Nathan Milstein

Nathan Milstein, un pur

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°746 Juin 2019
Par Jean SALMONA (56)

Je con­nais des hommes très âgés qui savent jouer. Ils l’ont tou­jours su : ceux-là ne retomberont jamais en enfance. En effet, ils ne l’ont pas quit­tée. Ils en ont gardé la pureté. Ils ont con­servé intact ce tré­sor et, grâce à lui, ont été toute leur vie ces « êtres humains » que, trop sou­vent, n’ont pas été les autres.

Paul Vialar, Le Sport

Nathan MilsteinAvec Heifetz, Oïs­trakh, Menuhin, Fer­ras, Perl­man, Nathan Mil­stein (1904–1992) fait par­tie des très grands vio­lonistes qui ont mar­qué le XXe siè­cle. Enfant prodi­ge, comme la plu­part d’entre eux – Mil­stein crée à 11 ans le Con­cer­to de Glazounov sous la direc­tion du com­pos­i­teur – Mil­stein se dis­tingue par une car­ac­téris­tique qui lui est pro­pre : la pureté. Il ne cherche pas à impres­sion­ner, il ne joue pas « tzi­gane » ; son jeu est exempt de tout effet, son vibra­to dis­cret, son tim­bre lumineux. Le cof­fret qui rassem­ble les enreg­istrements réal­isés pour DGG dans la dernière par­tie de sa vie, de 1972 à 1975, per­met de décou­vrir cet aris­to­crate du violon.

Trois concertos romantiques

Mil­stein joue les Con­cer­tos de Tchaïkovs­ki et Mendelssohn avec le Phil­har­monique de Vienne dirigé par Abba­do, celui de Brahms sous la direc­tion du grand brahm­sien Eugen Jochum à la tête du même Phil­har­monique. À l’écoute de ces enreg­istrements de trois œuvres archi-jouées, on est frap­pé par l’association de deux élé­ments a pri­ori antin­o­miques : la sérénité que l’on peut atten­dre d’un inter­prète qui a soix­ante ans de car­rière der­rière lui, et sa fraîcheur qua­si juvénile, fidél­ité à l’enfant génial qu’il a été (Romain Gary dis­ait que tout homme digne de ce nom était resté un petit garçon). Nous avons com­paré ce Con­cer­to de Brahms avec l’enregistrement par Mil­stein vingt ans plus tôt sous la direc­tion de Stein­berg avec le Pitts­burgh Sym­pho­ny : la même lumi­nosité, la même sérénité mais plus de fraîcheur encore à 70 ans qu’à 50. Une autre com­para­i­son du même Con­cer­to avec un des enreg­istrements les plus forts du début du XXIe siè­cle, celui de la jeune Hilary Hahn, révèle une incroy­able et improb­a­ble par­en­té entre ces deux musi­ciens, l’une à 21 ans, l’autre à 71.

Bach : Sonates et Partitas pour violon seul

C’est l’enregistrement par Mil­stein dans les années 50 des Sonates et Par­ti­tas pour vio­lon seul qui a famil­iarisé le grand pub­lic avec ces pièces inef­fa­bles, comme celui des Suites pour vio­lon­celle seul par Casals. Le présent enreg­istrement, réal­isé en 1975 et que nous avons com­paré avec l’ancien, mon­tre une maîtrise tech­nique totale­ment épanouie. La place de ces pièces dans l’ensemble de l’œuvre de Bach est unique : le déroule­ment d’une ligne mélodique pure en l’absence de basse con­tin­ue donne à l’auditeur une direc­tion, un sens, et même une ligne de vie, plus, peut-être, que Le Clavier bien tem­péré, les Con­cer­tos, les Can­tates, et les rap­proche, dans leur esprit, des Vari­a­tions Gold­berg et de L’Art de la fugue. Vous êtes face à vous-même et vous ne pou­vez pas trich­er. Plus que jamais, ici, Bach est un passeur d’âmes. Écoutez ces œuvres – dont la plu­part des mélo­manes ne con­nais­sent que la Cha­conne de la Par­ti­ta n° 2 qui a été mise à toutes les sauces – et elles ne vous quit­teront plus.

Le cinquième disque, avec Georges Plu­d­er­ma­ch­er au piano, rassem­ble des pièces intel­lectuelle­ment moins ambitieuses : une Sonate de Gem­ini­ani, un Ron­deau de Schu­bert, Con­so­la­tion de Liszt, et des bis dont Chan­son russe de Stravin­s­ki, Il pleut dans la ville de Kodá­ly, pièces légères qui relèvent du réper­toire clas­sique des vio­lonistes mais aux­quelles Mil­stein le rigoureux imprime aus­si sa marque. 

5 CD Deutsche Grammophon

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