Il ne suffit pas d’avoir l’idée d’un « sursaut », encore faut-il la vendre !

Dossier : Le SursautMagazine N°619 Novembre 2006
Par François BRUNOT (62)

Michel Camdessus (Vers une nou­velle crois­sance pour la France), Michel Pébereau (Rompre avec la facil­ité de la dette publique), les auteurs des nom­breux rap­ports sur les retraites (Jean-Michel Charpin et alii), bien d’autres offi­ciels ou non, y com­pris X‑Sursaut, appor­tent leur con­tri­bu­tion à la réflex­ion sur les faib­less­es de la France et l’ur­gence des réformes à y appliquer.

Les hommes poli­tiques et plus générale­ment « l’élite », au-delà d’une sat­is­fac­tion intel­lectuelle com­préhen­si­ble, se dotent ain­si d’idées per­ti­nentes et poten­tielle­ment utiles. Mal­heureuse­ment, celles-ci sont sou­vent mal expliquées, « ven­dues » de façon peu crédi­ble et donc, sans sur­prise, mal perçues ou incom­pris­es des Français « de base ».

Le seul com­mu­ni­cant tal­entueux serait-il François de Clos­ets (Plus encore) ? Mais com­bi­en des 42 mil­lions d’électeurs de 2007 l’au­ront lu ?

Par­tons de quelques con­stats (dont cer­tains proches du pos­tu­lat, je l’avoue) :

le Français « moyen » (et pas seule­ment lui) a spon­tané­ment peur de la nou­veauté, surtout quand elle vient de l’ex­térieur. Il n’aime pas le « vent du large » si on ne l’y pré­pare pas ;
 les réformes néces­saires com­por­tent presque tou­jours des remis­es en ques­tion d’a­van­tages « acquis » ;
 les citoyens-électeurs acceptent de moins en moins, non seule­ment la langue de bois (quand ce n’est pas le men­songe, au moins a pos­te­ri­ori), mais aus­si le « bon­heur mal­gré eux » que leur ont fab­riqué depuis soix­ante ans (et bien plus ?) les poli­tiques et leurs tech­nocrates (le Plan, l’Eu­rope), avec sou­vent les meilleures inten­tions du monde (cf. l’En­fer), tou­jours les meilleurs tal­ents (mer­ci l’E­NA, l’X et autres), des réus­sites évi­dentes… mais pas à tout coup. Cette nou­velle con­science citoyenne est au fond une bonne chose pour la démoc­ra­tie, mais com­plique dia­ble­ment la vie des décideurs ;
• « l’élite » qui peut seule ini­ti­er les réformes (notam­ment en fédérant cer­taines aspi­ra­tions citoyennes) est heureuse­ment dans sa très grande majorité légal­iste et ni autori­taire (encore qu’in­tel­lectuelle­ment sou­vent arro­gante), ni révo­lu­tion­naire. Elle se flat­te d’être répub­li­caine et démoc­rate… même si l’in­com­préhen­sion de l’opin­ion la hérisse plus qu’à l’occasion ;
 les médias tra­di­tion­nels, de plus en plus com­mer­ci­aux, ne con­tribuent guère à l’in­for­ma­tion-édu­ca­tion, ou alors dans des créneaux de faible dif­fu­sion (excep­tion pour LCP sur la TNT que j’ap­pré­cie beau­coup mais dont je ne con­nais pas l’audience) ;
 les nou­veaux médias (Inter­net) per­me­t­tent des échanges plus « vécus » (peer-to-peer et pas seule­ment top-down) et plus répar­tis ; mal­heureuse­ment sur nos sujets, ils sont rel­a­tive­ment endogènes (« l’élite par­le à l’élite »), car je con­state dans mon départe­ment reculé le faible taux de con­nex­ion et surtout d’u­til­i­sa­tion effective ;
 les hommes poli­tiques restent et res­teront les yeux rivés sur leur réélection.

Dans ce contexte, le problème-clé n’est pas seulement de peaufiner les réformes nécessaires, mais de commencer par les « vendre » à une partie suffisante de l’opinion publique pour qu’elles soient viables politiquement et d’abord électoralement.

Or je ne vois pas grand-chose de pro­posé ni de fait en ce sens, hors des dis­cours for­cé­ment sus­pects des poli­tiques (tant on a l’im­pres­sion qu’il ne faut surtout pas dévoil­er la par­tie « qui fâche » de son pro­gramme pour être élu) et des arti­cles tan­tôt com­plaisants, tan­tôt dém­a­gogiques des grands médias.

N’est-il pas urgent de créer un groupe de réflex­ion au sein d’X-Sur­saut, spé­ci­fique­ment sur ce thème de la péd­a­gogie et de la com­mu­ni­ca­tion avec les électeurs sur les réformes ?

