Fusée numérique qui décolle : le numérique accélère

Industrie, santé, culture, IA générative… le numérique accélère

Dossier : ExpressionsMagazine N°788 Octobre 2023
Par Hervé MOUREN (67)

Le numé­rique connaît des déve­lop­pe­ments qui donnent le ver­tige. Il faut s’y adap­ter : entre­prises, par­ti­cu­liers, États. Mais c’est au niveau euro­péen que les réponses pour­ront être adap­tées à l’ampleur des défis.

Le numé­rique est aujourd’hui au cœur de la recherche et de l’industrie. Qu’on s’occupe de grande indus­trie – dans l’aéronautique, l’automobile ou la chi­mie, dans l’énergie ou la construc­tion – ou de grands domaines comme la san­té et l’industrie phar­ma­ceu­tique, les com­mu­ni­ca­tions ou la pro­duc­tion audio­vi­suelle, le numé­rique est deve­nu par­tout en quelques années une com­po­sante majeure de l’activité, et même dans cer­tains cas le moteur prin­ci­pal du déve­lop­pe­ment des entre­prises. Or les déve­lop­pe­ments récents du numé­rique et les pers­pec­tives pour les pro­chaines années montrent une accé­lé­ra­tion forte, à la fois des per­for­mances et des pos­si­bi­li­tés et aus­si des usages, allant jusqu’à la créa­tion d’activités com­plè­te­ment nou­velles, dont par construc­tion nous ne pou­vons pas mesu­rer à l’avance l’apport véri­table et les risques pos­sibles induits.

On n’a encore rien vu… 

La trans­for­ma­tion que nous avons vécue depuis dix ans peut nous paraître impor­tante, mais ce qui nous attend est sans com­mune mesure. Demain, le numé­rique sera au cœur de la culture, de la presse et de l’éducation. Un exemple : on va pou­voir créer des livres « à la San-Anto­nio », de la musique « à la Jean-Sébas­tien Bach », des tableaux « à la Picas­so », et il sera dif­fi­cile de démê­ler le vrai du faux. Ce sera éga­le­ment un fac­teur de pro­grès déter­mi­nants dans la san­té, avec notam­ment la mise au point de trai­te­ments per­son­na­li­sés et de nou­velles thé­ra­pies. Cette accé­lé­ra­tion va se faire sen­tir dans tous les domaines et dans toutes les entre­prises, quelle que soit leur taille. Une bonne maî­trise du numé­rique devient indis­pen­sable pour la com­pé­ti­ti­vi­té et, a contra­rio, une prise en compte insuf­fi­sante peut avoir des consé­quences lourdes.

S’informer et se former

Alors, que doivent faire les entre­prises ? La pre­mière des choses, c’est de s’informer et de se for­mer. La for­ma­tion, en quan­ti­té et en qua­li­té, est essen­tielle. Deux pays nous montrent la voie : l’Inde et la Chine ont construit en quelques années des sys­tèmes de for­ma­tion excep­tion­nels de cher­cheurs et d’ingénieurs sur tout le champ du numé­rique, des mathé­ma­tiques appli­quées aux com­po­sants, aux archi­tec­tures et aux logi­ciels. Nous avons la chance de dis­po­ser d’un sys­tème d’enseignement et de recherche de qua­li­té et rien ne s’oppose à ce que l’on fasse aus­si bien, en com­plé­tant cette action par des pro­grammes de for­ma­tion conti­nue : il ne suf­fit pas de pou­voir embau­cher dans quelques années de bons ingé­nieurs bien for­més, il faut aus­si que les équipes actuelles de recherche et de pro­duc­tion intègrent ces nou­velles pos­si­bi­li­tés dès qu’elles apparaissent.

Se préparer et faire des choix

Il faut aus­si se pré­pa­rer pour uti­li­ser ces per­for­mances que le numé­rique per­met et il ne s’agit pas de déga­ger des bud­gets impor­tants. Le pre­mier inves­tis­se­ment est de s’informer sur les nou­velles pos­si­bi­li­tés que le numé­rique offre et va offrir dans le domaine d’activité concer­né. Je peux vous citer un exemple, le cal­cul quan­tique pour lequel un groupe de grandes entre­prises et de centres de recherche et d’enseignement ont lan­cé des tra­vaux com­muns pour leur per­mettre de se pré­pa­rer à l’arrivée de ces tech­no­lo­gies très puis­santes. Des jour­nées sont régu­liè­re­ment orga­ni­sées où se retrouvent ces grands indus­triels et les start-up du domaine, et à chaque fois entre 200 et 300 per­sonnes y par­ti­cipent. Cela per­met aux uti­li­sa­teurs de se pré­pa­rer et aux four­nis­seurs tech­no­lo­giques de trou­ver des par­te­naires pour les aider à conce­voir leurs pro­duits. Le choix des domaines pré­cis d’investissement reste tou­jours un choix indi­vi­duel d’entreprise : une entre­prise qui fabrique des pièces de pré­ci­sion se pose­ra sans doute la ques­tion de la fabri­ca­tion addi­tive ; dans un autre domaine, ce sera l’usage pos­sible de jumeaux numé­riques ; pour d’autres le recours à des tech­nique d’apprentissage, etc. Le choix et le dimen­sion­ne­ment des inves­tis­se­ments à réa­li­ser seront tou­jours liés à l’évolution sou­hai­tée par l’entreprise de ses capa­ci­tés de concep­tion et de production.

