Il faut sauver le soldat PME

Dossier : ExpressionsMagazine N°674 Avril 2012Par : PHILIPPE VINCENT (61), docteur ès sciences mathématiques, créateur d’entreprise et patron de PME

Il est temps de redescen­dre dans le monde réel auquel est con­fron­té chaque patron de PME. Le dia­ble se cache dans le détail. Ce proverbe devrait inciter nos dirigeants à faire une petite incur­sion sur terre.

Aider ou pas

Le patron de PME c’est un peu Bona­parte à la tête de ses troupes fonçant à l’assaut du pont d’Arcole. Imag­inez ce qu’il serait advenu si le Direc­toire avait semé le chemin de pièges à loups, ou de col­lets élas­tiques retenant au pas­sage les chevilles des fan­tassins, sous pré­texte de véri­fi­er la con­for­mité de leurs chaussures.

Prenons l’exemple du Crédit d’impôt recherche (CIR). Le chef d’entreprise ren­con­tre d’abord les sym­pa­thiques fonc­tion­naires du min­istère de la Recherche qui le con­va­in­quent d’utiliser cette aide à l’innovation. Il se lance. Trois ans plus tard, il reçoit la vis­ite d’autres fonc­tion­naires, les inspecteurs du fisc, qui n’ont de cesse de démon­tr­er qu’il n’y avait pas droit. S’ensuit une péri­ode de plusieurs mois, voire d’années, où il se retrou­ve paralysé par le risque de devoir rem­bours­er l’aide reçue. On voudrait assas­sin­er une entre­prise qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Quand une PME, prise pour cible par le fisc, obtient gain de cause après un par­cours du com­bat­tant de plusieurs mois ou années, et qu’elle peut enfin repar­tir à la con­quête de marchés extérieurs, il y a belle lurette que les PME alle­man­des se sont instal­lées dans la place. Voilà notam­ment pourquoi, en Alle­magne, où l’on n’a pas insti­tué de CIR, les PME sont cham­pi­onnes européennes du dynamisme et de l’innovation.

Les voltigeurs de l’économie

Les PME ressen­tent aus­si le sen­ti­ment d’être ignorées dans leur spé­ci­ficité. Pour­tant, par leur mobil­ité d’action, elles sont les voltigeurs de notre économie. C’est ce qui fait leur force. Leurs petites équipes dynamiques font, avec trois fois moins de moyens, aus­si bien, voire mieux, que cer­taines entre­pris­es (mul­ti) nationales habituées, par nature, à traiter de gros pro­jets. Cela tient au fait qu’une équipe de quelques per­son­nes motivées peut faire l’économie de toute l’infrastructure d’organisation des tâch­es, de coor­di­na­tion, de com­mu­ni­ca­tion interne que néces­site un pro­jet impli­quant plusieurs dizaines ou cen­taines d’acteurs.

Un même moule pour tous

Quand on regarde la grille d’analyse imposée aux experts du min­istère de la Recherche pour estimer, après coup, l’éligibilité au CIR d’un pro­jet con­trôlé, on est frap­pé par deux choses :

1) C’est la même grille qui est appliquée aux grandes entre­pris­es et aux PME ;

2) On oblige les pro­jets de recherche et développe­ment à se mouler dans le car­can d’une méthodolo­gie unique, ce qui est antin­o­mique à toute activ­ité créa­trice. À une époque où l’on a le souci de préserv­er la diver­sité biologique, on veut impos­er l’uniformisation des approches. Bien sou­vent, le pro­grès vient d’individualités qui, se dégageant des ten­dances clas­siques, ouvrent de nou­velles voies hors des sen­tiers battus.

Va-t-on se priv­er de ces chances, sous pré­texte qu’elles ne ren­trent pas dans le moule ? À vouloir appli­quer aux PME les lour­deurs inhérentes aux grandes entre­pris­es, on les prive de leur atout majeur. Com­ment un voltigeur pour­rait-il encore voltiger si on lui a plom­bé les ailes ?

Reconnaître une spécificité

Les crises ont ceci de bon qu’elles oblig­ent à se pencher sur les prob­lèmes de fond. Avec la crise actuelle, il devient impératif de revoir tous ces freins qui pénalisent les PME dans leur expansion.

La voca­tion d’une aide, c’est d’être utilisée

Pour répon­dre à ce défi, rétablir l’indispensable con­fi­ance des PME envers leur admin­is­tra­tion et libér­er leur énergie, voici quelques mesures à sug­gér­er à notre futur Prési­dent : intro­duire explicite­ment le con­cept de « pré­somp­tion d’innocence fis­cale » dans le droit admin­is­tratif, afin de rap­pel­er les inspecteurs des impôts à leur devoir de neu­tral­ité face aux entre­pris­es con­trôlées ; éla­bor­er une « loi recon­nais­sant la spé­ci­ficité des PME » et pro­posant un cal­en­dri­er de révi­sion des textes régle­men­taires afin d’y intro­duire des ver­sions moins con­traig­nantes adap­tées à leur cas. C’est à ce prix que notre pays revi­talis­era l’énergie de nos PME. Les guer­res se per­dent à cause des généraux, elles se gag­nent grâce aux fan­tassins. Le temps des dis­cus­sions feu­trées est passé. Les exhor­ta­tions incan­ta­toires ne suff­isent plus. Il y a urgence. Il faut sauver le sol­dat PME.

Une PME
Une PME toute sim­ple, celle de Philippe VINCENT : INOVATIC SERVICES

2 Commentaires

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Herve Kablarépondre
11 avril 2012 à 13 h 11 min

Le CIR devrait être réservé aux PME de moins de 100 salariés
Quand on voit de grands groupes indus­triels béné­fici­er du CIR, on peut se deman­der s’il ne s’ag­it pas d’un détourne­ment d’une ini­tia­tive d’in­térêt général, au prof­it de quelques groupes plus ou moins influents…

Tru Dô-Khacrépondre
12 avril 2012 à 12 h 15 min

Pro­téger le pat­ri­moine intel­lectuel de la PME
Pour les PME, on par­le sou­vent d’ac­cès la com­mande des grands don­neurs d’or­dre et on appelle la puis­sance publique à légiférer.

Pour notre part, nous ren­dons hom­mage à cette puis­sance qui a rénové les Cahiers des Con­di­tions Admin­is­tra­tives Générales applic­a­bles aux marchés de presta­tions intel­lectuelles (CCAG-PI) dont les dis­posi­tifs, bien util­isés, per­me­t­tent dans le cadre d’un marché entre le pou­voir adju­di­ca­teur et un tit­u­laire de
— déclar­er les sous-trai­tants du tit­u­laire au pou­voir adjudicateur
— réalis­er un paiement direct aux sous-traitants
— pro­téger la pro­priété intel­lectuelle des sous-trai­tants tout en per­me­t­tant au pou­voir adju­di­ca­teur une jouis­sance pais­i­ble des résul­tats de la prestation

Les grands groupes privés pour­raient s’en inspir­er pour rénover leurs con­di­tions générales d’achats. 

Mais surtout, il reste un tra­vail con­sid­érable de sen­si­bil­i­sa­tion et de formation.

Dans ce sen­ti­ment, nous avons mis en ligne un site péd­a­gogique à accès libre et gra­cieux, inti­t­ulé “Gou­ver­nance de la pro­priété intel­lectuelle en rela­tion d’af­faires” où nous nous invitons.

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