Jean-Paul Nicolaï

Jean-Paul Nicolaï (80), L’économie en philosophe

Dossier : TrajectoiresMagazine N°759 Novembre 2020
Par Pierre LASZLO

La qual­ité majeure de Jean-Paul Nico­laï est l’innocence du regard. Il ­suiv­it ses goûts, dans une car­rière d’économiste de pre­mier plan et l’exercice d’un bel intel­lect, d’une curiosité tous azimuts.

Il est fils d’un Corse, issu d’un hameau per­du dans le Sarte­nais, com­mis d’agent de change, et d’une mélangée ital­i­enne et chti. Son insti­tutrice en CE2, à ­Châte­nay-Mal­abry, Madame Solomon, repéra ses dons.

Un grand Parisien

Sa biogra­phie s’inscrivit dans le Grand Paris, dans quelques com­munes de la ban­lieue sud : Cachan, Châte­nay-Mal­abry, Fonte­nay, Le Plessis-Robin­son, Palaiseau. Il reste très attaché au Bois de Ver­rières (ter­rain de sport au col­lège), au parc de Sceaux, à la Val­lée-aux-Loups. En taupe au lycée Charle­magne, il était attiré par Cen­trale Paris, située à Châte­nay-­Mal­abry. Admis à l’Enset à Cachan, il préfère tourn­er alors le dos à la recherche, tan­dis qu’il s’y ­con­sacr­era en défini­tive au cours de toutes ses expéri­ences pro­fes­sion­nelles, même les plus opérationnelles.

« J’ai été très heureux d’être reçu à l’X parce que mon amie de l’époque rêvait que je ­l’­emmène danser au bal de l’Opéra ! » Ce fut donc l’École, où il inté­gra con­join­te­ment avec une autre cama­rade de classe, Chris­tine ­Mesurolle (80).

Le ser­vice mil­i­taire fut un moment fort. ­Ren­con­tre avec la France pro­fonde : illet­trisme, alcool… dans le corps de troupe. Sa sec­tion sportive à l’École fut le foot : « J’étais cap­i­taine de l’équipe 2 et rem­plaçant de l’équipe 1. Ça a été une part impor­tante de ma vie à l’École. »

Puis, imper­méable à l’attraction des grands corps, par mécon­nais­sance du fonc­tion­nement de l’État, indif­férent au classe­ment, Jean-Paul Nico­laï fut en revanche séduit par les enseigne­ments et activ­ités d’HSS ; tout ­par­ti­c­ulière­ment, un amphi de Jean-Pierre Dupuy (60) ; et l’enseignement de Jean-Marie Domenach.

Finalement, l’économie

Qu’allait-il faire à la sor­tie de l’X ? La ten­ta­tion fut d’être bassiste dans un groupe de rock ! Ce nonob­stant, il choisit l’Ensae comme école d’application, avec l’intention de s’y tourn­er vers la soci­olo­gie. Béné­fi­ciant des cours de Roger Gues­ner­ie (62), à l’EHESS en ­par­ti­c­uli­er, autre virage, il se réori­ente vers ­l’économie math­é­ma­tique, décou­verte en classe prépa.

Jean-Paul Nico­laï y revient lors du DEA : équili­bres avec antic­i­pa­tions rationnelles, mod­éli­sa­tion de l’intervention de l’État dans le cadre de l’équilibre général, mod­éli­sa­tion de la spécu­lar­ité. Ce domaine évolua beau­coup dans les années 1980 et 1990. Il don­na lieu à l’économie ­néo­clas­sique la plus libérale. Ce n’est qu’au début des années 1990 que les keynésiens revin­rent en force et qu’on assista à un enrichisse­ment des mod­èles – très math­é­ma­tiques (­prob­a­bil­ités) au demeurant.

Ma tentation fut d’être bassiste
dans un groupe de rock.

Sa car­rière, riche, lui fit con­naître tant le pub­lic, par con­vic­tion, que le privé, par oppor­tu­nités. Il est à EDF-GDF de 1985 à 1988 ; de 1988 à 1992, à la Caisse des dépôts avec Patrick Artus (70), où il ren­con­tre en 1990 ­Nathalie Ricœur, petite-fille du philosophe Paul Ricœur et future épouse ; directeur adjoint de la recherche chez Indo­suez de 1992 à 1996, où il sec­onde Michèle Debon­neuil, « une macroé­con­o­miste géniale » ; de 1997 à 2000, il dirige la poli­tique d’investissement d’Écureuil Ges­tion, fil­iale de la Caisse des dépôts et des Caiss­es d’épargne, visant à l’émancipation de ces dernières, hélas cela tourne mal et il quitte pour le privé ; entre 2001 à 2011, il vit l’aventure « excep­tion­nelle » d’OTC Con­seil, dont il est DG à par­tir de 2004 ­– ­redresse­ment puis crois­sance de 30 à 130 con­sul­tants, ouver­ture de fil­iales à ­l’étranger – mais il part lorsque le fon­da­teur décide de revenir aux affaires, pour Nico­laï une dure épreuve ; de 2011 à 2015, respon­s­able de l’économie au Com­mis­sari­at général à la stratégie et à la ­prospec­tive ; retour dans le privé pour aider un ami à sor­tir sa PME de l’ornière ; et depuis octo­bre 2018 directeur du pro­gramme d’évaluation socio-­économique, au Secré­tari­at général pour ­l’investissement : il y aide au pilotage des investisse­ments publics, un rôle pour lui « passionnant ».

Cette car­rière accom­plie pâlit néan­moins au regard des qual­ités humaines de Nico­laï. Cet homme, brun au physique, est ouvert, franc et chaleureux. Vers la fin du siè­cle dernier, il eut à cœur de s’intéresser à l’œuvre de Paul Ricœur. Son entrée en philoso­phie s’ensuivit. Début 2020, il soute­nait une thèse de ­doc­tor­at en philoso­phie : « Être-ensem­ble et ­tem­po­ral­ités ­poli­tiques. » Il l’avait pré­parée sous la direc­tion ­d’Olivier Abel, fils de pas­teur, dont ­l’adolescence se situa à ­Châte­nay-Mal­abry et qui y noua lui aus­si ses pre­miers liens avec Paul Ricœur et sa famille.


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