Gilbert Dreyfus (37)

Dossier : ExpressionsMagazine N°628 Octobre 2007

GILBERT DREYFUS nous a quit­tés. Né en 1916, d’une famille alsa­ci­enne, il sort de l’X, dans les fab­ri­ca­tions d’armement en 1939. Rap­pelé un mois après sa sor­tie, il fréquente l’École d’artillerie, puis est affec­té au 108e rég­i­ment d’artillerie lourde… La débâ­cle le con­duit dans le Sud-Ouest, où le rat­trapent les lois raciales de décem­bre 1940. 

Il est exclu du Corps de l’armement, mais, bizarrement, autorisé à suiv­re les cours, à Tarbes, de l’École des indus­tries mécaniques, puis est affec­té à l’Arsenal, où il « omet » de se présen­ter. Le voilà déser­teur, il tra­verse les Pyrénées pour l’Espagne, y fréquente les pris­ons de Fran­co, avant un départ pour l’Algérie, pour rejoin­dre la pre­mière armée française. 

La guerre ter­minée, il est admis, sur titres, dans le Corps des Ponts et Chaussées, et il suit, à trente ans, les cours de l’École. Il dis­ait volon­tiers qu’il devait sa car­rière, et sa vie famil­iale, à Hitler, Pétain et Staline (sa femme Suzanne était d’origine russe). 

Il sera suc­ces­sive­ment affec­té à Bay­onne, puis au ser­vice des Ponts et Chaussées de la Seine, où il con­stru­it la voie du canal Saint-Mau­rice et l’autoroute du Sud, et enfin à Lille. Vision­naire, ingénieur, con­struc­teur, négo­ci­a­teur, il sait innover, aller de l’avant, pren­dre des ini­tia­tives, fuir le for­mal­isme exces­sif, don­ner la pri­or­ité aux besoins, et aux moyens. Il sait surtout s’entourer, déléguer, faire con­fi­ance, tout par­ti­c­ulière­ment aux jeunes. Partout, ses tal­ents de rela­tions humaines et la qual­ité de ses con­tacts, en par­ti­c­uli­er avec les préfets et les élus de tous bor­ds, font merveille. 

Après avoir dirigé le Cab­i­net du min­istre André Bet­ten­court, il est nom­mé directeur des routes, en 1967. Il con­tribue large­ment au développe­ment du réseau routi­er et autorouti­er français, ain­si qu’à son exploita­tion. On lui doit, par exem­ple, la créa­tion presque clan­des­tine du « Cen­tre d’informations routières » de Rosny. 

En 1971, il est directeur général d’Aéroports de Paris ; il adapte l’établissement pub­lic à la for­mi­da­ble explo­sion du trans­port aérien, mais aus­si aux con­traintes mul­ti­ples qu’elle sus­cite : sécu­rité, sûreté, nui­sances, rela­tions avec les riverains. Son sens des rela­tions humaines, son human­isme, son habileté, sa gen­til­lesse, qui dis­simu­lent son refus de tran­siger avec ses principes, impressionneront. 

Il quitte les aéro­ports à l’âge fatidique de 65 ans, mais dis­pose encore de qua­tre ans avant sa retraite pour pren­dre la prési­dence des autoroutes du nord de la France, et en assur­er la fusion avec l’autoroute privée APEL, en mau­vaise pos­ture, pour créer l’actuelle SANEF. 

Son activ­ité au ser­vice de la col­lec­tiv­ité ne s’arrêtera pas là. Out­re les mis­sions dont il sera chargé par les cab­i­nets min­istériels, les travaux d’expert et de con­cil­i­a­teur qu’il mèn­era pour la Cour de cas­sa­tion et divers­es entre­pris­es, il se ver­ra con­fi­er, de 1990 à 1996, la prési­dence de l’ORT-France, insti­tu­tion juive inter­na­tionale d’éducation et de for­ma­tion de jeunes et d’adultes. Il y imposera sa mar­que en réno­vant à la fois les huit écoles, le statut, le con­seil d’administration et la ges­tion de cet ensem­ble alors vieillissant. 

Mais, autant que de ses bril­lants états de ser­vice, c’est la fas­ci­na­tion qu’il exerçait sur tous ceux et celles qui l’ont ren­con­tré qui l’ont tou­jours car­ac­térisé. Gilbert s’exprimait avec une voix, une sim­plic­ité et une clarté sans égales, accom­pa­g­nées d’un humour qui ne le quit­tait pas. Un seul exem­ple : alors qu’il avait con­servé jusqu’à son dernier souf­fle sa mémoire et son acuité intel­lectuelle, il dis­ait que « sa vue dimin­u­ait à vue d’oeil et qu’il en était de même pour son ouïe, bien enten­du ». Gilbert était aus­si un superbe ver­sifi­ca­teur et il a ani­mé bien des soirées en se livrant à l’exercice dif­fi­cile des bouts rimés. 

Son amour du prochain, son infinie tolérance et sa fidél­ité à toute épreuve lui fai­saient par­fois oubli­er les inévita­bles imper­fec­tions des autres, et c’est la seule petite réserve qu’il soit pos­si­ble d’émettre sur cet homme d’exception. 
Et com­ment ne pas associ­er à cet hom­mage, son épouse Suzanne qui lui a don­né, dis­ait-il, soix­ante-qua­tre ans de vrai bon­heur et une nom­breuse descen­dance qu’ils chéris­saient tous deux. Dis­parue à peine plus d’un an avant lui, des suites d’une longue mal­adie inva­sive, elle avait l’élégance de ne jamais évo­quer ses souf­frances, mais restait intariss­able sur l’histoire et surtout les qual­ités de tous ceux qui avaient eu le priv­ilège d’être proches de leur cou­ple. Gilbert et Suzanne, Suzanne et Gilbert, nous vous aimions, vous nous manquez. 

H. C. (46), J. C. (48), P. D. (49), C.A. (51), F.A. (56)

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