Investir dans les technologies quantiques un pari d’avenir

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°771 Janvier 2022
Par Christophe JURCZAK (X89)

Amor­çant une rup­ture tech­no­lo­gique majeure dont on com­mence à prendre la mesure, les tech­no­lo­gies quan­tiques se déve­loppent dans un éco­sys­tème encore res­treint mais bouillon­nant. Quan­to­na­tion a pris les devants en deve­nant le pre­mier fonds d’investissements au monde spé­cia­li­sé dans le sec­teur. Asso­cié du fonds Quan­to­na­tion, Chris­tophe Jurc­zak (89) nous explique pourquoi.

Quelles sont les promesses technologiques du calcul quantique, et pour quelles applications industrielles ?

Cette tech­no­lo­gie per­met­tra de réa­li­ser des cal­culs impos­sibles à pro­duire avec des ordi­na­teurs clas­siques. Au-delà, si l’on veut consi­dé­rer l’ensemble du sec­teur quan­tique, on peut dis­tin­guer trois seg­ments prin­ci­paux : le cal­cul quan­tique, les com­mu­ni­ca­tions quan­tiques, et la détec­tion – où l’on obtient une réso­lu­tion bien meilleure qu’avec des détec­teurs classiques.

Le pre­mier sec­teur d’application, et dont on parle peut-être un peu moins sou­vent, c’est la recherche scien­ti­fique. L’ordinateur quan­tique est un outil extra­or­di­naire pour faire de la science, notam­ment de la phy­sique et de la science des maté­riaux. Dans ce domaine, l’outil est déjà mis en œuvre et fonctionne.

Concer­nant les appli­ca­tions com­mer­ciales, la tech­no­lo­gie a per­mis d’aboutir à une nou­velle ver­sion du machine lear­ning impli­quant des pro­ces­seurs quan­tiques pour amé­lio­rer les per­for­mances, avec des appli­ca­tions poten­tielles en drug deve­lop­ment notam­ment-réa­li­sa­tion de nou­velles molé­cules et de nou­veaux médi­ca­ments. Ensuite, cet outil peut trou­ver une uti­li­té pour des pro­blèmes d’optimisation indus­trielle dans les pro­cess, qui sont pré­sents un peu par­tout : dans les trans­ports, la ges­tion de l’électricité, dans tout ce qui touche aux sys­tèmes com­plexes avec de nom­breux scé­na­rios pos­sibles. Enfin, la finance est un domaine d’avenir pour le quan­tique, que ce soit dans la ges­tion de por­te­feuille, la prise en compte de risques, l’analyse de fraudes dans des réseaux ban­caires ou dans des réseaux inter­net. Il y a éga­le­ment un cer­tain nombre d’applications en vue sur les éner­gies renou­ve­lables et les réseaux élec­trique, par exemple l’insertion inter­mit­tente d’énergie sur les réseaux. Un des pre­miers cas d’usage a été chez EDF l’optimisation d’une flotte de véhi­cules élec­triques, et plus spé­ci­fi­que­ment l’élaboration de stra­té­gies de char­ge­ment (quand les véhi­cules doivent se char­ger, quand remettre de l’électricité dans le réseau…). Ce sont des cas d’usage où il y a du cal­cul, des scé­na­rios à éva­luer, plus que de l’analyse de don­nées en tant que telle.

“À l’échelle de l’Union européenne, c’est en France que les start-up hardware sont les plus nombreuses pour le quantum computing.”

Quel est le rôle de Quantonation dans cette filière en développement ?

Quan­to­na­tion est un fonds d’investissement qui inves­tit dans les start-up déve­lop­pant des tech­no­lo­gies quan­tiques, en amor­çage, au début de leur vie, entre leur créa­tion et les quatre ou cinq pre­mières années. Nous sommes le pre­mier fonds dans le monde à s’être spé­cia­li­sé dans ce sec­teur, et nous sommes les plus gros inves­tis­seurs en ear­ly stage à ce stade.

Votre entreprise est de création récente. Comment avez-vous grandi ?

Il y a eu plu­sieurs étapes : entre 2018 et 2021, nous avons fait douze inves­tis­se­ments à tra­vers un pre­mier véhi­cule Quan­to­na­tion SAS, puis nous nous sommes conver­tis en fonds d’investissement stric­to sen­su en début d’année 2021, avec une pre­mière levée de fonds de 25 mil­lions d’euros au mois de mars, et un objec­tif de clô­ture au-delà de 60 mil­lions que nous atten­dons tout début 2022. Le fonds est déjà bien doté pour trai­ter du ear­ly stage et nous pour­sui­vons nos inves­tis­se­ments dans de nom­breuses entreprises.

Quelle est la part de l’international dans vos investissements ?

Nous sommes un fonds qui a la par­ti­cu­la­ri­té de pou­voir inves­tir par­tout dans le monde, avec une pro­por­tion actuel­le­ment de 20 % en Amé­rique du Nord, et plus des trois quarts en Europe. La France n’est pas un pays à la traîne, bien au contraire ! L’année 2021 va être record pour l‘investissement dans les start-up du quan­tique, en pas­sant à près de 3 mil­liards d’euros. Pour l’instant, c’est vrai que beau­coup de pro­jets viennent des USA. Mais même si les socié­tés ont chez nous démar­ré un petit peu plus tard, nous avons de belles pépites, qui lèvent des mon­tants impor­tants : par exemple la socié­té Pas­qal a levé 25 mil­lions d’euros au mois d’avril. Nous avons eu un peu de retard sur la créa­tion des start-up mais nous sommes en phase de rat­tra­page, avec d’ailleurs beau­coup d’entreprises créées par des anciens poly­tech­ni­ciens : Pas­qal, Alice&Bob, C12, Quan­de­la par exemple. Et à l’échelle de l’Europe, c’est en France que les start-up hard­ware sont les plus nom­breuses pour le quan­tum computing.

