Infidélités

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°685 Mai 2013Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Vous avez décou­vert avec émo­tion la Rhap­sody in Blue de Gersh­win quand vous aviez quinze ans, vous l’avez écoutée cent fois et plus encore jusqu’à en être écœuré ; de même avec telle Sym­phonie de Beethoven, tel Noc­turne de Chopin, et vous avez renon­cé une fois pour toutes – croyez-vous – à ces blue chips rabâchés au prof­it de décou­vertes grat­i­fi­antes : Szy­manows­ki, Mag­nard, A. von Zem­lin­sky, etc.

Et puis voici que vous avez l’occasion d’entendre à nou­veau, con­traint par le hasard, ces pre­mières amours. Et l’émotion revient soudain, intacte, inat­ten­due. Est-ce seule­ment de revivre vos quinze ans ?

Le Sacre du printemps

Vous pos­sédez sans doute votre inter­pré­ta­tion préférée, défini­tive, du Sacre. Ou peut-être est-il désor­mais insé­para­ble pour vous de la choré­gra­phie de Béjart qui vous causa un jour un choc mémorable.

Vous apprenez que Simon Rat­tle vient de l’enregistrer avec le Berlin­er Phil­har­moniker1 et vous l’abordez avec une atti­tude dubi­ta­tive : un enreg­istrement de plus ? Eh bien non, c’est une mer­veille absolue qu’il faut courir écouter toutes affaires cessantes.

Il y a d’abord, bien sûr, les vents de la Phil­har­monie, notam­ment les bois, sans doute les meilleurs au monde aujourd’hui, qui jouent dans le Sacre du print­emps un rôle si impor­tant. Il y a les cordes, extra­or­di­naire­ment soyeuses, qui peu­vent être vénéneuses comme dans le mou­ve­ment « Cer­cles mys­térieux des adolescentes ».

Mais il y a surtout Rat­tle, qui réu­nit la pré­ci­sion d’un Boulez, la rigueur d’un Kara­jan et la sen­su­al­ité d’un Bern­stein, et qui donne de ce Sacre, sans doute le som­met de l’œuvre de Stravin­sky, une ver­sion qui fera désor­mais référence.

Sur le même disque, Sym­phonies d’instruments à vent, dédié à Debussy, et le grand Apol­lon Musagète, œuvre majeure mécon­nue, musique néo­clas­sique qui mérite la découverte.

Le Stabat Mater de Dvorak

Coffret du CD :Stabat Mater de DVORAKLe Sta­bat Mater ne fait pas par­tie des œuvres les plus jouées de Dvo­rak, peut-être en rai­son de l’effectif choral et orches­tral qu’il exige ; mais c’est une des œuvres les plus fortes et les plus belles qu’il ait écrites.

On peut à bon droit le préfér­er au Requiem de Ver­di et le plac­er tout près du Requiem de Fau­ré auquel il s’apparente : thèmes superbes, har­monies com­plex­es, archi­tec­ture grandiose, ten­sion dra­ma­tique qui ne faib­lit pas.

Philippe Her­reweghe l’a enreg­istré à la tête du Col­legium Vocale Gent et du Phil­har­monique roy­al fla­mand)2, avec le soin qu’on lui con­naît pour la recon­sti­tu­tion fidèle des par­ti­tions du XIXe siècle.

Une œuvre et un disque qui méri­tent la découverte.

Beethoven : intégrales (suite)

François-Frédéric Guy pour­suit l’enregistrement inté­gral des Sonates de Beethoven avec neuf sonates dont Les Adieux, Ham­merklavier, et les trois dernières (opus 109, 110 et 111)3.

Coffret du CD : Les Sonates de BeethovenEnreg­istr­er une inté­grale oblige l’interprète – c’est une lapalis­sade – à se rap­procher du com­pos­i­teur et à s’identifier à lui. Guy y parvient, tout comme y étaient par­venus jadis Yves Nat et Artur Schnabel.

Et une écoute com­parée avec les inter­pré­ta­tions his­toriques de Schn­abel mon­tre que François-Frédéric Guy est au niveau de son grand aîné, avec, en plus, une qual­ité tech­nique de l’enregistrement qui n’existait évidem­ment pas en 1932.

Le Quatuor Bel­cea ter­mine son inté­grale des seize Quatuors de Beethoven avec deux quatuors de l’opus 18, le n° 10 (Les Harpes), le 13, les 7 et 8 (Razu­movsky) et les deux derniers, le n° 15 opus 132 et le n° 16 opus 135, aux­quels s’ajoute la Grande Fugue)4.

Coffret du CD Les Quators de BeethovenVous avez adop­té l’enregistrement his­torique du Quatuor Alban Berg de 1989, et vous allez décou­vrir avec celui des Bel­cea une inter­pré­ta­tion renou­velée qui vous con­duira peut-être à l’infidélité.

Les Quatuors de Beethoven sont de ces très rares œuvres qui, comme L’Art de la fugue ou Don Gio­van­ni, sont à la fois pro­fondé­ment humaines et, comme dis­ait de Gaulle, « dépassent cha­cune de nos pau­vres vies ».

Mais il leur faut des inter­prètes d’exception. Les Bel­cea sont au zénith de la tech­nique indi­vidu­elle et col­lec­tive. Ils ont choisi une inter­pré­ta­tion non sere­ine et dis­tan­ciée, comme c’est générale­ment le cas, mais ten­due, exac­er­bée, même dans les mou­ve­ments lents.

Et ils réalisent cette alchimie inespérée qui vous fait, vous l’auditeur, vous appro­prier cette musique, en quelque sorte de l’intérieur. Ces qua­tre musi­ciens du Bel­cea sont des passeurs d’âme, aux­quels nous serons désor­mais résol­u­ment fidèles.

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1. 1 CD EMI.
2. 1 CD PHI.
3. 3 CD ZIG ZAG.
4. 4 CD ZIG ZAG.

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