Force européenne en opération.

Marine et Europe de la Défense

Dossier : Marine nationaleMagazine N°596 Juin/Juillet 2004
Par Richard WILMOT-ROUSSEL

Depuis de nom­breuses années, les pays occi­den­taux ont recon­nu l’in­térêt d’u­nir les efforts de leurs forces armées, et par­ti­c­ulière­ment de leurs marines, pour obtenir une meilleure effi­cac­ité, à l’ex­em­ple de l’OTAN, dont les procé­dures et tac­tiques navales ten­dent désor­mais à être employées par les marines du monde entier. En Europe, dès le début des années qua­tre-vingt-dix, des forces mar­itimes européennes se rassem­blaient sous la ban­nière de l’U­nion de l’Eu­rope occi­den­tale (UEO) pour accom­plir avec suc­cès des mis­sions mil­i­taires de démi­nage pen­dant la guerre du Golfe, puis de con­trôle de l’embargo en mer Adriatique.

Mais la véri­ta­ble Poli­tique européenne de sécu­rité et de défense (PESD) de l’U­nion européenne, par­tie inté­grante de la Poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune (PESC), est née au Som­met européen de Cologne en juin 1999, d’une volon­té des quinze États mem­bres de se dot­er de ” capac­ités d’ac­tion autonome soutenue par des forces mil­i­taires crédi­bles “. Cet engage­ment s’est rapi­de­ment con­crétisé au Som­met européen de Nice en décem­bre 2000 par la créa­tion des organes insti­tu­tion­nels de la PESD instal­lés à Brux­elles, Comité poli­tique et de sécu­rité (COPS), Comité mil­i­taire de l’U­nion européenne (CMUE) et État-major de l’U­nion européenne (EMUE).


Force européenne en opéra­tion. MARINE NATIONALE


Enfin, l’ob­jec­tif mil­i­taire glob­al que s’é­tait fixé l’U­nion au Som­met d’Helsin­ki en 1999 a été déclaré atteint fin 2003 : être en mesure de déploy­er en moins de soix­ante jours une force de 60 000 hommes pour rem­plir pen­dant un an toute mis­sion de Peters­berg. Ces opéra­tions du temps de crise, définies par l’UEO au Som­met de Peters­berg (RFA) en 1992, con­sis­tent en ” des mis­sions human­i­taires ou d’é­vac­u­a­tion de ressor­tis­sants, des mis­sions de main­tien de la paix, et des mis­sions des forces de com­bat pour la ges­tion des crises, y com­pris des opéra­tions de rétab­lisse­ment de la paix “. La stratégie de sécu­rité européenne, adop­tée lors du Con­seil européen de décem­bre 2003, apporte l’indis­pens­able vision com­mune sur laque­lle devront s’ap­puy­er tous les développe­ments ultérieurs de la PESD : nou­velles men­aces, donc mis­sions sup­plé­men­taires et iden­ti­fi­ca­tion de nou­velles capac­ités mil­i­taires dont l’U­nion devra se doter.

La con­struc­tion des capac­ités mil­i­taires européennes est fondée sur le principe des actions inter­ar­mées multi­na­tionales. Force est de recon­naître que l’ob­jec­tif glob­al de 2003, dic­té par l’his­toire récente des crises postérieures à la guerre froide sur­v­enues en par­ti­c­uli­er dans les Balka­ns et en Afrique, est large­ment cen­tré sur les capac­ités d’ac­tion ter­restre, aux­quelles les armées de l’air et les marines appor­tent leur sou­tien. Dans ce con­texte, le rôle des forces mar­itimes s’é­tend donc bien au-delà du seul com­bat sur mer de naguère.

On peut même affirmer que les marines, par leurs qual­ités pro­pres, sont néces­saires au suc­cès de l’ensem­ble des mis­sions de Peters­berg, avec des tâch­es plus ou moins évi­dentes en fonc­tion du lieu de la crise. En effet, les forces mar­itimes sont capa­bles d’of­frir : bases avancées de déploiement, moyens de com­man­de­ment et de trans­mis­sion, trans­port aérien local, recueil du ren­seigne­ment, trans­port mar­itime, loge­ments et capac­ités hos­pi­tal­ières, etc., aux­quels on peut ajouter pour les mis­sions de com­bat, entre autres, frappe dans la pro­fondeur ou appui aux forces à terre.

