MexBrain

Focus sur l’extraction des métaux : enjeux et perspectives pour la santé

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°783 Mars 2023
Par Olivier TILLEMENT

MexBrain a dévelop­pé une tech­nolo­gie autour de l’extraction des métaux du corps. Le pro­fesseur Olivi­er Tille­ment, CSO de l’entreprise, nous en dit plus sur sa genèse, son évo­lu­tion, les tech­nolo­gies et solu­tions médi­cales qu’elle pro­pose. Ren­con­tre.

Comment est née l’idée de MexBrain ?

MexBrain s’inscrit dans la con­ti­nu­ité de nos recherch­es en nano-médecine et plus par­ti­c­ulière­ment autour des com­posés théra­nos­tiques à base de gadolin­i­um pour guider et ampli­fi­er l’efficacité des radio­thérapies. Au moment du pas­sage en clin­ique, s’est posée la ques­tion du devenir du gadolin­i­um une fois admin­istré et de son échange avec les oli­go-métaux présents dans le corps.
Dans ce cadre, nous nous sommes intéressés à dif­férentes recherch­es qui met­taient notam­ment en évi­dence des prob­lé­ma­tiques rel­a­tives à des excès de métaux dans le corps. L’impact de la dérégu­la­tion de l’homéostasie métallique sur l’évolution de cer­taines patholo­gies, comme les mal­adies neu­rodégénéra­tives, nous a alors sem­blé évident.

“L’idée de MexBrain est d’extraire en toute sécurité des métaux présents dans le cerveau et apporter une approche complémentaire aux traitements des maladies neurodégénératives.”

À par­tir de là, nous nous sommes intéressés aux approches per­me­t­tant de restau­r­er les équili­bres métalliques d’un point de vue médi­cal. Afin de réduire et extraire cer­tains métaux, nous avons exploré la piste de la micro-dial­yse asso­ciée à la nano-médecine. Il s’agit d’additionner, à un flu­ide de dial­yse, un biopolymère ultra-chéla­tant capa­ble de neu­tralis­er les cations métalliques qui passeraient à tra­vers la mem­brane ; nous con­tournons alors les lim­i­ta­tions imposées par les Lois de Fick, soit une extrac­tion ampli­fiée et très spé­ci­fique. C’est ain­si qu’a vu le jour l’idée de MexBrain : extraire en toute sécu­rité des métaux présents dans le cerveau et apporter une approche com­plé­men­taire aux traite­ments des mal­adies neurodégénératives.

Toute­fois, nous nous sommes vite ren­dus compte que cette thé­ma­tique d’extraction de cations métalliques du cerveau, mal­gré un vrai besoin sur le plan clin­ique, était un sujet très com­plexe, voire anx­iogène et qui, mal­gré son poten­tiel évi­dent, n’attirerait pas « naturelle­ment » les investisseurs.
Le con­cept a alors été éten­du, adap­té à l’hémodialyse et nous avons repo­si­tion­né la société afin de nous con­cen­tr­er sur l’extraction de métaux spé­ci­fiques dans le sang.
MexBrain a vu le jour en 2017 et a depuis levé plus de 6 mil­lions d’euros. Aujourd’hui, nous employons une équipe d’une dizaine de personnes.

Aujourd’hui, votre technologie d’extraction des métaux dans le sang permet de traiter les patients critiques atteints de la maladie de Wilson. Pouvez-vous nous en dire plus ?

La mal­adie de Wil­son est une mal­adie géné­tique hérédi­taire rare qui entraîne une accu­mu­la­tion de cuiv­re dans le corps, notam­ment au niveau du foie et du cerveau sur le long terme. Elle est diag­nos­tiquée chez des patients rel­a­tive­ment jeunes et peut se traduire par une hépatite ful­mi­nante qui implique de graves con­séquences pour les patients : hos­pi­tal­i­sa­tion en soins inten­sifs, décom­pen­sa­tion du foie qui peut men­er à un besoin de greffe… Pour ces patients graves, il est absol­u­ment néces­saire d’extraire rapi­de­ment les grandes quan­tités de cuiv­re libre cir­cu­lant dans le sang.

Nous util­isons notre tech­nolo­gie afin d’extraire ce cuiv­re en excès dans le sang des patients. Con­crète­ment, nous réal­isons une hémodial­yse à faible débit avec un dialysat con­tenant un biopolymère auquel nous avons gref­fé un chéla­tant très puis­sant, le DOTA, com­posé par ailleurs large­ment util­isé en clin­ique pour for­mer des agents de con­trastes IRM. En util­isant ce pro­duit et dans le cadre d’une dial­yse, nous sommes en mesure d’extraire unique­ment le cuiv­re excé­den­taire dans le sang.
Nous menons actuelle­ment un essai clin­ique en Espagne et en France sur une dizaine de patients qui ont été diag­nos­tiqués et qui sont en soins inten­sifs. Il s’agit d’un essai clin­ique mul­ti­cen­trique en phase piv­ot, car notre tech­nolo­gie est con­sid­érée comme un dis­posi­tif médi­cal sur mal­adie rare. Aujourd’hui, notre objec­tif est donc de pou­voir démon­tr­er les per­for­mances et l’efficacité de notre tech­nolo­gie pour l’extraction de métaux et dans le traite­ment de la mal­adie de Wilson.

