La Cerisaie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°539 Novembre 1998Par : TCHEKHOVRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Le 25 avril 1988, la Comédie-Française inscrivait à son réper­toire La Ceri­saie. On ne peut guère que le regretter.

La Ceri­saie est sans doute une des pièces de Tchekhov les plus dif­fi­ciles à jouer, tant le trag­ique et le ris­i­ble, en l’occurrence le désar­roi des familles ruinées, s’y mêlent. En tout cas, cette dif­fi­culté dépasse d’évidence les capac­ités de la Comédie-Française dans son état actuel.

Le met­teur en scène, Alain Françon, a cru s’en sor­tir en faisant preuve d’originalité et peut-être d’innovation pour la rue de Riche­lieu : il nous donne d’assister au spec­ta­cle d’un coït pro­longé, qui d’ailleurs n’est pas dans le texte.

Je n’ai per­son­nelle­ment rien con­tre le coït, à quoi je dois la vie et que j’ai pra­tiqué pour ma part à de nom­breuses repris­es. Si ses pré­parat­ifs peu­vent n’être pas dépourvus de légèreté et d’élégance, l’acte final, tout riche d’extase qu’il soit pour les parte­naires, n’en reste pas moins pour les tiers d’une vision tant soit peu malgracieuse.

Si encore il n’y avait que cela, mais pas du tout.

Mme Cather­ine Fer­ran, d’ordinaire si apte à émou­voir, parvient à chang­er la pro­prié­taire de La Ceri­saie en une femme indif­férente et froide, rev­enue de tout. On veut espér­er que c’est con­tre son gré, et seule­ment pour sat­is­faire aux exi­gences du met­teur en scène.

On a le sen­ti­ment que son déco­ra­teur, Jacques Gabel, et lui se sont creusé la cervelle pour trou­ver quelque chose qui ne ressem­ble pas à ce que leurs prédécesseurs avaient conçu en mon­tant La Ceri­saie. Ils y sont par­venus : cela ne ressem­ble à rien.

L’atmosphère tchekhovi­enne, faite de thé qui froid­it dans une argen­terie désuète, de fau­teuils pat­inés par les généra­tions, dis­paraît dans ce décor privé de charme. L’armoire par exem­ple, devant quoi le frère et la sœur, ruinés à force de légèreté et de bêtise, s’émeuvent au point de l’embrasser, n’est là qu’une manière de buf­fet de cui­sine dont on se demande ce qu’il fait dans le salon de cette pro­priété de famille.

Voici peu, je vous ai par­lé dans ces colonnes des pitoy­ables Fourberies de Scapin mon­tées sur cette même scène. Molière pour­tant est telle­ment cori­ace qu’il trou­ve moyen de pass­er quand même. Tchekhov, plus frag­ile, pareil à un jardin retour­nant à l’abandon, n’y résiste pas.

La fiche dit que le spec­ta­cle est enreg­istré et dif­fusé par France Cul­ture. La vision du décor est alors au moins épargnée aux audi­teurs, mais on se demande cepen­dant de quelle cul­ture il s’agit.

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