François de Larrard (78) Intimité et sérénité

Dossier : TrajectoiresMagazine N°746 Juin 2019
Par Pierre LASZLO

Un bon équili­bre de vie ? Un dynamisme pro­fes­sion­nel, cou­plé avec une tout aus­si intense activ­ité ludique : une exper­tise des bétons à l’échelle mon­di­ale, elle lui val­ut d’être impliqué dans la con­struc­tion du via­duc de Mil­lau et de nom­bre d’autres grands ouvrages ; une pra­tique vir­tu­ose des musiques de clavier, du clavecin au piano, et même au piano de jazz. François de Lar­rard est cet homme qui fit fruc­ti­fi­er ses tal­ents. Bien peu sont de cette trempe !

Il est actuelle­ment directeur sci­en­tifique du groupe Lafarge ­Hol­cim. Antérieure­ment, il fit par­tie du lab­o­ra­toire cen­tral des Ponts et Chaussées. Il fut appelé au Nation­al Insti­tute of Stan­dards and Tech­nol­o­gy, Gaithers­burg, MD 20899 (USA). Son habil­i­ta­tion à diriger des thès­es de doc­tor­at (15) date de 1999. Il fut récem­ment directeur sci­en­tifique du pro­gramme nation­al Recy­bé­ton (2012–2016). Il est auteur ou coau­teur de six livres, de six brevets et d’environ 300 pub­li­ca­tions scientifiques.

Du béton mais pas que…

Mais sa pré­coc­ité enton­nait bien avant de béton­ner ! Au tout début, le piano, depuis l’âge de qua­tre ans, « attiré par un antique Pleyel qui avait appartenu à l’un de mes arrière-grands-pères ». Durant l’enfance et l’adolescence, surtout mar­qué par l’enseignement de Pierre Froger (1911–1977), pro­fesseur de piano et organ­iste tit­u­laire des grandes orgues de la cathé­drale Saint-Gatien à Tours.

Il fit son cur­sus sec­ondaire au col­lège Saint-Gré­goire à Tours, puis la pré­pa à Paris, hypotaupe à Carnot et taupe à Chap­tal. Admis­si­ble à l’X en 3/2, il inté­gra l’année suiv­ante, dans la sec­tion Voile. À l’époque, le ser­vice mil­i­taire se fai­sait la pre­mière année. Affec­té dans l’Intendance, pen­dant les sept mois dans ce poste, il prof­i­ta des loisirs que cela lui lais­sait pour se for­mer aux ­rudi­ments du jazz.

À l’École, les cours qui l’intéressèrent le plus furent ceux de Thier­ry de Mont­br­i­al en économie, de Jean-Louis Ger­main en mécanique et de Marc Fer­ro en his­toire. Et puis celui de Lau­rent Schwartz : « J’étais dans la dernière pro­mo­tion à béné­fici­er de son enseigne­ment. Avec lui, j’ai décou­vert qu’un prof pou­vait être trop bon (!). En sor­tant de ses cours, on croy­ait avoir tout com­pris, telle­ment il nous pas­sion­nait et nous embar­quait dans les espaces de Banach, mais le jour de la “pale”, on se rendait compte que les con­cepts étaient plus com­plex­es que ce qu’on avait cru saisir grâce au charisme de l’inventeur de la théorie des dis­tri­b­u­tions, et qu’on aurait dû lire les polys d’un peu plus près. »

Un musicien éclectique

Il garde un sou­venir ému de l’École pour la musique aus­si. Out­re un petit groupe de jazz qu’il aida à fonder, et dont il était le pianiste, il obtint de jouer de temps en temps sur le piano de con­cert de l’amphi Poin­caré, « un mag­nifique Stein­way D ».

Puis, à la sor­tie de l’X, inscrit au con­ser­va­toire du xviie à Paris où il suit l’enseignement de Cather­ine Thi­bon en piano clas­sique, « ce qui m’a per­mis de recevoir le pre­mier prix du niveau ­supérieur ». Il pour­suiv­it par les cours d’Ani Pet­ross­ian en piano ­clas­sique à l’École nationale de musique de Cachan (prix de ­vir­tu­osité à l’unanimité et avec félic­i­ta­tions en 1987).

Ce n’est pas tout ! Il se for­ma, en par­al­lèle, au piano de jazz.
« À 20 ans, après avoir inté­gré l’École, je me suis inscrit au Cen­tre d’informations musi­cales (CIM) à Paris, à l’époque prin­ci­pale école de jazz de Paris, où j’ai suivi les cours de piano jazz de Michel Pré­castel­li, et où j’ai joué dans le Big Band dirigé par Roger Guérin. J’ai com­mencé à me pro­duire en piano jazz. J’ai ain­si reçu le prix spé­cial du jury en piano solo au con­cours de jazz de la Défense, Paris, 1982, ain­si que le 4e prix au con­cours ­inter­na­tion­al de jazz de Hoeilaart, Bel­gique, 1985. »

À présent, il con­tin­ue à jouer pour le plaisir : depuis François ­Couperin au clavecin à ses pro­pres com­po­si­tions en solo, ou dans le groupe de jazz Bronx­tet. Couperin : il le décrit « havre de ­douceur, de ­sim­plic­ité, d’intimité et de sérénité ». Il aime à citer de lui cette phrase (Pré­face du pre­mier livre de Pièces de clavecin) : « J’avouerai de bonne foi que j’aime beau­coup mieux ce qui me touche que ce qui me surprend. »

Macroharmonie et microstructures

Écoutez-le jouer du piano en solo : le paysage sonore qu’il ­par­court rap­pelle Girau­doux écrivant sur La Fontaine, « le plus inactuel des poètes, et en tout cas celui qui a été le moins soucieux de son pro­pre temps ». Calme, limpi­de, timide mais assuré, d’un ­clas­si­cisme néan­moins moqueur. Il rap­pelle un peu Prokofiev.

Le jazz qu’il pra­tique avec fer­veur reste mar­qué par son ­admi­ra­tion – abon­dam­ment jus­ti­fiée à vrai dire – pour Thelo­nious Monk. Les com­po­si­tions de Monk, son jeu plus encore, m’évoquent la descente d’une riv­ière en kayak ou radeau pneu­ma­tique : une ligne mélodique entraî­nante, mais cassée, tan­tôt par de gros blocs, tan­tôt par des rapides.

Nul doute que François de Lar­rard ait perçu l’analogie avec la micro­structure des bétons, qu’il con­tribua tant à élu­cider. Une har­monie sous-jacente et d’une telle tex­ture fait l’unité d’une vie.


Pour en savoir plus

Struc­tures gran­u­laires et for­mu­la­tion des bétons, François de Lar­rard, col­lec­tion Études et Recherch­es des Lab­o­ra­toires des Ponts et Chaussées. N° OA 34, Paris, 2000.

Con­stru­ire en béton. L’essentiel sur les matéri­aux, François de Lar­rard, Press­es des Ponts et Chaussées, Paris, 2002. 

http://francoisdelarrard.chez-alice.fr

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