très rapi­de­ment d’une baisse de coût sala­rial de l’ordre de 20% par rap­port à l’Allemagne et aux pays émer­gents, c’est-à-dire au moins trois fois plus éle­vée que ce que pour­rait pro­duire en 2016 le dis­po­si­tif pré­vu. La France ne peut pas, sans graves dom­mages, sor­tir du mar­ché commun.
En revanche, elle pour­rait quit­ter la zone euro, dont la moi­tié des pays de l’Union euro­péenne ne font pas partie.

Un autre incon­vé­nient de la « ver­sion fran­çaise » (voir détails en enca­dré) concerne les moda­li­tés de hausse de la TVA. Une franche hausse de son taux prin­ci­pal aurait eu l’avantage de favo­ri­ser le com­merce exté­rieur, concer­nant prin­ci­pa­le­ment l’industrie, tout en ne péna­li­sant que fai­ble­ment le pou­voir d’achat.

Si les entre­prises jouent le jeu en bais­sant leurs prix hors taxes, une telle hausse ne frappe que les pro­duits impor­tés. En revanche, la hausse de 7% à 10% va s’appliquer essen­tiel­le­ment à des pro­duits locaux (res­tau­ra­tion et tra­vaux du loge­ment), créant par consé­quent une baisse notable du pou­voir d’achat, tout en favo­ri­sant le tra­vail au noir.

Un objectif à cinq ans

À l’évidence, il n’est pas conce­vable d’appliquer bru­ta­le­ment et plei­ne­ment une mesure aus­si révo­lu­tion­naire que la CSVA. Elle ne peut être affi­chée que comme un objec­tif à atteindre, dont la mise en oeuvre se ferait gra­duel­le­ment sur une durée de cinq ans. Cet éta­le­ment dans le temps per­met­trait de résoudre les prin­ci­pales dif­fi­cul­tés : amor­tir les effets infla­tion­nistes induits et convaincre nos par­te­naires d’appliquer le même sys­tème que nous.

La France a réus­si à expor­ter, dans le monde entier, le sys­tème de TVA inven­té par Mau­rice Lau­ré ; une France redres­sée est bien capable de faire de même avec la CSVA. Il fau­drait les convaincre éga­le­ment de rendre à chaque pays de l’Union euro­péenne sa liber­té de manoeuvre, en appli­quant des taux plus bas de TVA et CSVA sur les ser­vices, quitte à être plus contrai­gnant pour les taux d’accises (alcool, tabac et essence).

La ver­sion fran­çaise actuelle
À l’heure actuelle, le gou­ver­ne­ment met en place un « pacte de com­pé­ti­ti­vi­té ». Au lieu d’appliquer vrai­ment la CSVA, il a inven­té un méca­nisme com­plexe de cré­dit d’impôt, cal­cu­lé sur la masse sala­riale jusqu’à 2,5 fois le mon­tant du SMIC, dont le coût n’apparaîtra qu’en 2014 pour 10 mil­liards d’euros, avant d’atteindre 20 mil­liards en 2016. La contre­par­tie, repous­sée elle aus­si à par­tir de 2014, se trouve pour moi­tié dans des hausses modu­lées de taux de TVA (de 19,6% à 20% et de 7% à 10%, allant de pair avec une baisse du taux réduit de 5,5% à 5%), ain­si que dans une fis­ca­li­té écologique.
Ce cré­dit d’impôt va s’appliquer à tous les sec­teurs d’activité. Or, c’est essen­tiel­le­ment l’industrie qui a vu ses marges bais­ser, de 35% à 21% dans la der­nière décen­nie, contrai­re­ment aux autres sec­teurs dont les marges se sont main­te­nues. L’industrie fran­çaise a été prise en étau par la concur­rence inter­na­tio­nale avec la mon­tée de l’euro, coïn­ci­dant avec le main­tien des 35 heures et des hausses de salaires. Un coût sala­rial exces­sif par rap­port à l’étranger a ain­si étran­glé ses marges tout en dégra­dant ses posi­tions extérieures.

Poster un commentaire