François Morin (45) (1925–2005)

Dossier : ExpressionsMagazine N°606 Juin/Juillet 2005Par : Maurice MERMET (45)

Concours d’en­trée 1945, rue de l’Ab­bé de l’Épée. À la sor­tie d’une épreuve, un can­di­dat, adossé à un arbre et entouré de plusieurs cama­rades, leur explique les solu­tions du prob­lème. Un de nous demande : ” Qui est-ce ? ” Réponse : ” C’est le major. ” ” Mais… le con­cours vient juste de com­mencer ! ” ” ça ne fait rien. Morin sera le major. Tu verras ! ”

Telle était déjà la répu­ta­tion de François Morin.

François MORIN (45)Comme à tous ceux de son âge, la guerre, l’austérité de la vie à Paris sous l’Oc­cu­pa­tion lui avaient volé son ado­les­cence. De quoi forg­er sérieux et goût du travail.

Sitôt incor­porée, la pro­mo 45 fut envoyée en occu­pa­tion en Alle­magne. Artilleur, dans un rég­i­ment d’Afrique, François Morin y a fait l’ex­péri­ence du con­cret, et des rela­tions humaines à la base.

Les années à l’X ont con­fir­mé sa stature de major.

À l’aise avec les études, il savait don­ner le temps qu’il fal­lait aux rela­tions entre élèves et direc­tion, et aux activ­ités cryp­toludiques de la Kom­miss. Sor­ti au corps des Mines, il a, comme la plu­part des élèves de l’É­cole des mines d’alors, été mar­qué par l’en­seigne­ment de Mau­rice Allais en économie.

Après l’É­cole, il engage un cur­sus atyp­ique pour l’époque. D’abord en 1950–1951 une année comme ingénieur du fond au Groupe de Bru­ay des Houil­lères du Nord-Pas-de-Calais. Puis en 1951–1952 une année de busi­ness-admin­is­tra­tion à l’u­ni­ver­sité de Chica­go, où le pro­fesseur d’é­conomie était Mil­ton Fried­man (prix Nobel 1976) auprès de qui Mau­rice Allais avait intro­duit son élève. Il en prof­ite pour vis­iter des mines américaines.

De 1952 à 1955, retour au cur­sus habituel du jeune ingénieur des Mines, à l’Ar­rondisse­ment minéralogique de Metz (ancêtre de l’actuelle DRIRE de Lorraine).

À 30 ans, François Morin a ain­si acquis une solide expéri­ence des mines, de l’in­dus­trie, de l’é­conomie, de l’ad­min­is­tra­tion, et des rela­tions humaines à la base et au niveau des directions.

En 1955 il est appelé par Pierre Alby au Secré­tari­at général du Comité inter­min­istériel pour la coopéra­tion économique européenne (SGCI). Cet organe, créé en 1948 auprès du Pre­mier min­istre pour la ges­tion du plan Mar­shall, coor­don­nait depuis 1950 les rela­tions de la France avec la CECA. François Morin y par­ticipe aux négo­ci­a­tions du traité de Rome qui crée en 1957 la Com­mu­nauté économique européenne (CEE) et l’Eu­ratom. Le SGCI, où il a alors suc­cédé à Pierre Alby, devient l’in­ter­face entre les divers min­istères français et les organes de la CEE. La mise en appli­ca­tion du traité de Rome est une tâche com­plexe et nova­trice, qui implique toutes les branch­es de l’é­conomie française.

Voici un exem­ple de tâche apparem­ment ” sim­ple ” (!) : con­stru­ire un tarif douanier com­mun aux 6 pays de la CEE, syn­thèse de leurs tar­ifs pro­pres, et apte à être com­paré à celui des USA.

François Morin est alors réputé bon con­nais­seur de l’in­dus­trie française, de celle des autres pays CEE, des rela­tions économiques inter­na­tionales, et de l’art de négocier.

En 1964 il est appelé à la Banque de Paris et des Pays-Bas Paribas, où il va faire preuve de son tal­ent pen­dant plus de trente ans.

Dès 1969 c’est lui qui, comme directeur général adjoint, dirige l’ensem­ble des affaires indus­trielles et immobilières.

