Georges MATHERON (49) 1930–2000

Dossier : ExpressionsMagazine N°563 Mars 2001
Par Michel SCHMITT (79)

Georges Math­eron, le créa­teur de la géo­sta­tis­tique nous a quit­tés le 7 août 2000. C’est à l’É­cole poly­tech­nique, puis ” corp­sard “, à l’é­cole des Mines de Paris où il enseigna par la suite qu’il acquit sa for­ma­tion en math­é­ma­tiques, physique et prob­a­bil­ités. On sen­ti­ra d’ailleurs tout au long de son œuvre l’in­flu­ence de l’en­seigne­ment de Paul Lévy.

De 1954 à 1963, lors de son pas­sage au BRGM en Algérie et en France, il décou­vri­ra les travaux pio­nniers de l’é­cole sud-africaine (Krige, Sichel, de Wijs) con­sacrés aux mines d’or du Wit­wa­ter­srand et éla­bor­era à cette occa­sion les con­cepts majeurs de la géo­sta­tis­tique, théorie pour l’es­ti­ma­tion des ressources naturelles. Le terme géo­sta­tis­tique, pro­posé par G. Math­eron en 1962, sig­ni­fie : appli­ca­tion de la théorie des fonc­tions aléa­toires à l’é­tude de phénomènes naturels fluc­tu­ants dans le temps et/ou l’espace.

Ces pre­miers travaux trou­vèrent leur aboutisse­ment par la pub­li­ca­tion de deux ouvrages :

Le Traité de géo­sta­tis­tique appliquée (Édi­tions Tech­nip 1962–1963) où sont défi­nis les out­ils fon­da­men­taux de la géo­sta­tis­tique linéaire : var­i­ogra­phie, vari­ance d’es­ti­ma­tion et vari­ance de dis­per­sion, krigeage, appelé ain­si par Georges Math­eron par référence aux travaux de Krige (on pour­ra con­sul­ter l’ar­ti­cle de l’Ency­clopédie Uni­ver­salis con­sacré à cette théorie),

— un livre plus théorique, sa thèse, inti­t­ulé Les Vari­ables région­al­isées et leur esti­ma­tion, pub­lié par Mas­son en 1965.

Georges MATHERON (49)De 1964 à 1968, G. Math­eron por­ta son atten­tion à la car­ac­téri­sa­tion math­é­ma­tique des formes et créa, en col­lab­o­ra­tion avec Jean Ser­ra, une nou­velle dis­ci­pline : la Mor­pholo­gie math­é­ma­tique, dev­enue aujour­d’hui un des volets incon­tourn­ables du traite­ment d’im­ages. À la même époque, il tra­vaille aus­si en hydro­dy­namique et pub­liera en 1967 les Élé­ments pour une théorie des milieux poreux (Mas­son).

En 1968, G. Math­eron crée à l’é­cole des Mines le Cen­tre de géo­sta­tis­tique et de mor­pholo­gie math­é­ma­tique (CGMM) et en prend la direc­tion. Par la suite, le Cen­tre se divis­era de par la diver­sité de ses appli­ca­tions (géostatistique/morphologie math­é­ma­tique). Il restera directeur du Cen­tre de géo­sta­tis­tique jusqu’à sa retraite en 1996.

C’est au Cen­tre que G. Math­eron fera preuve d’une créa­tiv­ité débor­dante, dévelop­pant avec son équipe les con­cepts de géo­sta­tis­tique non linéaire et non sta­tion­naire, tout en gar­dant un intérêt mar­qué pour la mor­pholo­gie math­é­ma­tique et des ques­tions d’op­ti­mi­sa­tion d’ex­ploita­tions minières. Il pub­liera en 1975 Ran­dom Sets and Inte­gral Geom­e­try (Wiley), une con­tri­bu­tion majeure à la théorie des ensem­bles aléatoires.

G. Math­eron, dont toute la vie a été con­sacrée à la recherche, a pub­lié plus de 250 notes, pour la plu­part internes au Cen­tre et cinq livres. Son œuvre regorge d’idées, de con­cepts et de mod­èles qui nous inspireront, nous ingénieurs et chercheurs.

En voici un exem­ple : les Sim­u­la­tions conditionnelles.

La tech­nique orig­i­nale des ban­des tour­nantes a été présen­tée pour la pre­mière fois dans une note interne en 1972. Depuis, le champ de la sim­u­la­tion a lit­térale­ment explosé, et représente aujour­d’hui un axe de recherch­es majeur.

Au tra­vers de cette pro­duc­tion abon­dante et éclec­tique, nous retrou­vons un thème récur­rent : l’emploi de mod­èles probabilistes.

Georges Math­eron a mon­tré une capac­ité excep­tion­nelle à atta­quer des prob­lèmes réputés insol­ubles, à les ramen­er à des ques­tions plus sim­ples qu’il résout par des mod­èles appropriés.

C’est ain­si que les méth­odes et con­cepts qu’il a dévelop­pés sont encore d’ac­tu­al­ité : ils répon­dent à des prob­lèmes réels. La meilleure preuve en est l’é­ton­nante var­iété des appli­ca­tions de la géo­sta­tis­tique : autre­fois con­finée aux appli­ca­tions minières, elle est aujour­d’hui util­isée en pét­role, forêts, agronomie, océanogra­phie, météorolo­gie, halieu­tique, envi­ron­nement, télé­com­mu­ni­ca­tions, biolo­gie, finance, etc.

Cette accu­mu­la­tion d’ex­péri­men­ta­tions à mod­élis­er des phénomènes naturels uniques par une approche prob­a­biliste ame­na Georges Math­eron à écrire en 1978 Estimer et Choisir, un essai sur les prob­a­bil­ités appliquées que toute per­son­ne éprise de prob­a­bil­ités se doit de lire. Comme le note A. M. Hasofer dans la pré­face de la tra­duc­tion anglaise (Esti­mat­ing and Choos­ing : an essay on prob­a­bil­i­ty in prac­tice, Springer, 1989) :

Lire l’œu­vre de Georges Math­eron est une illu­mi­na­tion. Nous y trou­vons un cadre élaboré cohérent menant à l’emploi pure­ment objec­tif des mod­èles prob­a­bilistes pour la descrip­tion de phénomènes uniques.

Par une vision unifi­ante, Georges Math­eron a été capa­ble d’élim­in­er de la pra­tique des prob­a­bil­ités toute sa gangue philosophique qui l’avait ren­due obscure et con­fuse depuis des décen­nies. Il nous pro­pose une ligne direc­trice pour déter­min­er l’adéqua­tion et les lim­ites de la mod­éli­sa­tion probabiliste.

Au-delà de ses capac­ités sci­en­tifiques excep­tion­nelles, Georges Math­eron a été un maître au sens fort : com­bi­en d’é­tu­di­ants ou de pro­fes­sion­nels ont vu leur car­rière ini­tiée ou mod­i­fiée par ses enseigne­ments, ses pub­li­ca­tions ou ses entretiens ?

La dis­pari­tion de Georges Math­eron mar­que la fin d’une ère : il laisse der­rière lui deux dis­ci­plines en pleine flo­rai­son, la géo­sta­tis­tique et la mor­pholo­gie math­é­ma­tique. À nous de pro­gress­er sur ses idées et son exemple.p

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