HEC-Entrepreneurs : une pédagogie révolutionnaire

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Robert PAPIN

Qu’est-ce qu’un entrepreneur ?

Nous ne limi­tons pas le voca­ble d’en­tre­pre­neur à la créa­tion d’en­tre­prise. La créa­tion est une étape de la vie de l’en­tre­prise où s’ex­prime surtout l’élé­ment psy­chologique : la rage de réus­sir et sou­vent une revanche sur la Société.

Ce n’est pas la seule cir­con­stance où se man­i­fes­tent les com­pé­tences “d’en­tre­prenant”, c’est même une cir­con­stance très par­ti­c­ulière où l’in­di­vidu compte plus que l’équipe et où la réus­site se mesure essen­tielle­ment au nom­bre d’emplois créés.

Nous met­tons davan­tage l’ac­cent sur la reprise d’en­tre­prise, le redresse­ment d’une exploita­tion, la mise en œuvre d’une stratégie et même la direc­tion en tan­dem avec un man­ag­er senior. Car l’e­sprit d’in­no­va­tion et l’af­fron­te­ment du risque se retrou­vent dans toutes ces situations.

Une pédagogie par l’action en grandeur réelle

La for­ma­tion d’en­tre­pre­neurs capa­bles d’in­nover n’est pas une affaire de théorie ni de recettes, c’est une affaire de pra­tique. Les can­di­dats à l’en­tre­pre­nar­i­at doivent être con­fron­tés en per­ma­nence à des risques et des défis réels. Seule la for­ma­tion-action a un véri­ta­ble impact, et notre inno­va­tion péd­a­gogique doit être d’ap­porter un rac­cour­ci de l’ac­tion concrète.

Nous sommes per­suadés que la réus­site d’un chef d’en­tre­prise résulte davan­tage de ses qual­ités per­son­nelles que de ses con­nais­sances. En con­séquence, les cours dis­pen­sés sont très con­den­sés et les notions étudiées soumis­es immé­di­ate­ment à l’ex­péri­men­ta­tion qui les valide.

Comme pour l’ap­pren­tis­sage de la nage, il faut plonger dans la réal­ité de l’en­tre­prise : plus vite on met en appli­ca­tion ce qu’on apprend, mieux on perçoit la réal­ité des proces­sus et plus vite on les maîtrise. Ceux qui sont passés par cette for­ma­tion sont immé­di­ate­ment opéra­tionnels, dans des dis­ci­plines var­iées, et très adapt­a­bles à d’autres dis­ci­plines. Ils ont aus­si la matu­rité, l’hu­mil­ité et la rigueur morale du prati­cien, jugé sur ses résultats.

Une constellation de professionnels bénévoles autour de l’École

HEC-Entre­pre­neurs dis­pose d’un envi­ron­nement de 250 encadreurs extérieurs qui per­me­t­tent à ses élèves de vivre dans le réel. Ce sont des chefs d’en­tre­prise, des con­sul­tants, des mag­is­trats, qui sont motivés par l’in­térêt des mis­sions à pilot­er — dont ils pro­posent eux-mêmes les pro­grammes -, et par les leçons que les jeunes inno­va­teurs, groupés par équipes de trois, vont leur donner.

L’in­dem­nité qu’ils reçoivent cou­vre juste les frais qu’ils enga­gent. Ils assurent le pilotage de la mis­sion sans ralen­tir leur activ­ité pro­fes­sion­nelle et pour ne pas per­dre de temps ils héber­gent l’équipe des trois étu­di­ants dans leurs pro­pres locaux. Bien enten­du il y a un renou­velle­ment par­tiel tous les ans de ces encadreurs bénév­oles, soit à leur ini­tia­tive, soit à celle de l’É­cole, en fonc­tion des résul­tats des opéra­tions qu’ils ont menées.

Une sélection selon des critères de personnalité

Nos élèves doivent assur­er le finance­ment de leur sco­lar­ité : 40 000 F pour les élèves d’HEC, 75 000 F pour les ingénieurs. Cela n’empêche pas qu’il s’en présente entre 300 et 400 chaque année ce qui nous laisse une large pos­si­bil­ité de sélec­tion. L’âge moyen de nos can­di­dats (1/3 filles, 2/3 garçons) est de 22 ans ; rares sont ceux qui ont eu une expéri­ence en entre­prise dépas­sant quelques mois de “stage pratique”.

Nos critères ne sont ni le pres­tige du diplôme ni l’é­ten­due des con­nais­sances, mais l’ap­ti­tude aux respon­s­abil­ités d’en­tre­pre­neur, c’est à dire : la force de car­ac­tère, la volon­té de dépasse­ment, l’e­sprit d’équipe, la générosité dans l’ef­fort, la sim­plic­ité du con­tact humain.

