Harmonies

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°744 Avril 2019

L’homme qui n’a pas de musique en lui et qui n’est pas ému par le con­cert des sons har­monieux est pro­pre aux trahisons, aux strat­a­gèmes et aux rapines.

William Shake­speare, Le Marc­hand de Venise

Pour le pro­fane, une musique, ce sont une mélodie et les har­monies qui la sous-ten­dent. Et même le con­tre­point, qui super­pose plusieurs lignes mélodiques dis­tinctes sou­vent sans base har­monique, sug­gère à notre oreille des har­monies, en quelque sorte virtuelles. Et ce sont d’abord et avant tout les har­monies qui sus­ci­tent notre émo­tion, par leur richesse, par leur orig­i­nal­ité, par leurs enchaînements.

Longtemps, les com­pos­i­teurs ont util­isé moins d’une dizaine d’harmonies, tou­jours les mêmes, de Rameau à Brahms et Saint-Saëns. Et si l’on excepte quelques écarts de Mozart, puis Chopin, puis Liszt et Wag­n­er, les vrais nova­teurs, ceux qui se sont attachés à créer des har­monies inédites, ont été Debussy, Rav­el, Schoen­berg (avant le dodé­ca­phon­isme) et leurs émules, et surtout Gersh­win et les jazzmen comme Bil­ly Stray­horn, Art Tatum, Bill Evans. D’autres, comme Richard Strauss et Kurt Weill, ont fait appel à la même palette lim­itée que les clas­siques mais ils ont innové dans l’enchaînement des harmonies.

Boccherini

Ophélie Gail­lard, au vio­lon­celle et à la direc­tion du Pul­cinel­la Orches­tra, nous donne un aperçu de l’œuvre de Lui­gi Boc­cheri­ni, com­pos­i­teur génial et pro­lifique – des dizaines de sonates, de con­cer­tos, plus de cent quin­tettes : deux Con­cer­tos pour vio­lon­celle (6 et 9), la Sonate pour vio­lon­celle et pianoforte n° 2, la Sym­phonie n° 6 et, last but not least, le Quin­tette à cordes « La Musi­ca Not­tur­na delle Strade di Madrid » et le Sta­bat Mater pour sopra­no et quin­tette à cordes. Boc­cheri­ni a com­posé l’essentiel de son œuvre dans la deux­ième par­tie du XVIIIe siè­cle et il est con­sid­éré, cepen­dant, comme un « baroque tardif ». Les har­monies sont celles du baroque, stricte­ment… mais quelle inven­tiv­ité mélodique et ryth­mique ! Le Quin­tette qui évoque la vie noc­turne de la cap­i­tale espag­nole est une pièce étrange, tour­men­tée, inde­scriptible, qui ne ressem­ble à aucune autre (et dont se sont inspirés Luciano Berio et Philippe Her­sant). Le Sta­bat Mater asso­cie à un quin­tette à cordes (avec con­tre­basse) une sopra­no, ici San­drine Piau, à la voix d’une extrême richesse, totale­ment dépourvue de vibra­to (prise de son excep­tion­nelle). Une découverte.

2 CD APARTE

Les Trios de Mendelssohn

Qui peut se van­ter d’avoir écouté l’Andante du Trio n° 1 de Mendelssohn les yeux secs ? C’est que ce Mozart du XIXe siè­cle (dix­it Schu­mann) a eu plus que tout autre le don des enchaîne­ments d’harmonies et aus­si celui des mélodies exquis­es, sub­tiles et cepen­dant faciles à mémoris­er. Les deux Trios, qui sont avec le dernier Quatuor le som­met absolu de son œuvre, vien­nent d’être enreg­istrés par le Trio Metral, com­posé des deux frères Joseph et Vic­tor et de leur sœur Jus­tine (au vio­lon­celle). Con­traire­ment à la tra­di­tion française de la dis­tance, le Trio Metral a choisi de jouer « au pre­mier degré » ces pièces tour à tour douloureuses, déli­cieuses, rageuses, nos­tal­giques mais toutes d’une infinie ten­dresse. Alors, si vous ne craignez pas d’être ému au-delà de la bien­séance, lais­sez-vous aller : cette inter­pré­ta­tion est pour vous.

1 CD APARTE

Georges Auric – Imaginées

Plus con­nu pour ses innom­brables musiques de films (une cen­taine dont Le Sang d’un poète, Orphée, La Belle et la Bête, Le Mys­tère Picas­so et aus­si… La Grande Vadrouille), Auric aura été mem­bre du groupe des Six, ami de Satie et Stravin­s­ki, suiveur de Berg et Prokofiev. Et sa musique « sérieuse » a la même élé­gance, la même sim­plic­ité, la même trans­parence que ses chan­sons les plus pop­u­laires (« Moulin des amours » pour le film Moulin Rouge de John Hus­ton), alors qu’elle est infin­i­ment créa­tive en matière ryth­mique et… har­monique. Imag­inées com­prend six pièces instru­men­tales suc­ces­sive­ment pour flûte et piano, vio­lon­celle et piano, clar­inette et piano, chant et piano, piano seul, et un apogée, la six­ième, pour ensem­ble instru­men­tal, voix et piano. Era­to réédite oppor­tuné­ment ces Imag­inées dans un enreg­istrement de 1978 avec notam­ment Jean-Philippe Col­lard, Frédéric Lodéon, Michel Debost, le Quatuor Par­renin et la sopra­no Michèle Com­mand. Un arché­type de la musique française com­plexe mais claire, antiro­man­tique, et qui fait appel moins à l’émotion de l’auditeur qu’à son intel­li­gence. Le genre de musique que Satie aurait écrite, peut-être, s’il avait vécu cinquante ans de plus.

1 CD ERATO

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