La construction navale de défense, moderne et performante

Dossier : Les métiers de la merMagazine N°644 Avril 2009
Par Jean-Marie CARNET (63)

REPÈRES

REPÈRES
Avec la créa­tion en 1374 du pre­mier arse­nal de la Marine au clos des Galées à Rouen par Charles V et en 1631 des forêts royales dédiées à la pro­duc­tion du bois de chêne néces­saire à la con­struc­tion des navires par Riche­lieu, la France s’est dotée très tôt d’une indus­trie navale, capa­ble de fournir à l’État l’outil per­for­mant dont il avait besoin. Cette com­pé­tence dans le domaine d’une indus­trie com­plexe a été car­ac­térisée dès le début de son exis­tence par la capac­ité de mise en oeu­vre de moyens lourds, de proces­sus com­plex­es et de com­pé­tences humaines, dévelop­pées et entretenues au fil du temps.

Avec 5 500 km de côtes, aux­quelles s’a­joute aujour­d’hui le deux­ième espace mar­itime du monde cou­vrant 11 mil­lions de km2, la France a tou­jours eu besoin d’as­sur­er la sécu­rité de ses approches mar­itimes. De tout temps, la place pri­mor­diale qu’elle avait au sein des nations européennes, le besoin économique et poli­tique d’avoir un empire colo­nial, de le défendre, de gér­er et pro­téger le com­merce mar­itime qui en découlait, ont ren­du indis­pens­able que la France pos­sède une force navale per­for­mante, red­outée et impor­tante en nombre.

Le sous-marin nucléaire est la quin­tes­sence de tous les savoir-faire

Il est aujour­d’hui aisé d’imag­in­er ce que représen­tait pour les archi­tectes navals, les ingénieurs et les com­pagnons de toutes spé­cial­ités la con­struc­tion d’un galion quand on voit com­ment la recon­struc­tion avec les tech­niques de l’époque de l’Hermione à Rochefort est longue et com­plexe. Il aura fal­lu près de dix ans pour refaire à l’i­den­tique un tel navire. Cela aura néces­sité de retrou­ver les métiers et les tech­niques d’autre­fois : char­p­en­tier, menuisi­er, cal­fa­teur, voili­er, cordeur, com­pagnon, etc., et de les faire tra­vailler ensem­ble dans un espace lim­ité et confiné.

Mille fois plus silencieux
Le pre­mier sous-marin de l’ère mod­erne, imag­iné par l’ingénieur du Génie mar­itime Laubeuf dans les années 1900, était en lui-même une révo­lu­tion : on allait enfin nav­iguer sous l’eau, tout en empor­tant des arme­ments. Mais il y a autant d’évo­lu­tion tech­nologique entre les pre­miers sous-marins nucléaires lanceurs d’en­gins (Le Red­outable) et ceux d’au­jour­d’hui (Le Ter­ri­ble, mis à l’eau il y a quelques mois et aujour­d’hui en essais à la mer), en par­ti­c­uli­er dans la dis­cré­tion acous­tique (il est mille fois plus silen­cieux), qu’il n’y en avait entre le sous-marin conçu par Laubeuf au début du siè­cle dernier et les plus récents sous-marins clas­siques, ce qui souligne l’ac­céléra­tion du pro­grès tech­nologique et l’évo­lu­tion des métiers.

Une industrie de haute technologie

Certes les tech­nolo­gies ont évolué, grâce aux hommes, à leur inven­tiv­ité, à leur volon­té de pro­grès ; du bois on est passé à l’aci­er, de la voile au moteur et de la plate-forme armée de canons aux sys­tèmes de com­bat inté­grés, mais il s’ag­it tou­jours de métiers d’a­vant-garde à la fois très tech­niques et très évo­lu­tifs, que l’on appelle aujour­d’hui des métiers de haute technologie.

