Pierre Rouchon

Pierre Rouchon (80) Mathématicien heureux

Dossier : TrajectoiresMagazine N°753 Mars 2020
Par Pierre LASZLO

Pierre Rou­chon, math­é­mati­cien accom­pli, est un homme heureux. Bien dans sa peau, il vous met d’emblée à l’aise. Didac­tique d’héritage mater­nel et de tem­péra­ment, il aime expli­quer sa voie de recherche. Un opti­miste, émule en cela de Michel Ser­res, il reste cepen­dant cri­tique de l’absorption des élèves par les seules pré­pas parisi­ennes ; ou de celle des jeunes par des vidéos vision­nées sur leurs bid­ules, sautant de l’une à l’autre.

“Didactique d’héritage maternel
et de ‑tempérament,
il aime expliquer sa voie de recherche.

Il faut travailler !

Son patronyme dérive, sem­ble-t-il, du mot « roche ». Et, nonob­stant son insigne chaleur humaine, c’est un roc ! Sa par­en­tèle est issue de la pop­u­la­tion des mineurs, français et ital­iens, de la région de Saint-Éti­enne, où il pas­sa son enfance : un père ingénieur des Mines d’Alès, une mère nor­mali­enne, agrégée de math­é­ma­tiques et pro­fesseure de ter­mi­nale sci­en­tifique ; « ils nous ont bien fait com­pren­dre qu’il fal­lait tra­vailler ». Un grand-père ébéniste, dont il héri­ta la prédilec­tion pour le bois de noy­er, ain­si que son habileté manuelle. Deux sœurs, une aînée passée par HEC et une cadette, Véronique (86), dont on aura pu lire ici le por­trait (n° 710, p. 36–37). La pré­pa à Saint-Éti­enne, avec un pro­fesseur de math­é­ma­tiques excep­tion­nel (« Rou­chon, je te pré­pare à l’X, pas à Ulm »), Jean-Marie Exbray­at : en 1980, pas moins de sept de ses élèves inté­grèrent l’X !

Polytechnicien studieux

Accé­dant à l’École, ce fut aus­si sa décou­verte de Paris. Il y est resté depuis. Il habite Meudon, avec son épouse Blan­dine Vin­son-Rou­chon, ingénieure de l’Armement. Ils ont un fils, ingénieur Supélec, et une fille Amélie, doc­teure en énergie nucléaire (2016). Son lab­o­ra­toire et ses bureaux se trou­vent à l’École des mines et aus­si à l’Inria.

Pierre entra à l’École dans un bon rang, entre 40e et 50e, et en sor­tit 5e de sa pro­mo­tion, dans le corps des Mines. Il garde un bon sou­venir de sa sco­lar­ité, tout par­ti­c­ulière­ment de l’enseignement de Roger Balian en mécanique quan­tique. Il fut séduit en fait par la plu­part des cours que l’École lui offrit : il me cita aus­si, en maths et maths appliquées, ceux de Michel Métivi­er, Yves Mey­er, Jacques-Louis Lions, Pierre Fau­rre, Charles Goulaouic ; en mécanique Paul ­Ger­main, en économie Thier­ry de Mont­br­i­al, en chimie Georges Guio­chon… Ce dernier lui sug­géra son tra­vail de fin d’études, qu’il pour­suiv­it par une thèse de doc­tor­at (1990) sur la sim­u­la­tion dynamique et le con­trôle non linéaire des colonnes à distiller.

Un mathématicien pragmatique

Il devint dès lors un spé­cial­iste recon­nu en con­trôle des sys­tèmes, de toutes tailles et com­plex­ités. Il aime observ­er leur fonc­tion­nement, de façon à l’optimiser. Son tra­vail le pas­sionne. Il est pro­fesseur aux Mines de Paris, où il dirigea le Cen­tre automa­tique et sys­tèmes. Il fut pro­fesseur chargé de cours à l’X de 1993 à 2005.

Sa grande force, tout à l’opposé du stéréo­type d’un matheux plongé dans l’abstraction, est la vigueur de son sens pra­tique, de son goût pour l’observation de la réal­ité. Deux exem­ples : « Si vous avez déjà con­duit en marche arrière une voiture avec une remorque, vous savez qu’intuitivement vous allez pren­dre la tra­jec­toire de l’arrière de la remorque comme repère. C’est ce que l’on appelle une “sor­tie plane” ; l’ensemble voiture plus remorque forme un “sys­tème plat” pour lequel des algo­rithmes sim­ples de plan­i­fi­ca­tion et de suivi de tra­jec­toires sont disponibles. […] Une grue est un autre exem­ple de sys­tème plat. En prenant comme sor­tie plane la tra­jec­toire de la charge portée, et non pas celle du bras ou du treuil, il y a bien moins de cal­culs à effectuer. » Les sys­tèmes plats sont ana­logues aux sys­tèmes inté­grables, pour des sys­tèmes dif­féren­tiels sous-déterminés.

Comment contrôler des photons ?

Depuis 2000, après avoir suivi les cours de Serge Haroche – major à l’entrée à l’X en 1963 mais ayant néan­moins choisi la rue d’Ulm – au Col­lège de France, il se pas­sionne pour le con­trôle des sys­tèmes ­quan­tiques (« j’ai surtout une mobil­ité thé­ma­tique »). Avec Maz­yar Mir­rahi­mi et Nina Ami­ni, deux de ses anciens étu­di­ants, il aide l’équipe de Serge Haroche à met­tre au point la pre­mière boucle de rétroac­tion à l’échelle quan­tique. Cette col­lab­o­ra­tion se mar­que par un feed-back qui per­mit en 2011 de con­trôler des pho­tons piégés entre deux miroirs, et sta­bilis­er leur nom­bre autour d’un nom­bre entier de quelques ­unités. Cette splen­dide expéri­ence a été citée dans les atten­dus du prix Nobel de physique attribué à Serge Haroche en 2012.

Pierre Rou­chon adore les paysages – à vrai dire sub­limes – de la Haute-Loire, où il a sa mai­son de vacances. Out­re le brico­lage, dont le goût lui vient de son grand-père, il affec­tionne la ran­don­née pédestre.

Quel tem­péra­ment ! Quel vir­tu­ose de l’équilibre de toute sorte !


Pour en savoir plus

Fliess (Michel), Lévine (Jean), Mar­tin (Philippe) et Rou­chon (Pierre), « Sur les sys­tèmes non linéaires dif­féren­tielle­ment plats », CR Acad. Sci. Paris, t. 315, Série I, p. 619–624, 1992 ; « Flat­ness and defect of non-lin­ear sys­tems : intro­duc­to­ry the­o­ry and exam­ples », Inter­na­tion­al Jour­nal of Con­trol, 1995, 61(6), 1327–1361.

Sayrin (Clé­ment), Dot­senko (Igor), Zhou (Xingx­ing), Peaude­cerf (Bruno), Rybar­czyk (Théo), Gleyzes (Sébastien), Rou­chon (Pierre), Mir­rahi­mi (Maz­yar), Ami­ni (Hadis), Brune (Michel), Rai­mond (Jean-Michel) & Haroche (Serge), « Real-time quan­tum feed­back pre­pares and sta­bi­lizes pho­ton num­ber states » Nature, 477, 73–77 (1 Sep­tem­ber 2011).

Poster un commentaire