À l’époque, l’in­dus­trie française a vécu de con­sid­érables change­ments. On doit à François Morin, ” un des meilleurs spé­cial­istes des affaires indus­trielles “, la créa­tion et le développe­ment de plusieurs grands groupes, puis leur accom­pa­g­ne­ment lors de leurs restructurations.

Par­al­lèle­ment, Paribas évolu­ait aus­si beau­coup dans ses activ­ités et dans ses struc­tures internes. À base d’abord de ser­vices ban­caires (tré­sorerie, crédits export…) il s’est dévelop­pé vers des opéra­tions indus­trielles (par­tic­i­pa­tions, fusions, restruc­tura­tions) et immo­bil­ières, puis dans les années qua­tre-vingt vers toutes les opéra­tions sur les nou­veaux instru­ments financiers traités par les marchés internationaux.

François Morin, directeur général de Paribas depuis 1978, a assuré la con­ti­nu­ité de direc­tion du groupe dans toute cette évo­lu­tion, et même à tra­vers la nation­al­i­sa­tion (début 1982) puis la pri­vati­sa­tion (début 1987). Devenu vice-prési­dent du Con­seil de sur­veil­lance en 1990, il a encore con­tin­ué à pro­mou­voir les affaires français­es dans les pays d’Extrême-Orient.

Dans ses fonc­tions, François Morin a été unanime­ment respecté.
Écou­tons ceux qui ont longue­ment tra­vail­lé près de lui.

D’un abord réservé, par­fois même ressen­ti par cer­tains comme plutôt froid (“ La froideur de la ver­tu ” écrivait un jour­nal­iste), il fondait ses bonnes rela­tions de tra­vail sur l’hon­nêteté intel­lectuelle et la con­fi­ance réciproque.

Une intel­li­gence hors pair, servie par un tra­vail appro­fon­di et rigoureux (“ Nous sommes des besogneux ” — ” Je ne crois pas à l’im­pro­vi­sa­tion ” dis­ait-il), lui per­me­t­tait d’analyser rapi­de­ment une affaire, pour aboutir à des con­clu­sions claires, pré­cis­es, solide­ment argu­men­tées. Cette rapid­ité pou­vait par­fois don­ner à son inter­locu­teur l’im­pres­sion d’avoir été devancé, insuff­isam­ment écouté. Mais il restait ouvert au débat, pour autant qu’il soit aus­si argumenté.

Car ni sen­ti­ments sub­jec­tifs, ni intérêt per­son­nel ou ambi­tion (“ Ce n’est pas cela qui est impor­tant ”), n’avaient à inter­fér­er avec le ser­vice du métier.

Sa parole était aus­si sobre. Dans sa bouche, une sim­ple phrase : ” Je tiens à vous dire que cet accord me fait très plaisir “, devait être com­prise comme exp­ri­mant son enthousiasme.

Mais le grand pro­fes­sion­nel n’est pas tout l’homme.

Bien que pleine­ment engagé dans l’ac­tion, François Morin a su, avec son épouse Monique, créer dans la durée une famille nom­breuse, unie et accueil­lante à de nom­breux amis. Il lui con­sacrait tout son temps libre, dans l’amour de la nature, des belles bâtiss­es, du tra­vail manuel bien fait.

Très atten­tif à l’é­d­u­ca­tion des jeunes, il trou­vait même encore à se dévouer pour une asso­ci­a­tion d’é­d­u­ca­tion spécialisée.

L’ayant tou­jours con­nu droit et solide, nous savions pour­tant son com­bat lucide et courageux con­tre une mal­adie orphe­line. Au déje­uner de pro­mo du 19 novem­bre 2004 nous avions eu le récon­fort de le voir par­mi nous plus vail­lant qu’à de précé­dentes ren­con­tres. Et en décem­bre il s’oc­cu­pait encore de planter des arbres.

Frap­pés par son départ soudain le 7 jan­vi­er 2005, nous com­mu­nions avec sa famille à la fois dans la tristesse et dans l’ad­mi­ra­tion pour ce cama­rade dont, grâce aux jeunes qui lui étaient si chers, le sou­venir restera longtemps vivace. 

Synthèse de nombreux témoignages,
rédigée par Maurice Mermet (45)

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