Ivan Chéret

Ivan Chéret (44), l’inoubliable père des agences de bassin

Dossier : TrajectoiresMagazine N°761 Janvier 2021
Par Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

Décé­dé le 2 novembre 2020, Ivan Ché­ret était un spé­cia­liste mon­dia­le­ment connu des pro­blèmes de l’eau, à qui on doit la créa­tion des agences de bassin.

Né en 1924 d’un père russe ortho­doxe natu­ra­li­sé fran­çais en 1932, Ivan Ché­ret est reçu dans la pro­mo 44. Celle-ci n’entre à l’X qu’à l’automne 1945 du fait de la guerre, ce qui lui évite d’avoir un numé­ro bis car la loi du 3 avril 1941, heu­reu­se­ment abro­gée à la Libé­ra­tion, exi­geait, comme condi­tion d’accès à la fonc­tion publique, non seule­ment de ne pas être juif, mais aus­si d’être né fran­çais et de père fran­çais. Sor­ti de l’X dans les PC Colo, Ivan est affec­té au minis­tère de la France d’Outre-mer.

Après un stage de six mois au US Bureau of Recla­ma­tion à Den­ver, il est affec­té à la Mis­sion d’aménagement du fleuve Séné­gal (1950−1953), puis nom­mé chef de l’arrondissement hydrau­lique à Bama­ko (1953−1954) et enfin adjoint au chef du Ser­vice hydrau­lique de l’AOF (1954−1958). En 1959, à la suite de la déco­lo­ni­sa­tion, il réin­tègre la métro­pole, lais­sant der­rière lui une œuvre dont ses héri­tiers peuvent être fiers.

Une nouvelle vie

Ivan est nom­mé rap­por­teur géné­ral de la Com­mis­sion de l’eau créée en 1959 au Com­mis­sa­riat géné­ral du Plan. Pour être plus opé­ra­tion­nel, il sus­cite la créa­tion d’un Secré­ta­riat per­ma­nent pour l’étude des pro­blèmes de l’eau (Spepe). Je l’y retrouve en 1962 comme rap­por­teur pour les pro­blèmes éco­no­miques et financiers.

C’est à lui que l’on doit la créa­tion des agences de bas­sin par une loi de 1964, bien avant que les mots « éco­lo­gie » ou « envi­ron­ne­ment » deviennent la bou­teille à l’encre. Il n’y avait d’ailleurs pas de minis­tère de l’Environnement à l’époque, mais Ivan avait besoin de sa cour­toi­sie légen­daire et de son sens de la négo­cia­tion pour faire la syn­thèse entre les idées des repré­sen­tants des six minis­tères membres du Spepe, qui défen­daient cha­cun son bout de gras et ne voyaient pas l’intérêt de créer des agences qui ris­quaient de leur por­ter ombrage : agri­cul­ture, indus­trie, équi­pe­ment, san­té, inté­rieur et, bien sûr, finances !

Orga­nismes d’un genre inédit, les agences de bas­sin s’inspirent un peu de la Ten­nes­see Val­ley Autho­ri­ty créée après la crise de 1929 et de l’Emschergenossenschaft qui s’occupe d’un petit bas­sin de la Ruhr, mais elles couvrent tout l’Hexagone. Char­gées d’établir une poli­tique de l’eau à l’échelle des grands bas­sins (Seine, Loire, Garonne, Rhône, Est et Nord), elles doivent à la fois veiller à ce qu’il y ait assez d’eau en été (étiage) et pas trop en hiver (crues) et que la qua­li­té de l’eau soit préservée. 

Elles consti­tuent un pre­mier exemple d’internalisation d’effets externes selon le prin­cipe dit « pol­lueur-payeur » ou « consom­ma­teur-payeur », par la créa­tion de rede­vances dues par tous ceux, agri­cul­teurs, indus­triels et par toutes les col­lec­ti­vi­tés locales, qui, selon la loi de 1964, « ont ren­du son action néces­saire ou utile ou y trouvent leur intérêt ».

Nouvelles missions

Sa tâche essen­tielle étant ter­mi­née, Ivan quitte pro­vi­soi­re­ment l’eau pour deve­nir direc­teur du Gaz, de l’Électricité et du Char­bon au minis­tère de l’Industrie (1970−1973), puis pré­sident de la SITA (1974−1983), avant de reve­nir à ses pre­mières amours comme direc­teur de l’Eau à la Lyon­naise des Eaux (1983−1989). Après sa retraite, il reste pré­sident du Centre d’étude et de for­ma­tion inter­na­tio­nal à la ges­tion des res­sources en eau (Cefigre), puis vice-pré­sident et enfin pré­sident d’honneur de l’Office inter­na­tio­nal de l’eau (OIEau).

Ivan Ché­ret a écrit un livre de vul­ga­ri­sa­tion sur les pro­blèmes de l’eau : L’eau (col­lec­tion Socié­té, Seuil, 1967) et a par­ti­ci­pé à un ouvrage col­lec­tif : Eau (Robert Laf­font, 2004). Il a don­né une longue inter­view en 2006 (entre­tien avec Gabrielle Bou­leau https://www.oieau.fr/sites/www.oieau.fr/files/entretien_ivan_cheret.pdf).

Ivan laisse der­rière lui son épouse Irène, deux filles et un fils, 8 petits-enfants et 4 arrière-petits-enfants.

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