Quelques pistes de travail

• Tout « intel­lectuel » ou cadre supérieur de la fonc­tion publique ou du privé (en com­mençant bien sûr par les mem­bres d’X-Sur­saut) devrait con­sacr­er au moins autant de temps à « l’é­d­u­ca­tion citoyenne » qu’à la réflex­ion per­son­nelle et au tra­vail en commission.

Tous devraient s’en­gager au quo­ti­di­en pour expli­quer très con­crète­ment et aus­si sim­ple­ment que pos­si­ble, avec ses con­vic­tions mais sans com­plai­sance ni par­ti pris, le fonc­tion­nement, les avan­tages, les lim­ites, les défauts de l’é­conomie de marché, le rôle le plus sou­vent posi­tif mais par­fois négatif des entre­pris­es même grandes et inter­na­tionales, les champs d’ac­tion et les con­traintes des déci­sions et des deniers publics, etc.

Les audi­ences exis­tent au sein des struc­tures de dif­fu­sion du savoir ou de réflex­ion par­tic­i­pa­tive, les plus proches pos­si­bles de l’électeur « de base » (étab­lisse­ments d’en­seigne­ment du pri­maire et du sec­ondaire, MJC et les mul­ti­ples asso­ci­a­tions grav­i­tant autour, Uni­ver­sités du Temps libre ou de Tous les Savoirs ou du Troisième Âge, groupes d’an­i­ma­tion de quartiers, col­lec­tifs et débats « citoyens », etc.).

Cer­taines de ces organ­i­sa­tions ont par­fois une col­oration idéologique, explicite ou du fait de leur soci­olo­gie ; mais on peut y apporter une touche de réal­isme et de rai­son con­crète, si l’on s’y implique en les aidant à bâtir leurs pro­grammes, à trou­ver des inter­venants, en y plan­chant soi-même à l’oc­ca­sion, sans fuir s’il le faut le débat con­tra­dic­toire (il y a eu tant d’oc­ca­sions ratées avant le référen­dum européen : le résul­tat en aurait prob­a­ble­ment été dif­férent si les par­ti­sans du Oui s’é­taient mobil­isés dès sep­tem­bre 2004, comme les alter­mon­di­al­istes et autres par­ti­sans du Non, au lieu de se réveiller trois mois avant un scrutin qu’ils croy­aient gag­né d’avance).

. Que tous les « penseurs » essaient d’écrire dans et pour les jour­naux locaux et asso­ci­at­ifs, et pas seule­ment dans La Jaune et la Rouge, Le Figaro, Le Monde, Les Échos » et autres, qui ne sont lus que par les sphères proches des pou­voirs politi­co-socio-économiques étab­lis (à nou­veau « l’élite par­le à l’élite »).

. Que des organ­ismes offi­ciels, neu­tres (s’il en existe de crédi­bles) ou « mul­ti­par­ti­sans » (Con­seil économique et social, Assem­blée nationale, Sénat, etc.) patron­nent une action de sen­si­bil­i­sa­tion-édu­ca­tion dans le domaine économique et social équiv­a­lent à « La main à la pâte » pour la démarche sci­en­tifique. Il fau­dra peut-être sur­mon­ter le par­ti pris de cer­tains enseignants, mais cela n’empêche pas de com­mencer avec ceux qui sont le plus « ouverts ». Ne lais­sons pas cette respon­s­abil­ité au min­istère des Finances, mal placé pour être perçu comme objectif.

 Que les chaînes publiques con­sacrent bud­get et temps d’an­tenne en « prime time » à de l’in­for­ma­tion-sen­si­bil­i­sa­tion-édu­ca­tion à la fois intel­li­gente et attrayante, l’au­di­ence dût-elle en souf­frir ! Un vrai débat sur l’indépen­dance poli­tique et finan­cière, et sur les final­ités et critères d’é­val­u­a­tion de ces chaînes publiques en est-il un préalable ?

 Comme pour le fond, que l’on s’in­spire de ce qui réus­sit dans ces domaines édu­catif et de com­mu­ni­ca­tion dans des pays plus proches de nous pour la cul­ture économique que les pays anglo-sax­ons, sans nég­liger ces derniers pour autant même s’ils ser­vent trop facile­ment de repoussoir.

Ces quelques réflex­ions n’ap­por­tent rien au fond du débat théorique, j’en suis con­scient. Mais peut-être pour­ront-elles con­tribuer à ce qu’il devi­enne juste­ment moins « dés­in­car­né », et surtout à aug­menter les chances que ses con­clu­sions soient accep­tées par les électeurs, et donc « pre­scriptibles » pour les can­di­dats aux fonc­tions poli­tiques élec­tives qui n’ont pas le goût du suicide.

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