« Il y a encore de grandes aventures industrielles à écrire en France »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°788 Octobre 2023
Par Pierre-Emmanuel MARTIN

Avec son pro­jet de giga­fac­to­ry en France d’ici 2025, CARBON ambi­tionne de re-déve­lop­per une indus­trie du pho­to­vol­taïque solaire. Sou­ve­rai­ne­té éner­gé­tique, décar­bo­na­tion, réin­dus­tria­li­sa­tion de la France… sont autant d’enjeux qui mobi­lisent la socié­té indus­trielle. Le point avec Pierre-Emma­nuel Mar­tin, son cofon­da­teur et président.

Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas de créer ex-nihilo une filière autour du photovoltaïque solaire, mais plutôt de s’appuyer sur le substrat d’une filière industrielle en perte de vitesse depuis la fin des années 90 en France. Qu’en est-il ? 

Jusqu’à la fin des années 90 et le début des années 2000, nous avions en Europe une filière indus­trielle com­plète autour de cette éner­gie. À par­tir de 2002, nous avons assis­té à la mon­tée en puis­sance de la Chine, qui était per­çue comme un ate­lier de fabri­ca­tion indus­trielle à bas coût. Aujourd’hui, il nous faut recon­naître que les Chi­nois ont per­mis au solaire de deve­nir ultra-com­pé­ti­tif et qu’ils pro­posent des tech­no­lo­gies très avancées.

Avec l’augmentation de la demande, l’État chi­nois a déve­lop­pé une véri­table vision stra­té­gique autour de cette tech­no­lo­gie dont ils peuvent maî­tri­ser la chaîne de valeur, étant don­né qu’ils s’approvisionnent en pièces indus­trielles, en sili­cium, ou encore en verre dans leur propre éco­sys­tème indus­triel. 

À par­tir de 2020, entre sou­ve­rai­ne­té éco­no­mique et crise éner­gé­tique, nous avons consta­té que les condi­tions poli­tiques et éco­no­miques pour le re-déve­lop­pe­ment de la filière indus­trielle pho­to­vol­taïque euro­péenne étaient réunies, ce qui consti­tue, par ailleurs, un réponse à notre dépen­dance stra­té­gique à l’égard de la Chine sur les tech­no­lo­gies vertes. D’un point de vue tech­no­lo­gique et indus­triel, le pho­to­vol­taïque solaire s’appuie sur des pro­ces­sus matures et éprou­vés. En outre, c’est aus­si la seule éner­gie décar­bo­née qui peut être faci­le­ment et rapi­de­ment mobi­li­sée dans un contexte mar­qué par l’accélération de la décar­bo­na­tion et l’électrification des usages.

C’est donc dans ce cadre que le projet CARBON a vu le jour…

CARBON est une socié­té indus­trielle née de ren­contres entre dif­fé­rents acteurs de la filière du solaire et de l’industrie en 2020 et 2021. Notre ambi­tion est de créer les condi­tions favo­rables au déve­lop­pe­ment d’une filière fran­çaise indus­trielle inté­grée autour du solaire pho­to­vol­taïque. Dans cette démarche, nous répon­dons à une pro­blé­ma­tique clé à l’échelle euro­péenne : l’accélération de la décar­bo­na­tion des sys­tèmes éner­gé­tiques alors que les besoins en élec­tri­ci­té vont aug­men­ter mas­si­ve­ment. 

Pour CARBON, la solu­tion est claire : il s’agit de maî­tri­ser le cœur de la chaîne de valeur du solaire pho­to­vol­taïque (lin­got, module, wafer, cel­lule) pour fabri­quer des pro­duits pho­to­vol­taïques com­pé­ti­tifs, fiables, durables, haut ren­de­ment et très bas carbone.