Les gains de performance dans l’existant

Dans l’accélération à laquelle nous assis­tons, il y a d’abord le gain de per­for­mances sur des usages maî­tri­sés et des appli­ca­tions exis­tantes. La com­bi­nai­son des pro­grès en puis­sance de cal­cul – on atteint aujourd’hui l’exascale, soit dix mil­liards de mil­liards d’opérations par seconde et de ceux réa­li­sés dans le sto­ckage et dans les logi­ciels font que, sur les appli­ca­tions de simu­la­tion, on a gagné un fac­teur mille en dix ans. Et c’est la même chose pour le trai­te­ment des don­nées pour les data scien­tists. On ne conçoit plus un pro­duit ou un ser­vice comme on le fai­sait il y a dix ans. D’où l’importance de ce regard sur ce que per­mettent les pro­grès du numérique.

Les nouveaux domaines

Mais il va fal­loir aller au-delà. On va voir arri­ver des acti­vi­tés nou­velles, incon­ce­vables pré­cé­dem­ment, qui se déve­loppent à cause de la puis­sance inéga­lée des outils numé­riques et qui seront mises au point sans qu’il y ait la moindre vali­da­tion ou qua­li­fi­ca­tion des pro­ces­sus uti­li­sés. C’est le cas notam­ment avec l’intelligence arti­fi­cielle géné­ra­tive qui, à une ques­tion posée, répond à par­tir d’une ana­lyse de tout ce qui est dis­po­nible sur Inter­net sur ce sujet. Pour la dif­fu­sion d’informations, c’est un outil très effi­cace mais inca­pable de dis­cer­ner les fausses infor­ma­tions. Les pro­chaines ver­sions crée­ront des textes, des images et de la musique sans auteur et tout le sec­teur audio­vi­suel sera impac­té. La notion même de droit d’auteur devra être revue. Ce sera éga­le­ment le cas en bio­lo­gie ou dans la recherche phar­ma­ceu­tique, où l’analyse numé­rique des com­bi­nai­sons de molé­cules offri­ra des pos­si­bi­li­tés sans com­mune mesure avec ce que l’on sait faire aujourd’hui.

“Le numérique, une des composantes essentielles de la construction européenne.”

Gérer les risques

Il est impor­tant de tra­vailler à la fois sur les pos­si­bi­li­tés extra­or­di­naires offertes par ce type d’approches et sur les façons de gérer les risques induits. Le risque majeur est de dif­fu­ser de fausses infor­ma­tions, de géné­rer de faux médi­ca­ments et de fausses thé­ra­pies. Il faut s’y pré­pa­rer et conce­voir les outils et les méthodes per­met­tant de gérer ces risques.

Le rôle de l’Europe

Le rôle de l’Europe sera essen­tiel sur tout le champ cou­vert par le numé­rique. Sur la maî­trise tech­no­lo­gique du numé­rique, des pro­grès impor­tants ont été faits. Le pro­gramme EuroHPC per­met de fédé­rer les acteurs euro­péens de l’industrie et de la recherche autour de grandes réa­li­sa­tions fon­da­men­tales pour notre com­pé­ti­ti­vi­té et notre sou­ve­rai­ne­té. Les pre­mières machines Exas­cale euro­péennes vont voir le jour, dont une en France pro­chai­ne­ment ; des actions ambi­tieuses dans le domaine des com­po­sants sont lan­cées et l’Europe a déci­dé d’établir dans chaque pays un centre de com­pé­tence met­tant en rela­tions tous les acteurs concer­nés de l’industrie, de l’enseignement et de la recherche pour faci­li­ter la dif­fu­sion et la maî­trise de ces technologies. 

Ces centres seront acces­sibles à toutes les entre­prises, offreurs et uti­li­sa­teurs, aux cher­cheurs, aux étu­diants, aux deman­deurs d’emploi, etc., et per­met­tront de trou­ver des réponses aux ques­tions posées. Ce sera la même chose pour la ges­tion des risques. Les pro­blèmes de cyber­sé­cu­ri­té, qui vont aller crois­sant, et les risques pré­sen­tés par ces nou­velles acti­vi­tés sont les mêmes par­tout et vont néces­si­ter la mise en place de garde-fous avec des règles pré­cises, dont la mise en place sera for­cé­ment européenne.

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