Aujour­d’hui, en réponse con­crète à l’ob­jec­tif glob­al de 2003, les États mem­bres se sont engagés à fournir à l’U­nion européenne en cas de crise env­i­ron cent unités pour ce qui con­cerne la com­posante mar­itime, dont 4 porte-avions et porte-aéronefs, 7 grands bâti­ments amphi­bies, 20 fré­gates de pre­mier rang, 13 sous-marins, dont 3 à propul­sion nucléaire, et une quar­an­taine de navires de guerre des mines, ain­si que 5 états-majors embar­qués de com­posante mar­itime (Mar­itime Com­po­nent Com­mand — MCC) pour le com­man­de­ment tac­tique des forces navales engagées. Les plus gross­es con­tri­bu­tions sont apportées par le Roy­aume-Uni, la France et l’Italie.

Les forces mar­itimes multi­na­tionales européennes déjà con­sti­tuées font bien sûr par­tie de cette offre. Il con­vient en effet de ne pas oubli­er que l’U­nion ne dis­pose d’au­cune force mil­i­taire pro­pre, à l’in­star de l’OTAN (avec quelques excep­tions pour l’OTAN). L’u­til­i­sa­tion de ces forces multi­na­tionales est donc décidée par les seuls États qui les con­stituent, et qui peu­vent ordon­ner de les engager en par­ti­c­uli­er pour les mis­sions de ges­tion de crise de l’U­nion ou pour les mis­sions de défense col­lec­tive de l’Alliance.

Ces forces mar­itimes multi­na­tionales européennes con­sis­tent aujour­d’hui en :

  • Euro­mar­for, force navale non per­ma­nente mais aux struc­tures établies, con­sti­tuée par la France, l’I­tal­ie, l’Es­pagne et le Por­tu­gal, dont le com­man­de­ment est assuré à tour de rôle par les qua­tre nations, et qui dis­pose d’une cel­lule per­ma­nente d’é­tat-major. Cette force a déjà par­ticipé à des mis­sions opéra­tionnelles, sur­veil­lance des trafics illicites et lutte con­tre le ter­ror­isme en Méditer­ranée ori­en­tale à l’au­tomne 2002, puis à deux repris­es, sou­tien à l’opéra­tion sous com­man­de­ment améri­cain ” Endur­ing Free­dom ” dans l’océan Indi­en entre le print­emps 2003 et févri­er 2004 ;
  • la Force navale fran­co-alle­mande (FNFA), force tem­po­raire sans struc­ture per­ma­nente, activée à la demande, et qui a égale­ment par­ticipé à l’opéra­tion ” Endur­ing Free­dom ” à l’été 2003 en même temps qu’Euromarfor ;
  • la force amphi­bie anglo-hol­landaise et la force amphi­bie ita­lo-espag­nole, aux­quelles la France ne par­ticipe pas, mais avec lesquelles elle entre­tient des coopéra­tions étroites dans le cadre de ” l’ini­tia­tive amphi­bie européenne “.

L’U­nion européenne a toute­fois admis qu’un cer­tain nom­bre de lacunes dans ses capac­ités mil­i­taires établies pour répon­dre à l’ob­jec­tif glob­al de 2003 pou­vaient nuire au bon accom­plisse­ment des mis­sions de Peters­berg les plus exigeantes. Ces lacunes sont par ailleurs égale­ment recon­nues par l’OTAN. Elles touchent essen­tielle­ment aux capac­ités de com­man­de­ment, au ren­seigne­ment, au trans­port stratégique et au sou­tien logistique.