Cela implique de rele­ver 4 enjeux structurants :

  • sou­te­nir et ren­for­cer les éco­sys­tèmes exis­tants pour assu­rer déve­lop­pe­ment et com­pé­ti­ti­vi­té de la filière ;  
  • créer les condi­tions favo­rables à l’industrialisation pro­fonde, durable et rési­liente de ce sec­teur notam­ment sur le plan finan­cier, légis­la­tif et régle­men­taire ; 
  • struc­tu­rer une filière de for­ma­tion ini­tiale et conti­nue autour des métiers indus­triels du sec­teur (de l’infrabac au bac +8) ; 
  • déve­lop­per la R&D et l’innovation tech­no­lo­gique en s’appuyant sur l’écosystème euro­péen de pre­mier plan existant.
Les grandes étapes du processus industriel au sein de la giga-usine.
Les grandes étapes du pro­ces­sus indus­triel au sein de la giga-usine.

Si d’un point de vue politique, votre ambition est de développer la souveraineté énergétique de l’Europe, quelles sont vos ambitions sur le plan industriel ? 

Parce que l’écosystème fran­çais est fra­gile et essen­tiel­le­ment com­po­sé de TPE et PME, nous sommes arri­vés au constat que notre tis­su indus­triel a besoin d’une entre­prise qui affirme d’emblée une volon­té forte de se posi­tion­ner comme un acteur glo­bal. Nous visons ain­si la créa­tion d’une pre­mière giga­fac­to­ry avec 5 GWc de capa­ci­té de pro­duc­tion en 2025. Cette capa­ci­té contri­bue­ra à réduire signi­fi­ca­ti­ve­ment les coûts de pro­duc­tion grâce à l’intégration, à l’optimisation indus­trielle et aux éco­no­mies d’échelle. Cela per­met­tra aus­si de créer envi­ron 3 000 emplois directs. Notre stra­té­gie pré­voit le déploie­ment d’autres uni­tés indus­trielles com­pa­rables dans un futur proche, en France et en Europe, afin de de per­mettre à l’Europe de reve­nir dans le jeu face à la Chine, mais éga­le­ment aux États-Unis et à l’Inde qui se déve­loppent mas­si­ve­ment en matière d’industrie solaire. 

Quels sont les enjeux auxquels vous êtes confrontés ? 

CARBON se déve­loppe autour d’une approche aty­pique en France : une ini­tia­tive ter­ri­to­riale por­tée par des entre­pre­neurs, des PME et des ETI. La pre­mière étape a donc été de faire recon­naître que notre modèle est une réponse per­ti­nente et crédible.

Pour déve­lop­per notre pro­jet de giga­fac­to­ry d’une enver­gure inédite en France avec un inves­tis­se­ment de 1,5 mil­liard et un chiffre d’affaires cible de 1,2 mil­liard d’euros par an, nous sommes confron­tés à un enjeu de finan­ce­ment. Avec notre pre­mière levée de fonds d’ampleur, nous sommes en train de rele­ver pro­gres­si­ve­ment ce défi. Nous vou­lons démon­trer que des pro­jets indus­triels peuvent réus­sir en France quand ils répondent clai­re­ment à des enjeux d’intérêt géné­ral, même lorsqu’ils sont risqués

Sur ce mar­ché de com­mo­di­tés domi­né par la Chine, sur un plan indus­triel, nous devons arri­ver à pro­po­ser un pro­duit avec une forte valeur ajou­tée tech­no­lo­gique, sociale et envi­ron­ne­men­tale à un coût com­pé­ti­tif. Enfin, nous avons aus­si un enjeu de res­sources humaines afin de dis­po­ser des talents néces­saires au déve­lop­pe­ment du pro­jet et sur­tout demain au fonc­tion­ne­ment de la giga­fac­to­ry.  

Et aujourd’hui, où en êtes-vous ? 

