Alain Stahl

Alain Stahl (X44) scientifique et philosophe

Dossier : TrajectoiresMagazine N°778 Octobre 2022Par Raymond BAULAC (X44)Par Gilles DOWEK (X85)Par Gilbert BELAUBRE (X51)

Après une brillante car­rière dans l’industrie, Alain Stahl, major de la pro­mo­tion 44, a consa­cré ses années de retraite à la réflexion sur les consé­quences épis­té­mo­lo­giques et phi­lo­so­phiques des avan­cées spec­ta­cu­laires dans tous les domaines scien­ti­fiques, avec le sou­ci de rap­pro­cher science et philosophie.

Né le 5 février 1926, fils d’un direc­teur de la RATP, Alain obtient en 1942 le pre­mier prix de mathé­ma­tiques au Concours géné­ral et est reçu deux ans plus tard pre­mier à l’École nor­male supé­rieure et troi­sième à l’X dont il sor­ti­ra major. Sa car­rière indus­trielle démarre dans le Nord comme ingé­nieur des Mines. En 1956, il quitte l’administration et va, suc­ces­si­ve­ment, fran­chir les éche­lons hié­rar­chiques chez Pechi­ney, puis Pechi­ney Saint-Gobain, chez Rhône-Pou­lenc, et enfin CDF-Chi­mie dont il sera le direc­teur géné­ral. Il avait une conscience très fine de ce que devait être la chi­mie moderne et ses cré­neaux stra­té­giques, et n’a pas tou­jours trou­vé chez ses patrons la même finesse de réflexion.

Mon­ta­gnard aver­ti, il n’a arrê­té ses courses en mon­tagne qu’après avoir reçu un aver­tis­se­ment sérieux dans la face sud de la barre des Écrins. Arrivent les années de retraite ; Alain se fixe un emploi du temps sévère et tra­vaille comme quand il était jeune ; il se remet au cou­rant des avan­cées scien­ti­fiques, conçoit un pro­jet d’ouvrage sur la phi­lo­so­phie de la science et sou­tient une thèse de lettres avec les féli­ci­ta­tions du jury. Son livre est publié chez Vrin, en octobre 2004, dans la col­lec­tion « Science-His­toire-Phi­lo­so­phie », sous le titre Science et phi­lo­so­phie. Rivales, étran­gères ou complément­aires. Il y aura une 3édi­tion en 2017 et Alain tra­vaillait avec le même enthou­siasme à la 4e édi­tion quand il a été vic­time de la covid au début du mois de mai. Celle-ci sera publiée prochainement.

Une érudition étourdissante

Gilles Dowek (X85) qui l’a sou­vent ren­con­tré témoigne : « Alain Stahl nous a invi­tés à repen­ser les rela­tions entre la science et la phi­lo­so­phie, “ni rivales, ni étran­gères”, en nous foca­li­sant moins sur les apports de la phi­lo­so­phie à la science que sur ceux, réci­proques, de la science à la phi­lo­so­phie. Ces apports sont ren­dus pos­sibles par l’existence de concepts uti­li­sés à la fois par la science et la phi­lo­so­phie : l’espace, le temps, la réa­li­té, la cau­sa­li­té, la vie, la pen­sée, le lan­gage, la com­plexi­té, le déter­mi­nisme, le hasard… que la science a pro­fon­dé­ment renou­ve­lés depuis le début du XXe siècle.

Alain Stahl était pas­sion­né par l’opposition entre maté­ria­lisme et spi­ri­tua­lisme. La science n’a bien enten­du pas voca­tion à tran­cher entre ces thèses et Alain ne cher­chait pas à conver­tir son lec­teur, mais il ne cachait pas ses convic­tions per­son­nelles. Et en nous pro­po­sant, à l’issue de trente ans de réflexion, un spi­ri­tua­lisme don­nant toute sa place à la science et à la rai­son, il nous a éga­le­ment pro­po­sé une vision nou­velle de la place des reli­gions dans le monde contemporain. »

Science et spirituel

Gil­bert Belaubre (X51) a été pen­dant vingt ans l’interlocuteur d’Alain au sein de l’Académie euro­péenne inter­dis­ci­pli­naire des sciences. Évo­quant les convic­tions phi­lo­so­phiques d’Alain sur le maté­ria­lisme et le spi­ri­tua­lisme, il nous dit : « C’était aus­si un sujet que nous évo­quions sou­vent. Né dans une famille agnos­tique, il a connu, avec Claire son épouse, un grand amour par­ta­gé sans le moindre nuage. Il a, selon ses termes, par­ta­gé par amour la reli­gion de Claire. En para­phra­sant Hen­ri IV, je dirai : “Claire valait bien une messe.” Alain Stahl, à l’instar d’autres grands pen­seurs, tels que Pas­teur, sépa­rait le domaine du spi­ri­tuel pri­vé et celui de la science, un bien com­mun. » Et il conclut : « Alain Stahl était un homme d’abord simple, mais c’était une sim­pli­ci­té aris­to­cra­tique. Au fond de ma mémoire, la part de son âme qu’il m’a léguée est pré­sente et elle res­te­ra tou­jours vivante. »

Poster un commentaire