Con­cer­nant la tech­nolo­gie mise en oeu­vre, la France fait par­tie du club très fer­mé des pays ayant un groupe aéron­aval basé sur un porte-avions (États-Unis, France, Brésil) plus puis­sant qu’un groupe basé sur un porte-aéronefs (Grande-Bre­tagne, Russie, Ital­ie, Espagne, Thaï­lande, Inde) dont la rampe inclinée de décol­lage court réduit le poten­tiel des aéronefs mis en œuvre.

La France fait égale­ment par­tie des pays dotés de sous-marins nucléaires lanceurs d’en­gins (SNLE) et de sous-marins nucléaires d’at­taque, SNA (États-Unis, Grande-Bre­tagne, France Russie, Chine).

Elle est la seule, avec les USA, à avoir la total­ité des com­pé­tences et des tech­nolo­gies spé­ci­fiques, cou­vrant l’ensem­ble du domaine naval allant du porte-avions au sous-marin. Ces tech­nolo­gies de défense sont sou­vent trans­vers­es, et ont avec les tech­nolo­gies du domaine civ­il des syn­er­gies importantes.

Un produit unique


Le Ter­ri­ble, mille fois plus silen­cieux que les pre­miers sous-marins nucléaires

Le sous-marin nucléaire est en effet la quin­tes­sence de tous les savoir-faire, il asso­cie le tra­vail des aciers à haute élas­tic­ité les plus par­ti­c­uliers aux métiers de l’atome pour la propul­sion, à ceux de l’e­space avec les mis­siles, à ceux des télé­com­mu­ni­ca­tions et de l’élec­tron­ique. Tout ceci dans un envi­ron­nement con­finé où chaque tech­nolo­gie risque de per­turber l’autre sans compter la néces­saire prise en compte de l’en­vi­ron­nement per­me­t­tant la cohab­i­ta­tion de longue durée entre l’homme et la machine.

Un porte-avions est à la fois une ville, un aéro­port, un sys­tème de com­bat, un cen­tre de com­man­de­ment d’une force déployée sur des mil­liers de kilo­mètres car­rés, le tout dans un espace grand comme deux ter­rains de football.

La phase de con­struc­tion est aus­si des plus ardues. Elle néces­site de faire tra­vailler dans un lieu très exigu (un cylin­dre de 100 m de long et de 10 m de diamètre), dans un ordre pré­cis et en même temps de nom­breux spé­cial­istes pour met­tre en oeu­vre équipements et out­il­lages de pointe et réalis­er quinze mil­lions d’heures de tra­vail en quelques dizaines de mois. Il s’ag­it d’in­té­gr­er plus d’un mil­lion de com­posants, pour créer à chaque fois un objet unique. Cette tâche est l’un des défis que relèvent les archi­tectes navals. En effet un sous-marin représente en matière de nom­bre de com­posants et de com­plex­ité d’in­té­gra­tion quelque 300 TGV ou quelques dizaines d’airbus.

La préser­va­tion et le ren­force­ment de cette posi­tion de leader dans ce domaine ont été pos­si­bles grâce aux com­pé­tences métiers acquis­es et préservées au fil des ans, grâce aus­si aux investisse­ments de R et T (600 mil­lions d’eu­ros en 2008 pour la défense) régulière­ment investis par l’É­tat même si d’au­cuns les jugent insuffisants.

Un poids économique de premier ordre

En matière économique la France a tou­jours con­sacré une part impor­tante de ses ressources à sa défense et en par­ti­c­uli­er à sa com­posante navale.

La flotte française a, de tout temps, été avec la flotte bri­tan­nique la plus impor­tante d’Eu­rope. Aujour­d’hui encore la France et la Grande-Bre­tagne sont les deux seuls pays d’Eu­rope à con­sacr­er 2 % de leur PIB à la défense, dont une part sig­ni­fica­tive pour sa marine.