Chaque can­di­dat passe devant deux com­mis­sions con­sti­tuées d’an­ciens élèves, très imprégnés par l’e­sprit de l’É­cole. Le rap­proche­ment entre les appré­ci­a­tions de ces deux jurys per­met de faire émerg­er les meilleurs. Nous don­nons néan­moins leur chance à quelques timides qui nous parais­sent avoir un fort poten­tiel ; ils nous ont rarement déçus.

Les départs en cours d’an­née sont l’ex­cep­tion car nous veil­lons à la sat­is­fac­tion de nos élèves (c’est notre fonds de com­merce). Si un seul d’en­tre eux sor­tait mécon­tent de sa for­ma­tion, nous auri­ons le sen­ti­ment d’avoir fail­li à notre mis­sion ; car notre but per­ma­nent est de sus­citer l’en­t­hou­si­asme des élèves et de les armer pour trac­er leur chemin dans un univers pro­fes­sion­nel en changement.

Une scolarité qui est un parcours du combattant sans répit

L’en­seigne­ment de HEC-Entre­pre­neurs con­siste essen­tielle­ment en une suc­ces­sion de mis­sions réelles con­fiées aux élèves dans des entre­pris­es réelles. Il y assurent, par groupes de trois remod­elés d’une mis­sion à l’autre, des respon­s­abil­ités effec­tives débor­dant leurs con­nais­sances théoriques et récla­mant donc une volon­té de dépassement.

Le cycle com­plet com­porte 7 mis­sions dont on trou­vera un résumé dans l’en­cadré ci-contre.

Le par­cours du com­bat­tant de l’étudiant

1e mission

Pro­jet de créa­tion d’en­tre­prise sur une idée apportée par le dirigeant encadreur. En fin de mis­sion le pro­jet est présen­té à un jury de per­son­nal­ités extérieures. Si le pro­jet est recalé c’est une expéri­ence très humiliante pour les élèves et pour le chef d’en­tre­prise pilote. Il s’ag­it de vrais pro­jets présen­tés à de vrais ban­quiers, qui acceptent ou refusent le financement.

2e mission

Pro­jet de redresse­ment d’en­tre­prise en dif­fi­culté. Les étu­di­ants, épaulés par des admin­is­tra­teurs judi­ci­aires, doivent pro­pos­er des solu­tions de redresse­ment, de ces­sion, ou de liquidation.
Là aus­si, il est dif­fi­cile de gag­n­er la con­fi­ance du jury et de pass­er l’ex­a­m­en sans secousse.

3e mission

Pro­jet de trans­mis­sion d’une entre­prise en bonne san­té, avec diag­nos­tic de ges­tion, déter­mi­na­tion d’une fourchette de prix, et propo­si­tions de solu­tions aux prob­lèmes juridiques, fis­caux, financiers et de management.

4e mission

Mis­sion de “bras droit” d’un grand dirigeant d’en­tre­prise, mis­sion longue de dix semaines qui s’é­clate sou­vent en mis­sions indi­vidu­elles pour chaque mem­bre du trio ; c’est un moyen pour le patron de voir à l’œu­vre, de très près, ces jeunes espoirs, et de repér­er ceux qu’il aurait envie d’embaucher ; ain­si les débouchés de sor­tie d’é­cole se préparent.

5e à 7e missions

Ce sont des mis­sions pilotées par de grands con­sul­tants en sit­u­a­tion réelle, chez leurs clients. Mis­sions suc­ces­sives de con­seil stratégique, puis de vente sur le ter­rain, puis de plan de com­mu­ni­ca­tion, en liai­son avec des jour­nal­istes et des cinéastes.

Après quoi, nos “cadets de West Point” sont aguer­ris. Ils sont allés jusqu’à la lim­ite de leur résis­tance physique et morale, mais nous veil­lons à ce qu’au­cun ne craque.

Nous ne per­dons pas de vue que l’ob­jec­tif est péd­a­gogique, les étu­di­ants doivent appren­dre des choses impor­tantes, non anec­do­tiques, qui pénètrent en pro­fondeur, dans leurs “tripes”. Notre petite équipe de pro­fesseurs per­ma­nents — car il en reste qua­tre ou cinq — garde le con­tact avec chaque élève ; elle lui insuf­fle avant chaque mis­sion les idées clés qui lui seront néces­saires et recueille ses confidences.

Nous nous assurons par ailleurs que le pilote de la mis­sion, le plus sou­vent un chef d’en­tre­prise, n’a pas axé toute la mis­sion sur le prof­it à en tir­er pour lui-même. Sur ce point la séance finale devant le jury est un puis­sant moyen pour respon­s­abilis­er les élèves.

