Internet en milieu rural

Dossier : InternetMagazine N°524 Avril 1997
Par Michel PINTON (58)

La “toile d’araignée” d’In­ter­net n’a pas encore tis­sé de fils jusqu’aux entre­pris­es français­es les plus sen­si­bles aux grands courants inter­na­tionaux ; et voici que dans les replis les moins acces­si­bles du plateau de Mill­e­vach­es, un cybere­space est créé, vit et se développe grâce à la pop­u­la­tion locale et à son prof­it. Étrange para­doxe. À quoi peut bien servir Inter­net dans un pays si reculé ? On vient de toute la France rurale voir l’ex­péri­ence ; feu de paille qui retombera vite ou out­il puis­sant et orig­i­nal de développe­ment local ?

Si les pro­mo­teurs du pro­jet ont voulu qu’un fil de réseau soit tiré jusqu’au fond de la Creuse, c’est pré­cisé­ment parce qu’ils y ont vu un moyen de rompre enfin un isole­ment sécu­laire. Il n’y a ici ni autoroute, ni train à grande vitesse, ni aéro­port qui relie com­mod­é­ment aux grands cen­tres français, européens ou mon­di­aux. Il fal­lait bien chercher autre chose. Inter­net, c’est une sorte de revanche : grâce au “Web”, les dis­tances sont abolies. Des petites com­munes reculées de Creuse, on est désor­mais en rela­tions immé­di­ates et fécon­des avec Paris, Tokyo ou New York. Psy­chologique­ment, c’est une révolution.

Main­tenant, les asso­ci­a­tions de per­son­nes âgées se bous­cu­lent au cybere­space pour vis­iter la dernière expo­si­tion de tableaux au Smith­so­mi­an de Wash­ing­ton ; les jeunes sont instan­ta­né­ment branchés sur les dernières chan­sons de leurs groupes musi­caux préférés et ils échangent avec des incon­nus alle­mands ou japon­ais leurs impres­sions sur les mod­èles de motos les plus récentes.

Mais Inter­net, en Creuse, ce n’est pas seule­ment une dis­trac­tion pour une pop­u­la­tion isolée. L’as­so­ci­a­tion “Cyber en marche”, qui gère le cybere­space local, ne se con­tente pas des quelque trois cents vis­i­teurs que la curiosité et l’ap­pétit d’in­for­ma­tions attirent chaque mois ; elle veut aus­si édu­quer, avoir des per­spec­tives, sus­citer des activ­ités nou­velles : des chômeurs vien­nent se for­mer, dans l’e­spoir d’ac­quérir d’u­tiles com­pé­tences ; les éleveurs de bovins du Lim­ou­sin se frot­tent aux méth­odes de ventes de leurs col­lègues du Kansas ; les offices de tourisme de la Creuse appren­nent à ven­dre les gîtes ruraux, si nom­breux dans le départe­ment, par l’in­ter­mé­di­aire d’In­ter­net. Cette tâche éduca­tive, soutenue par toutes les organ­i­sa­tions socio-pro­fes­sion­nelles locales, est une aventure.

Son appli­ca­tion la plus spec­tac­u­laire est aus­si celle qui était la moins atten­due : elle con­cerne l’é­d­u­ca­tion nationale. Le départe­ment de la Creuse se car­ac­térise par un grand nom­bre de petites écoles rurales dont les hori­zons sont très lim­ités. Quelques maires auda­cieux ont décidé, à l’in­vi­ta­tion de l’in­specteur d’a­cadémie, de rompre leur isole­ment en y instal­lant des ter­minaux Inter­net. Voici que le monde entier fait irrup­tion dans les salles de classe des vil­lages, jusque-là éloignés de tout. L’en­seigne­ment de l’his­toire, de la géo­gra­phie et d’autres matières en est boulever­sé. On tra­vaille en com­mun avec des enfants du Québec. On présente sa com­mune, ses habi­tants, ses pro­duits à des inter­locu­teurs qui vivent à 10 000 kilomètres.

Mais Inter­net sur le plateau de Mill­e­vach­es, c’est plus que tout cela, plus encore qu’un accès mon­di­al pro­posé aux entre­pris­es locales. C’est une nou­velle ambi­tion pour l’amé­nage­ment du ter­ri­toire nation­al : grâce à des coûts de tra­vail inférieurs de 15 à 20 % à ceux de la région parisi­enne et grâce à l’ap­pui bien­veil­lant de grandes entre­pris­es nationales comme Transpac, les ser­vices offerts sur le serveur local sont beau­coup moins chers que leurs équiv­a­lents en région parisienne.

Dès lors, il est pos­si­ble d’imag­in­er que l’on peut invers­er la ten­dance sécu­laire qui voulait que les ruraux émi­grassent vers les cen­tres urbains où le tra­vail les appelait. Désor­mais, grâce aux nou­veaux réseaux de com­mu­ni­ca­tion, le tra­vail peut aller là où les hommes l’ap­pel­lent. Et pourquoi ne l’ap­pelleraient-ils pas en ces collines ver­doy­antes où il fait bon vivre, où l’air et l’eau sont purs, la nature intacte et les com­mu­nautés humaines équilibrées ?

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