Quelles sont les autres pistes que vous explorez et les autres pathologies que vous visez ?

Notre tech­nolo­gie adresse, de façon évi­dente, deux grands types de mal­adies géné­tiques aboutis­sant à une accu­mu­la­tion de métaux dans le corps : d’abord le cuiv­re et la mal­adie de Wil­son, comme précédem­ment men­tion­né, mais aus­si l’excès de fer et les hémochro­matoses, qui sont des mal­adies beau­coup plus fréquentes. Et à cela s’ajoutent les hémochro­matoses sec­ondaires, non géné­tiques, mais qui peu­vent appa­raître chez des per­son­nes qui subis­sent régulière­ment des trans­fu­sions san­guines, ou qui utilisent des médica­ments qui ont, comme effet sec­ondaire, des morts cel­lu­laires impor­tantes dans le corps.

“Le fer libre s’avère particulièrement toxique, en raison notamment de son effet catalytique sur l’augmentation du stress oxydant et de son effet favorable à la croissance des pathogènes.”

En par­al­lèle, il y a aus­si des sit­u­a­tions excep­tion­nelles pour le corps, lorsque les défens­es naturelles et les sys­tèmes de régu­la­tion de l’homéostasie du fer sont débor­dés, ce qui engen­dre la libéra­tion de pics d’oligo-métaux libres qui ne peu­vent plus être pris en charge par l’organisme. Le fer libre s’avère par­ti­c­ulière­ment tox­ique, en rai­son notam­ment de son effet cat­aly­tique sur l’augmentation du stress oxy­dant et de son effet favor­able à la crois­sance des pathogènes. Ce type de sit­u­a­tions est mal­heureuse­ment très fréquent et se ren­con­tre plus d’une fois sur deux en soins inten­sifs : dans le cadre d’hémolyse, de décom­pen­sa­tion et de cir­rhose du foie, de rhab­domy­ol­yse ou encore de sep­sis asso­ciés à des agents pathogènes comme des microbes qui vont, en plus, venir se nour­rir du fer libéré pour accélér­er leurs proliférations…

Sur ces patholo­gies mul­ti­fac­to­rielles, la cap­ta­tion du fer libre représente une cible thérapeu­tique très intéres­sante. Cette prob­lé­ma­tique du fer libéré con­stitue un cer­cle vicieux : sa présence aug­mente les dom­mages cel­lu­laires entrainant une libéra­tion plus grande de fer libre qui lui-même engen­dr­era d’autres dom­mages. Nous anticipons d’intégrer notre pro­duit dans les flu­ides de dial­yse qui sont déjà util­isés en soins inten­sifs. C’est un moyen d’apporter une solu­tion inno­vante dans un domaine où beau­coup de pro­grès peu­vent encore être réal­isés. Cette tech­nolo­gie présente l’avantage de peu mod­i­fi­er les par­cours de soin déjà exis­tants tout en appor­tant un béné­fice thérapeu­tique asso­cié à une cible large­ment ignorée !

Dans cette démarche, quels sont vos principaux enjeux ?

Au-delà de l’essai clin­ique en cours sur la mal­adie de Wil­son, nous tra­vail­lons avec des spé­cial­istes sur les prob­lé­ma­tiques qui peu­vent émerg­er en soins inten­sifs et qui pour­raient être liés à l’excès de fer : hémochro­matose sec­ondaire, décom­pen­sa­tion et cir­rhose du foie, sep­sis et même depuis peu rhab­domy­ol­yse… Nous avons pour objec­tif de démar­rer des essais clin­iques qui pour­ront démon­tr­er l’impact de l’extraction de fer sur l’amélioration du traite­ment des malades. Dans ce cadre, au-delà des enjeux financiers, nous avons un fort enjeu d’identification et de ciblage des malades en soins inten­sifs qui seront enrôlés dans ces pre­mières phas­es cliniques.

Et pour conclure, comment vous projetez-vous sur le moyen et long terme ?

L’ambition de MexBrain est aujourd’hui de devenir le spé­cial­iste de l’extraction des excès de métaux du corps, le leader des tech­nolo­gies de con­trôle des homéostasies métalliques locales.
En plus des approches asso­ciées à la dial­yse, nous avons éten­du notre polymère chéla­tant à des gels et des solu­tions admin­is­tra­bles pour des util­i­sa­tions beau­coup moins iatrogènes. Nous explorons ain­si plusieurs pistes sci­en­tifiques et médi­cales notam­ment en matière d’extractions longues de métaux lourds ou de neu­tral­i­sa­tion locale du fer libéré. Nous nous intéres­sons à l’endométriose ain­si qu’aux AVC, deux patholo­gies qui génèrent une forte con­cen­tra­tion de fer libre et où, in fine, une cap­ta­tion locale ouvre des per­spec­tives sim­ples et intéres­santes de traitement.

Sur le plus long terme, nous envis­ageons aus­si une spé­cial­i­sa­tion dans la régu­la­tion des oli­go-métaux présents dans le corps ain­si qu’une nou­velle prise en con­sid­éra­tion de l’impact de la présence des métaux lourds sur le vieil­lisse­ment et les mal­adies neu­rodégénéra­tives, bouclant ain­si avec les pre­mières idées ayant con­duit à la créa­tion de la société.

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