Trente pour cent du chiffre d’affaires est réal­isé sur les marchés internationaux

La con­struc­tion navale de défense est un secteur impor­tant du tis­su indus­triel français. Fortes aujour­d’hui de plus de 30 000 per­son­nes, struc­turées autour de quelques grands maîtres d’oeu­vre ayant les com­pé­tences d’ensem­bli­er et d’in­té­gra­teur, des cen­taines de PME spé­cial­isées con­stituent des nich­es tech­nologiques qui assurent aux grands groupes une inno­va­tion créa­trice qui ren­force la com­péti­tiv­ité de notre industrie.

Avec une forte présence sur les marchés inter­na­tionaux, 30 % du chiffre d’af­faires y est réal­isé, avec des cycles pro­fondé­ment dif­férents du secteur civ­il, cette indus­trie forte­ment expor­ta­trice se situe au 3e rang mon­di­al et au 1er rang européen.

Une volonté politique partagée

Une for­ma­tion performante
La France est dotée d’un sys­tème de for­ma­tion per­for­mant que d’autres nous envient, écoles de haut niveau, for­ma­tions spé­cial­isées, appren­tis­sage en entre­prise, for­ma­tion con­tin­ue : la fidél­ité des équipes attachées à ce secteur, comme l’indique un turn over faible, souligne l’im­por­tance qu’at­tachent nos entre­pris­es à la qual­ité des hommes et à leur savoir-faire, mis en évi­dence par la fil­ière des tal­ents chez DCNS ou le forum des métiers à la Cité de la mer de Cherbourg.

Ces com­pé­tences dans des métiers aus­si var­iés sont la résul­tante de choix poli­tiques maintes fois con­fir­més et d’une action con­tin­ue de l’ad­min­is­tra­tion pour pro­téger la BITD nationale (Base indus­trielle et tech­nologique de défense) et des indus­tries pour fidélis­er les hommes, ren­forcer leurs com­pé­tences, et organ­is­er le trans­fert de ces savoir-faire au tra­vers des générations.

Il est facile, par insou­ciance ou nég­li­gence ou pour des économies de court terme, de per­dre des com­pé­tences ; il est beau­coup plus dif­fi­cile et extrême­ment coû­teux de les reconstituer.

Un attrait pour la jeunesse

Nous nous devons donc d’at­tir­er les jeunes, de soulign­er les atouts des métiers de l’in­dus­trie navale, la dual­ité civile et mil­i­taire, et surtout, de pou­voir assur­er un avenir évo­lu­tif, afin de leur apporter une ouver­ture sur le monde et sur la tech­nolo­gie future dans la défense et dans tous les domaines con­nex­es tels le nucléaire, l’éolien, l’hy­drolien et l’é­colo­gie. Mais en même temps ces métiers qui s’in­scrivent dans la durée, tant leur spé­ci­ficité est grande, doivent apporter à notre jeunesse la sécu­rité de l’emploi. Ce n’est qu’à ce prix que l’on fera éclore les tal­ents et que l’on con­servera les com­pé­tences rares, élé­ments indis­pens­ables à la con­struc­tion d’un avenir où la France a une place essen­tielle et incontournable.

Une vision européenne porteuse d’avenir

Au plan inter­na­tion­al, la répu­ta­tion de la tech­nolo­gie française et des per­for­mances des hommes est excel­lente. Les coopéra­tions ini­tiées avec nos parte­naires ou nos clients mon­trent claire­ment que la com­pé­tence française est appré­ciée, que notre générosité à faire partager nos acquis nous per­met de bâtir des rela­tions durables tout en assur­ant la péren­nité de nos indus­tries et de nos métiers. La France est au cœur de l’Eu­rope, le bon élève qui fait avancer les restruc­tura­tions de défense, grâce à la per­ti­nence de ses pro­duits, la com­pé­tence de ses hommes par la diver­sité des métiers qu’elle a su dévelop­per dans le secteur de la mer.

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