Nous avons enchaî­né les étapes de la pre­mière phase du pro­jet (concep­tion du pro­jet, choix tech­no­lo­giques, busi­ness plan, stra­té­gie d’approvisionnement, fai­sa­bi­li­té tech­nique, sélec­tion d’un site d’implantation, obten­tion des pre­miers finan­ce­ments publics…). 

Nous sommes en train de ter­mi­ner notre concer­ta­tion préa­lable sous l’égide de la CNDP et allons enchaî­ner sur la suite du per­mit­ting, la conso­li­da­tion de l’équipe diri­geante et de l’équipe pro­jet, le déploie­ment de notre ligne pilote… 

Cou­rant 2024, après obten­tion de toutes les auto­ri­sa­tions admi­nis­tra­tives et envi­ron­ne­men­tales, inter­vien­dra la déci­sion finale d’investissement pour pou­voir lan­cer concrè­te­ment le chan­tier de notre pre­mière giga­fac­to­ry sur la zone indus­tria­lo-por­tuaire de Fos-sur-Mer, avec un ter­rain sur le Grand Port Mari­time de Mar­seille, pour une mise en ser­vice pré­vue fin 2025 ou début 2026. Nous avan­çons pour l’instant à très bon rythme et vou­lons main­te­nir ce tem­po vu le carac­tère stra­té­gique du pro­jet et la matu­ri­té du marché.

CARBON est aussi un projet porté par un consortium d’industriels, d’experts et d’entrepreneurs. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre actionnariat ?  

À titre per­son­nel, j’ai plus de 30 ans d’expérience dans le sec­teur de l’énergie. J’ai notam­ment occu­pé les fonc­tions de direc­teur géné­ral d’ENEL Green Power France et j’ai por­té de nom­breux pro­jets entre­pre­neu­riaux dans le domaine de l’énergie. Je suis aus­si le pré­sident de Terre et Lac, un déve­lop­peur de cen­trales solaires et pro­duc­teur d’électricité pho­to­vol­taïque, ain­si que le pré­sident de My Ener­gy Mana­ger, une start-up qui pro­pose des solu­tions numé­riques pour réduire la consom­ma­tion et la fac­ture d’énergie. 

À mes côtés, on retrouve Laurent Pelis­sier, pré­sident du groupe indus­triel fran­çais ECM qui, avec ses filiales ECM Green­tech et SEMCO Smar­tech est un spé­cia­liste de la crois­sance du sili­cium ain­si que des équi­pe­ments de fabri­ca­tion de cel­lules solaires. Nous avons aus­si par­mi nos asso­ciés fon­da­teurs Pas­cal Richard, ancien diri­geant de SMA France et pré­sident d’AuRa Digi­tal Solaire, et Gaë­tan Mas­son, direc­teur du Bec­que­rel Ins­ti­tute (France et Bel­gique) et co-pré­sident de l’association euro­péenne des indus­triels du pho­to­vol­taïque (ESMC). 

Par ailleurs, CMA-CGM a annon­cé qu’il par­ti­ci­pe­rait à notre pre­mier tour de table finan­cier d’ampleur, à tra­vers son fonds éner­gie, et nous tra­vaillons d’ores et déjà avec eux à des syner­gies sur le solaire mais aus­si sur le fret induit par la giga­fac­to­ry. 

Recherchez-vous des talents et des compétences pour relever ce défi industriel ?

Sur les deux pro­chaines années, nous visons le recru­te­ment de 3 000 per­sonnes, en par­ti­cu­lier des opé­ra­teurs, des tech­ni­ciens, des ingé­nieurs et des mana­gers. 

Il y a encore de grandes aven­tures indus­trielles à écrire en France. Nous avons besoin de tous les talents, notam­ment les ingé­nieurs diplô­més de nos grandes écoles, mais aus­si des ouvriers qui sou­haitent s’inscrire dans cette muta­tion indus­trielle qui vise à créer de nou­veaux fleu­rons dans le domaine de l’énergie, com­plé­men­taires à nos cham­pions natio­naux.  

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