Portrait de Jean-Jacques Salomon (X74)

Jean-Jacques Salomon (X74), du Torchon au Palio

Dossier : TrajectoiresMagazine N°794 Avril 2024
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

S’il y a quelqu’un qui doit tout, ou presque, aux secré­taires de direc­tion, c’est bien notre cama­rade Jean-Jacques Salo­mon, X74.

Dans les années 1980, l’entreprise infor­ma­tique pour laquelle il tra­vaille, la Sys­mark, rachète, après le désiste­ment du fonds d’investis­sement diri­gé par Alain Minc, les édi­tions Bot­tin, qui sou­hai­taient déve­lop­per leur acti­vi­té sur Mini­tel. Jean-Jacques com­mence alors à s’intéresser à la ques­tion des annuaires, ceux qui ont des pages blanches ou jaunes, certes, mais aus­si ceux qui, aux USA par exemple, se concentrent sur des sec­teurs pro­fes­sion­nels très pré­cis, comme « l’annuaire bio­gra­phique des femmes noires avocates ».

L’annuaire des secrétaires de direction

S’inspirant de ce modèle, il décide de conce­voir L’annuaire des secré­taires et assis­tantes de direc­tion en France. Il a en effet l’idée astu­cieuse que ceux (plus sou­vent, celles) qui occupent ces postes ont sur leur patron un pou­voir pres­crip­tif qui lui per­met­tra d’obtenir les encarts publi­ci­taires néces­saires au finan­ce­ment de cet ouvrage. Après quelques essais infruc­tueux, l’affaire fonc­tionne, on s’arrache son ouvrage, et plus encore le fichier infor­ma­tique, plus com­plet, dont il est le reflet. Grâce à cela, il se consti­tue un petit mate­las finan­cier qui lui per­met­tra ensuite d’être rela­ti­ve­ment libre de ses choix professionnels. 

Une vocation littéraire

Certes, il ne s’agissait pas de la pre­mière expé­rience de Jean-Jacques Salo­mon dans le domaine de l’édition. Pen­dant sa sco­la­ri­té à l’X, il s’occupait du jour­nal de sa pro­mo­tion, Le Tor­chon – titre choi­si en pre­nant à la lettre une excla­ma­tion du géné­ral Bri­quet, le direc­teur de l’École, qui avait vive­ment expri­mé son aga­ce­ment devant les bêtises impri­mées par les élèves. Jean-Jacques se sou­vient y avoir écrit, dans le style de Roland Barthes, un édi­to­rial exal­té qu’il eut la sur­prise de retrou­ver sur le pla­teau, en 1994, lors des céré­mo­nies du bicen­te­naire : chaque pro­mo­tion avait droit à un pan­neau résu­mant son iden­ti­té propre, et pour la 74 avait été choi­si ce texte au vitriol.

Quelques années après la sor­tie de l’X, il avait éga­le­ment édi­té, avec quelques amis, l’Agen­da noir, un alma­nach com­pi­lant toutes les cita­tions qui com­por­taient des dates dans les romans de la célèbre Série Noire de Gal­li­mard – l’ouvrage « pas­sa chez Pivot » et connut de belles ventes. Son goût pour la lit­té­ra­ture le condui­sit aus­si, dans les années 2000, à publier des lettres d’informations dans les­quelles des extraits des grands auteurs étaient mis en regard de ques­tions pro­fes­sion­nelles ou de points d’actualité. Il y eut de plus en plus d’abonnés, et de plus en plus d’annonceurs pour sou­te­nir l’opération. On trouve d’ailleurs encore, sur le site oomark.com, cer­taines de ces lettres, spi­ri­tuelles et érudites.

La création des éditions du Palio

Enfin, en 2006 Jean-Jacques Salo­mon créa, avec deux asso­ciés, sa propre mai­son, les édi­tions du Palio, qui ont publié 120 livres en dix-huit ans. Il s’agissait tout d’abord d’ouvrages pro­fes­sion­nels, mais écrits sous forme de petits pas­tiches : par exemple, pour par­ler de la mon­naie était pro­po­sé un dia­logue ima­gi­naire entre John Law, le finan­cier qui avait fait fonc­tion­ner la planche à billets afin de résor­ber la dette lais­sée par Louis XIV, et le phi­lo­sophe Mon­tes­quieu qui lui repro­chait d’avoir rui­né la confiance fiduciaire.

Puis les thé­ma­tiques s’élargirent, au gré des ren­contres et des pro­po­si­tions, puisque la ligne direc­trice de notre cama­rade-édi­teur est d’essayer de sou­te­nir les pro­jets dont il sent qu’« ils cor­res­pondent à un moment par­ti­cu­lier de la vie de leurs auteurs ». Il y eut ain­si, par exemple, L’Étonnant pou­voir des cou­leurs, de Jean-Gabriel Causse – le best-sel­ler des édi­tions du Palio, avec plus de 25 000 exem­plaires ven­dus – et Mémoires de chaises au jar­din du Luxem­bourg, livre illus­tré de l’aquarelliste Ber­nard Soupre, qui a aus­si connu un beau succès.

Un grand lecteur, mais pas seulement…

C’est durant les vacances entre la seconde et la pre­mière que Jean-Jacques Salo­mon avait vrai­ment décou­vert la lit­té­ra­ture. Élève alors assez médiocre, il avait trom­pé l’ennui esti­val en se plon­geant dans les Mémoires d’une jeune fille ran­gée, de Simone de Beau­voir, qui l’avait fas­ci­né en lui lais­sant entre­voir ce que pou­vaient être les ébul­li­tions d’une jeu­nesse intel­lec­tuelle. Depuis lors, il n’a jamais arrê­té de lire – gageons qu’il a fait sienne cette phrase de l’ouvrage qui fut pour lui une révé­la­tion : « Je me disais que, tant qu’il y aurait des livres, le bon­heur m’était garanti. » 

« Je me disais que, tant qu’il y aurait des livres, le bonheur m’était garanti. »
Simone de Beauvoir

Par exemple, lorsqu’il pei­nait sur ses cours en mathé­ma­tiques supé­rieures au lycée Pas­teur, la décou­verte de l’œuvre de Mar­cel Proust fut à la fois une béquille et un cata­ly­seur. Cela fonc­tion­na au-delà de ses espé­rances : dou­blant certes son année de spé­ciales afin de pou­voir ten­ter le concours de l’X – qui allait ouvrir en 1974, pour la pre­mière fois, un concours réser­vé à sa filière, celle où pré­do­mi­naient les sciences phy­siques – il inté­gra la der­nière pro­mo­tion qui vécut sur la mon­tagne Sainte-Gene­viève l’intégralité de sa scolarité. 

On le vit ensuite démar­rant une thèse d’économie sur la rela­tion entre les taux d’intérêt et le cours du change, s’occuper du cré­dit des entre­prises dans une suc­cur­sale de la Socié­té Géné­rale à Bou­logne-Billan­court ou gérer une entre­prise infor­ma­tique spé­cia­li­sée dans les logi­ciels de res­sources humaines (une expé­rience durant laquelle il s’amusait à envoyer à ses col­la­bo­ra­teurs des cour­riels écrits en latin). Et sur­tout on lui doit aus­si quelques livres, dont le pre­mier, publié en 1993, rend hom­mage à celles aux­quelles il doit beau­coup : il s’intitule en effet La vie des secré­taires au quo­ti­dien sous Fran­çois Mit­ter­rand.

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