Arlequin et Colombine à l’école de l’amour

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°592 Février 2004Par : Goldoni, dans une mise en scène d’Attilio MaggiulliRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Entrant un après-midi de décembre dans le petit ves­ti­bule de la Comé­die ita­lienne afin d’y réser­ver des places – au contraire de ce que d’aucuns pensent, c’est moi qui paye mes billets et non pas La Jaune et la Rouge – j’y trou­vai M. Mag­giul­li en per­sonne, occu­pé à clouer de ravis­santes choses sur ses murs. J’appris de lui le décès, en mai der­nier, de Jean-Paul Lahore. Les fidèles de la Comé­die ita­lienne n’ont sûre­ment pas oublié la voix d’or de ce comé­dien fée­rique, qui nous emplis­sait tous d’aise dès les pre­miers ins­tants du spec­tacle, lorsqu’il s’écriait Musi­ca ! en tirant le rideau à tringle. Ce Musi­ca, pro­cla­mé avec tant de cha­leur com­mu­ni­ca­tive, était déjà un enchan­te­ment. Nous savions cepen­dant tous qu’il ne fai­sait que pré­lu­der à bien d’autres émerveillements.

Les vrais comé­diens ne devraient jamais mourir.

La vie pour­tant conti­nue : cette année, M. Mag­giul­li nous donne Arle­quin et Colom­bine à l’école de l’amour, selon un cane­vas que Gol­do­ni rédi­gea pour les comé­diens ita­liens de Paris. L’on sait que ceux-ci, alors éta­blis à l’hôtel de Bour­gogne, avaient fait venir cet auteur en France. Il arri­va à Paris en août 1762. L’affiche date le cane­vas de 1753 ; c’est donc plus pro­ba­ble­ment 1763 qu’il fau­drait lire, mais peu importe. La petite his­toire nous apprend aus­si que Gol­do­ni ne trou­va pas en France tout à fait ce qu’il espé­rait : selon leurs tra­di­tions, et bien qu’ils eussent alors déjà créé sur leur scène la qua­si-tota­li­té du théâtre de Mari­vaux, un théâtre entiè­re­ment écrit, les Ita­liens impo­sèrent à leur com­pa­triote de s’en tenir à de simples cane­vas. Au lieu que Gol­do­ni, de ce point de vue plu­tôt nova­teur, ne vou­lait que du théâtre d’auteur, avec texte com­plet. C’est ain­si, en tout cas, qu’il conçut très vite sa fonc­tion de dra­ma­turge, et s’y tint, à de rares excep­tions près, durant toute sa période ita­lienne, la plus longue : sa pre­mière pièce écrite, La don­na di gar­bo (La Brave Femme) date de 1743. Tou­jours est-il qu’à Paris, il dut, bon gré mal gré, s’en tenir aux exi­gences de ses commanditaires

Cela est fort heu­reux pour nous. Le simple cane­vas se prête bien aux adap­ta­tions et M. Mag­giul­li s’y sent tout à son aise pour y ajou­ter de son cru. Or vous savez aus­si bien que moi que, si M. Mag­giul­li ajoute de son cru à quelque chose, c’est pain béni, et que le résul­tat vaut son pesant d’orviétan. Sur­tout quand il s’entoure si bien : on retrouve sur sa scène Mme Hélène Les­trade en Signo­ra Béa­trice et Michel Denis le fidèle Pan­ta­lon, incar­nant un capo­co­mi­co (chef de troupe) déso­lé des incar­tades et mal­adresses de ses partenaires.

Dans l’interprétation de cet Arle­quin et Colom­bine à l’école de l’amour, l’on ne sait trop ce que l’on doit admi­rer le plus : le sai­sis­sant “ métier ” des comé­diens, qui savent tout faire, et le faire bien, ou l’éblouissante créa­ti­vi­té comique de M. Mag­giul­li. Ne pos­sé­dant pas le texte du cane­vas, j’ignore ce qui doit être attri­bué à Gol­do­ni et ce qui relève des inven­tions du maître de la comé­die ita­lienne. Ce qui est cer­tain, en tout cas, c’est que M. Mag­giul­li fait une fois encore preuve de son habi­tuelle sûre­té de mise en scène. Les sept per­son­nages prin­ci­paux res­tent presque constam­ment tous sur le pla­teau, et sans cesse en mou­ve­ment pour chan­ger de posi­tion selon les exi­gences de l’action. De sorte que nous assis­tons à une manière de bal­let, où chaque pas serait réglé avec la pré­ci­sion d’un métronome

À de cer­tains moments, l’on se dit que nombre de met­teurs en scène contem­po­rains, plus ou moins intel­lo­dé­jan­tés, devraient se mettre à l’école de la rue de la Gaî­té, et y apprendre qu’une bonne mise en scène est des­ti­née au plai­sir de l’œil, et point à dérou­ter le spec­ta­teur par de décon­cer­tantes énigmes.

Il va sans dire, mais autant le dire pour­tant, que cet Arle­quin et Colom­bine à l’école de l’amour sera propre à vous requin­quer l’hypocondre pour des mois. Je pro­fite cepen­dant de ces colonnes pour vous recom­man­der une autre pièce qui, dans un registre fort dif­fé­rent, ne man­que­ra pas non plus de vous dila­ter la rate. Je tâche­rai de vous en par­ler quand je l’aurai vue, alors que je viens seule­ment de la lire. Il s’agit de L’Invité, de D. Pha­rao, au Théâtre Édouard VII – Sacha Guitry.

Notez aus­si que Dan­ger… public, chau­de­ment recom­man­dée ici, est à pré­sent pas­sée du Théâtre du Nord- Ouest au Nou­vel Essaïon.

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