Foucauld au désert

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°524 Avril 1997Par : Maurice Serpette (44) Préface de T. Monod et postface de J.-F. SixRédacteur : Robert Wirth (37)

Ce livre éclaire un aspect peu connu de l’activité saha­rienne de Charles de Fou­cauld, à savoir ses tra­vaux cultu­rels sur les Touaregs.

Saint-cyrien de for­ma­tion, il se montre très tôt atta­ché dans ses démarches scien­ti­fiques à “ col­ler au ter­rain ”. Atti­ré au Maroc, où les Fran­çais ne peuvent pas péné­trer, il s’y rend en 1883 sous les vête­ments d’un rab­bin russe. Les consta­ta­tions de sa Recon­nais­sance du Maroc sont très pré­cises : par exemple, il signale l’intérêt du site de la gorge de Bin el Oui­dane pour y construire un bar­rage, aujourd’hui réalisé.

Conver­ti en 1886 et ordon­né prêtre, il ne peut s’installer au Maroc comme il l’aurait dési­ré. Il décide, avec le concours de Laper­rine, qui com­mence à paci­fier le Saha­ra, de s’implanter à Taman­ras­set, où il par­vient en 1905. Dès les mois pré­cé­dents, il appro­fon­dit sa connais­sance du toua­reg, langue ber­bère très pure, mais peu étu­diée. Son Car­net de 1904 men­tionne le 8 juin : Il faut pré­pa­rer une tra­duc­tion des saints Évan­giles en tama­haq*.

Ces pré­misses résu­mées de façon très cur­sive expliquent com­ment il entre­prend pro­gres­si­ve­ment un tra­vail consi­dé­rable de recueil de textes, de dic­tion­naires et de lexiques qui l’occupera jusqu’à son meurtre en 1916.

Le livre de M. Ser­pette est rigou­reux et atta­chant. Il appelle une réflexion sur la science comme effet et comme moyen de la foi. Fou­cauld au Hog­gar, Teil­hard pour la paléon­to­lo­gie, le P. Lagrange pour les études bibliques à Jéru­sa­lem sont des hommes de la même lignée.

Fou­cauld tra­vaille avec méthode et achar­ne­ment et une totale pénu­rie de moyens, où l’on retrouve la pau­vre­té du jar­di­nier des Cla­risses de Naza­reth. Il cherche vai­ne­ment de l’aide auprès des savants uni­ver­si­taires ; il espère un moment convaincre le jeune Louis Mas­si­gnon, conver­ti comme lui, de le rejoindre à Taman­ras­set. Mal­gré les pres­sions de Paul Clau­del, cela ne se fera pas. Et il achè­ve­ra le tra­vail tout seul.

Par ailleurs, il revient de ses illu­sions pre­mières sur les pos­si­bi­li­tés de l’apostolat auprès des peuples isla­mi­sés ; c’est alors qu’il pri­vi­lé­gie son oeuvre cultu­relle comme un incon­tour­nable préa­lable dédié aux Toua­regs, qu’il aime, et aux apôtres incon­nus du futur. En même temps, il orga­nise en France une asso­cia­tion spi­ri­tuelle invi­tée à sou­te­nir l’apostolat dont les sta­tuts sont publiés à Alger en 1909 et que Mas­si­gnon ani­me­ra après la mort de Charles de Foucauld.

Ici, c’est une connais­sance plus his­to­rique, et sans inten­tion hagio­gra­phique, qu’a ten­tée M. Ser­pette, à par­tir des manus­crits, docu­ments, car­nets mais aus­si abon­dantes cor­res­pon­dances de Fou­cauld. C’est une approche assez nou­velle, comme le sou­ligne Théo­dore Monod dans sa pré­face ; Jean- Fran­çois Six conclut en post­face qu’il s’agit du pre­mier grand tra­vail scien­ti­fique sur ce sujet et qu’il rend jus­tice à Charles de Fou­cauld pour son exem­plaire contribution.

Au-delà de cet aspect, il faut médi­ter le témoi­gnage de Mas­si­gnon, recon­nais­sant que Fou­cauld l’a conduit à la décou­verte expé­ri­men­tale du sacré chez les autres.

Je vous sou­haite de lire ce livre.

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* Nom local de la langue touarègue.

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DUCLERCQ répondre
8 juin 2012 à 8 h 33 min

CHARLES DE FOUCAULD : « Les Méta­mor­phoses de Soi »

Un excellent résu­mé de l’aventure saha­rienne de Charles de Fou­cauld au contact des Toua­regs. Je viens pour ma part, au terme de deux années de tra­vail, d’a­che­ver un ouvrage à pro­pos de Charles de Fou­cauld : « Les Méta­mor­phoses de Soi ». Car Charles de Fou­cauld , c’est d’a­bord une aven­ture de soi aux risques de l’Autre. En 536 pages très docu­men­tées, j’ex­plore au tra­vers de l’a­ven­ture inté­rieure sin­gu­lière de de Fou­cauld, les phé­no­mènes uni­ver­sels qui ordonnent nos trans­for­ma­tions. L’é­cri­vain Chris­tian BOBIN a dit de ce livre : « Vous avez fait un tra­vail de fond de mine, nour­ri… On n’é­crit pas ain­si sans quelque néces­si­té impé­rieuse, radi­cale. Dans ce sens, ce livre est une énigme. » L’homme est un mutant unique en son genre : per­son­nage hors norme, Charles de Fou­cauld en offre par sa vie une éton­nante illus­tra­tion ‘’Les Méta­mor­phoses de soi’’ emprunte l’itinéraire pro­fane et spi­ri­tuel de cet homme en constante trans­for­ma­tion qui brouille ses traces à mesure qu’il avance. Chan­ge­ment de noms, de cos­tumes, de langues, de ter­ri­toires,… l’ouvrage suit le per­son­nage pas à pas pour ten­ter d’en sai­sir le fil conduc­teur. Insé­ré à la char­nière du XIXe et du XXe siècle et cer­né par deux guerres, le récit nous fait explo­rer la belle époque, la 3ème répu­blique, le Magh­reb en voie de colo­ni­sa­tion, une France et une Europe en pleine ges­ta­tion. Du frère char­nel sub­sti­tué au frère ainé révé­lé, Charles de Fou­cauld dépos­sé­dé va-t-il par­ve­nir à s’admettre assez pour accep­ter sa nais­sance dans la mort dési­rée ? Du chaos de soi à la construc­tion d’un “Naza­reth inté­rieur” , ‘’les Méta­mor­phoses de soi’’ sont un essai nar­ra­tif fon­dé sur ses propres écrits. Dis­po­nible à la com­mande sur : http://www.thebookedition.com/les-metamorphoses-de-soi-antoine-duclercq-p-76090.html

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