Hippolyte et Aricie

Jean-Philippe Rameau : Hippolyte et Aricie

Dossier : Arts, Lettres et sciencesMagazine N°761 Janvier 2021
Par Marc DARMON (83)

Hippolyte et Aricie

Hip­poly­te et Aricie (1733) est un événe­ment dans l’histoire de la musique, au même titre que L’Orfeo de Mon­tever­di un siè­cle avant, le pre­mier opéra de l’histoire, ou que l’Héroïque de Beethoven qui soix­ante-dix ans plus tard fait chang­er la sym­phonie de siè­cle. Rameau (1683–1764), un de nos quelques grands génies français de la com­po­si­tion, après une car­rière riche de com­po­si­tions instru­men­tales et religieuses qui auraient pu suf­fire à sa gloire, crée son pre­mier opéra, avant de se con­sacr­er exclu­sive­ment à ce genre et y laiss­er le plus riche de notre réper­toire lyrique (Platée, Cas­tor et Pol­lux, Les Indes galantes, Dar­d­anus…).

Son approche mod­erne et dra­ma­tique sera à l’origine de la célèbre querelle des Lullistes et des Ramistes, les par­ti­sans de Lul­ly préférant la tra­di­tion héritée du siè­cle (et du roi) précédent.

Une tragédie racinienne

Pour son pre­mier opéra, Rameau s’inspire ouverte­ment de Lul­ly et de Jean Racine. L’histoire de Hip­poly­te et Aricie reprend le thème du Phè­dre du tragé­di­en. Mais l’opéra se ter­mine bien, con­traire­ment à la tragédie de Racine, d’où l’accent mis sur Aricie et non sur Phè­dre dans le titre. Tout le futur Rameau est là : alter­nance héritée de Lul­ly de bal­lets, de réc­i­tat­ifs et d’airs, musique recher­chée et savante pour l’époque et prenant le pas sur le texte, vocab­u­laire harmonique… 

Le thème de la tragédie racini­enne est bien con­nu, Euripi­de, Sopho­cle et Sénèque l’avaient déjà porté à la scène. Phè­dre, épouse de Thésée, est amoureuse d’Hippolyte, fils que Thésée eut avec la reine des Ama­zones. Hip­poly­te est lui amoureux d’Aricie, qui le lui rend bien, et ne veut pas enten­dre par­ler des sol­lic­i­ta­tions qu’il juge inces­tueuses de la part de sa belle-mère. Phè­dre nous dit chez Racine : « Hip­poly­te est sen­si­ble et ne sent rien pour moi, Aricie a son cœur, Aricie a sa foi. » Phè­dre écon­duite dénonce mal­hon­nête­ment Hip­poly­te à Thésée, qui mau­dit son fils. 

Chez Racine, la malé­dic­tion de Thésée se réalise, pas chez Rameau où Hip­poly­te et Aricie se mari­ent pen­dant un acte entier. Si « la fille de Minos et de Pasiphaé » est au cœur de la pièce de Racine (jouée par les plus grandes actri­ces de théâtre), l’amour con­trar­ié un temps des jeunes amoureux est au cœur de l’opéra de Rameau. Notons que, con­traire­ment à sa sœur Ari­ane, mise en musique par Mon­tever­di (opéra presque entière­ment per­du) et Strauss, Phè­dre est rarement héroïne d’opéra.

Une production exceptionnelle

La pro­duc­tion de ce DVD est excep­tion­nelle. Un orchestre habitué de ce réper­toire, le réputé Orchestre baroque de Fri­bourg, est dirigé à Berlin par Sir Simon Rat­tle, habituelle­ment plus à l’aise dans Beethoven, Brahms et Bruck­n­er, mais qui mon­tre ici une direc­tion sur­prenante, légère, vive, alerte, baroque, pleine d’humour et de rebonds. La direc­tion est telle­ment for­mi­da­ble que les pas­sages dan­sés (tam­bourins, gavottes, menuets, ritour­nelles, rigaudons…), de plus en plus nom­breux à mesure que l’opéra pro­gresse, sont tous pas­sion­nants même lorsque la pro­duc­tion choisit de trans­former ces scènes sans danseurs. 

Une mag­nifique dis­tri­b­u­tion égale­ment, avec en par­ti­c­uli­er deux for­mi­da­bles chanteuses, Mag­dale­na Kožená en Phè­dre, Anna Pro­has­ka en Aricie.

Ajou­tons que la pro­duc­tion est très visuelle, très adap­tée au DVD (et encore mieux à la haute déf­i­ni­tion du Blu-ray) où chaque acte a un univers visuel dif­férent. L’œil est sans arrêt attiré par les éclairages impres­sion­nants, les cos­tumes réfléchissants ou flu­o­res­cents, les spots, les lasers, des miroirs, des pro­jec­tions, qui mod­ernisent le spec­ta­cle sans décon­cen­tr­er le spec­ta­teur. Vous l’avez com­pris, chaude­ment recommandé. 


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