Par le ” Plan d’ac­tion européen pour les capac­ités ” (Euro­pean Capa­bil­i­ties Action Plan — ECAP), les États mem­bres tra­vail­lent à dégager des solu­tions qui per­me­t­tront de combler ces lacunes, qui appar­ti­en­nent pour la plu­part à des domaines inter­ar­mées par excel­lence, et que nos marines doivent donc aus­si s’employer à résor­ber pour ce qui les concerne.

Le nou­v­el objec­tif glob­al pour 2010, actuelle­ment en cours d’élab­o­ra­tion par le COPS, et qui devrait être adop­té par le Con­seil européen de juin 2004, s’at­ta­que­ra égale­ment à ces prob­lèmes de façon plus générale, en visant à terme une interopéra­bil­ité com­plète de nos moyens et capac­ités européens à tous les niveaux. La mise sur pied de forces de réac­tion rapi­de européennes, capa­bles d’être déployées en quelques jours dans une zone de crise, sera égale­ment l’un des enjeux majeurs de ce nou­v­el objec­tif global.

 Matelot italien avec le drapeau de l’Euromarfor.
Matelot ital­ien avec le dra­peau de l’Euromarfor. MARINE NATIONALE

La stratégie européenne de sécu­rité, qui envis­age de nou­velles mis­sions telles que la lutte con­tre le ter­ror­isme et les trafics illé­gaux de toutes natures, asso­ciée à l’ob­jec­tif glob­al 2010, incite d’ores et déjà les min­istères de la Défense et des Affaires étrangères des États mem­bres à éla­bor­er de nou­veaux con­cepts d’ac­tion et iden­ti­fi­er de nou­velles capac­ités dont il fau­dra se dot­er pour faire face à ces défis. Notre État-major de la marine (EMM), en étroite col­lab­o­ra­tion avec l’É­tat-major des armées (EMA) et la Délé­ga­tion aux affaires stratégiques (DAS) du min­istère de la Défense, a entre­pris une réflex­ion sur ces sujets majeurs, et étudie en par­ti­c­uli­er l’ex­ten­sion à l’U­nion européenne de notre savoir-faire dans les domaines de la réac­tion rapi­de mar­itime et de la sauve­g­arde maritime.

Pour ce qui con­cerne la pour­suite du comble­ment des lacunes et l’ac­qui­si­tion de capac­ités mil­i­taires nou­velles, la France fonde de grands espoirs sur ” l’A­gence européenne dans le domaine du développe­ment des capac­ités de défense, de la recherche, des acqui­si­tions et de l’arme­ment “, dont la créa­tion a été décidée au Con­seil européen de décem­bre 2003. Une équipe d’étab­lisse­ment multi­na­tionale, dirigée par un haut fonc­tion­naire du min­istère de la Défense bri­tan­nique sous l’au­torité de Mon­sieur Javier Solana, Secré­taire général de l’U­nion européenne et haut représen­tant pour la PESC, tra­vaille aujour­d’hui active­ment à la déf­i­ni­tion de cette agence, en vue d’une adop­tion par le Con­seil européen et d’un démar­rage effec­tif de son activ­ité dès 2005.

Comme dans de nom­breux autres domaines, le développe­ment des capac­ités d’ac­tion de l’U­nion européenne à par­tir de la mer passe par un ren­force­ment de la coopéra­tion entre les États mem­bres. Nos forces navales savent agir ensem­ble depuis des décen­nies, mais les forces mar­itimes multi­na­tionales évo­quées dans cet arti­cle ne représen­tent que le début des coopéra­tions ren­for­cées, vers lesquelles ten­dent les pays qui souhait­ent aller plus rapi­de­ment et plus pro­fondé­ment de l’a­vant dans l’in­té­gra­tion européenne. Devant les con­traintes budgé­taires immuables aux­quelles tous nos pays sont soumis, il faut sans aucun doute aller plus loin, en pre­mier lieu dans le domaine des acqui­si­tions tou­jours plus coû­teuses de matériels tou­jours plus sophis­tiqués. Nos marines, et en par­ti­c­uli­er la Marine nationale, fortes de leur expéri­ence com­mune, se doivent de mon­tr­er l’exemple. 

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