Est-ce que l’État soutient activement cette technologie ?

La France a lan­cé en jan­vier 2021 la stra­té­gie natio­nale quan­tique : plus d’un mil­liard et demi d’euros d’investissement sont pré­vus dans les pro­chaines années sur les tech­no­lo­gies quan­tiques. La plu­part du temps les start-up sont issues de la recherche publique, notam­ment du CNRS. Les acteurs publics sont mobi­li­sés. Il y a des pro­grammes de sou­tien, et la France est en pointe sur le finan­ce­ment des start up, sur­tout au niveau de l’amorçage. Mais il faut s’occuper de la suite, et accom­pa­gner la filière sur plu­sieurs années : nous sommes là sur le long terme. Notre hori­zon est à 10 ans.

Les grands acteurs industriels et technologiques ont commencé à investir ?

Quelques acteurs majeurs se sont mobi­li­sés assez tôt et ont com­men­cé à inves­tir : Thales, Atos, Air­bus, Total notam­ment. On en voit arri­ver des nou­veaux, comme Air Liquide. Il y a certes des seg­ments sur les­quels on est en retard, comme l’automobile, alors que l’Allemagne s’est mobi­li­sée très for­te­ment sur ce seg­ment, mais la base indus­trielle demeure assez forte. Nous avons été pen­dant long­temps plus inté­res­sés par la détec­tion que par le cal­cul quan­tique, mais la situa­tion est en train de chan­ger : par exemple la filiale d’investissement du Cré­dit Agri­cole CACIB a com­men­cé à tra­vailler sur les appli­ca­tions de cal­cul quan­tique en finance. Les men­ta­li­tés évoluent.

Quels sont pour vous les principaux enjeux actuels ?

En pre­mier lieu, faire le clo­sing du fonds début 2022. Au delà, il est éga­le­ment impor­tant pour nous de s’assurer que des socié­tés se créent constam­ment : il faut qu’il y ait des pro­jets en per­ma­nence, mobi­li­ser les pou­voirs publics, faire sor­tir les tech­no­lo­gies des labo­ra­toires. Enfin, on sait aus­si, notam­ment pour le hard­ware dans le cal­cul quan­tique, qu’il fau­dra des cen­taines de mil­lions d’investissement par tech­no­lo­gie, voire par start-up. Est-ce qu’on est capables d’aller vers ces hau­teurs en Europe, en ven­ture capi­tal ? C’est une ques­tion. En tous cas, il va fal­loir trou­ver la bonne arti­cu­la­tion entre le fait qu’il faut conti­nuer à finan­cer la recherche fon­da­men­tale – sinon nous n’aurons pas de beau pro­jet à échelle inter­na­tio­nale, – mais aus­si la crois­sance des start-up. C’est sur toute la chaîne qu’il faut se mobi­li­ser. Aujourd’hui la situa­tion est bonne, mais nous devons veiller à ce que tout s’articule cor­rec­te­ment dans les pro­chaines années.

Qu’est-ce qui reste à faire pour continuer à développer le secteur ?

Le chal­lenge qui reste, c’est que nous n’avons pas encore atteint l’avantage com­mer­cial avec le cal­cul quan­tique : les entre­prises n’utilisent pas encore en rou­tine l’ordinateur quan­tique pour des appli­ca­tions. Les tech­no­lo­gies sont en train de pas­ser à l’échelle, mais ne sont pas encore suf­fi­sam­ment matures pour don­ner un avan­tage par rap­port à un ordi­na­teur clas­sique dans un vrai cas d’usage pra­tique. Il faut arri­ver à articu­ler l’investissement, mobi­li­ser les indus­triels, dans une phase où l’environnement reste encore un peu incertain.

Nous avons réus­si à construire en France le fonds lea­der sur la par­tie amor­çage, avec seize inves­tis­se­ments. C’est un beau suc­cès, d’autant que nous nous sommes lan­cés en 2018 à un moment où les gens n’en par­laient qua­si­ment pas. Nous avons déve­lop­pé une grande exper­tise tech­nique, et nous sou­te­nons plei­ne­ment les poli­tiques publiques pour faire avan­cer le quan­tique. Il n’est pas trop tard pour se lan­cer ! Nous avons besoin de nou­veaux pro­jets, d’étudiants, de labo­ra­toires, de cher­cheurs, d’entrepreneurs, et de cher­cheurs qui s’associent avec des entre­pre­neurs pour faire émer­ger des pro­jets. La dyna­mique est là, tous les indi­ca­teurs nous encou­ragent à déve­lop­per en France et en Europe une indus­trie sur les tech­no­lo­gies quantiques.


En bref

Lea­der mon­dial des fonds d’investissements dans les tech­no­lo­gies quan­tiques, Quan­to­na­tion a 16 inves­tis­se­ments dans des start-up.

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