Une trentaine de dirigeants, d’ex­perts et de recru­teurs poten­tiels se mobilisent une journée entière pour con­stituer ce jury. Dans cette journée, quinze équipes de trois étu­di­ants (générale­ment une fille et deux garçons) vien­nent suc­ces­sive­ment présen­ter le pro­jet qu’ils ont élaboré en qua­tre à six semaines sur le ter­rain. Chaque équipe dis­pose de vingt min­utes pour sa présen­ta­tion. Et la façon dont elle s’en tire révèle ses qual­ités de juge­ment, d’imag­i­na­tion, de con­jonc­tion et de combativité.

Les jurés sont tous des vieux routiers du man­age­ment et de l’in­cer­ti­tude du busi­ness. Aus­si leurs ques­tions et leurs objec­tions fusent de toutes parts. J’en­cour­age moi-même les inter­pel­la­teurs à ne pas s’at­ten­drir devant la jeunesse des exposants.

Il s’en­suit quelque­fois des empoignades orageuses avec le pilote de la mis­sion, tou­jours présent. Cela aus­si est un bon appren­tis­sage de la dureté des affaires.

L’essaimage de HEC-Entrepreneurs

Mal­gré sa bonne renom­mée auprès de ses élèves, et l’af­flux crois­sant des can­di­dats, HEC-Entre­pre­neurs a longtemps été con­sid­éré comme une “expéri­ence intéressante”.

L’idée d’en tir­er, sinon un mod­èle, du moins une source de méth­odes nou­velles à intro­duire dans les écoles exis­tantes n’est venue qu’en 1995, d’une école de “série B”, l’É­cole des cadres (EDC), dont le con­trôle venait d’être repris par Alain Dominique Per­rin, le prési­dent de Carti­er International.

Une promo d’Hec-Entrepreneurs avant l’exercice de parachutage.
Une pro­mo d’Hec-Entrepreneurs avant l’exercice de para­chutage, par­tie inté­grante de la formation.

De con­cert avec la nou­velle équipe de direc­tion, nous avons mod­i­fié en pro­fondeur l’en­seigne­ment théorique, recruté de nou­veaux enseignants et intro­duit deux mis­sions par année d’é­tude. Le tonus de l’É­cole en a été trans­for­mé, et son titre devint École des dirigeants et créa­teurs d’entreprises.

Une deux­ième inter­ven­tion très pos­i­tive a été faite à l’É­cole de com­merce du Havre grâce à la présence d’un grand patron Hubert Raoul-Duval qui sur­mon­ta vail­lam­ment les résis­tances au change­ment et qui est en train de faire de cette école un mod­èle pour les écoles de com­merce des grandes cités régionales.

La réforme de l’é­cole des Mines d’Alès, impul­sée par son directeur avec le con­cours de HEC-Entre­pre­neurs, fait l’ob­jet d’un arti­cle très doc­u­men­té de Gérard Unter­naehrer dans le présent numéro de La Jaune et la Rouge : c’est une grande pre­mière dans la famille des écoles d’ingénieurs, que le min­istère de l’In­dus­trie pro­jette d’é­ten­dre aux trente écoles d’ingénieurs placées sous son autorité.

Ces actions d’es­saim­age font par­tie de l’ac­tiv­ité “con­seil et assis­tance” de HEC-Entre­pre­neurs. Cette activ­ité est des­tinée à pren­dre de l’am­pleur, com­plé­men­taire­ment au développe­ment de l’École.

Nous ne nous cachons pas les freins à l’ex­ten­sion de nos modes de for­ma­tion révo­lu­tion­naires. Les freins sont liés au statut des écoles et de leur corps enseignant 

  • qua­si-gra­tu­ité de l’en­seigne­ment qui ne met pas l’é­tu­di­ant lui-même en sit­u­a­tion d’investisseur,
  • sélec­tion par con­cours basé sur les connaissances,
  • dif­fi­cultés à mobilis­er un envi­ron­nement de pro­fes­sion­nels qua­si bénév­oles et à réu­nir les jurys,
  • enseignants inté­grés ne pra­ti­quant pas l’al­ter­nance avec la vie d’en­tre­prise, et sou­vent plus motivés par la recherche que par la péd­a­gogie active.


Mais le gâchis des for­ma­tions tra­di­tion­nelles est telle­ment évi­dent, et les risques cou­rus, pour leur emploi et dans leurs car­rières, par les étu­di­ants qui y sont soumis s’an­non­cent telle­ment sérieux que les for­mules nou­velles sont assurées de l’emporter. Cer­taines appli­ca­tions seront sans doute impar­faites ; mais la marge de pro­grès est telle­ment forte que même incom­plet le prof­it est déterminant.

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