Fiscalité environnementale : un bilan en demi-teinte

Dossier : Environnement : premiers bilansMagazine N°669 Novembre 2011
Par Henri LAMOTTE

REPÈRES

REPÈRES
Par sa déci­sion du 28 décem­bre 2009, le Con­seil con­sti­tu­tion­nel a déclaré non con­forme à la Con­sti­tu­tion le pro­jet de taxe car­bone fig­u­rant dans le pro­jet de loi de finances pour 2010 pour rup­ture d’égalité devant les charges publiques. Dix ans après l’annulation du pro­jet de taxe CO2/énergie de 2000, cette déci­sion amène à s’interroger sur l’évolution de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale en France au cours des vingt dernières années, alors que plusieurs pays européens, notam­ment les pays d’Europe du Nord, ont entre­pris d’importantes « réformes fis­cales vertes » depuis le début des années 1990.

Un poids décroissant

Au regard du poids de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale dans le PIB, la France occupe un mod­este 21e rang dans l’Union européenne

Selon les dernières don­nées disponibles d’Eurostat (2011), la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale représente en France, en 2009, 40 Md€, soit 2,1 % du PIB et 5% des prélève­ments oblig­a­toires. Sur la base de ces mêmes don­nées, le poids de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale s’est réduit au cours des quinze dernières années puisque, en 1995, la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale en France représen­tait 2,8 % du PIB et 6,4% des prélève­ments oblig­a­toires. Au regard du poids de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale dans le PIB, la France occupe un mod­este vingt et unième rang dans l’Union européenne à Vingt- Sept. Par rap­port à la moyenne pondérée de l’Union européenne, le ratio des recettes envi­ron­nemen­tales rap­portées au PIB est inférieur de 0,3 point. Cette sit­u­a­tion est récente puisque, en 1995, la France se situ­ait au niveau de la moyenne de l’Union européenne.

Des indicateurs présentant de nombreuses limites

Rap­porter la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale au PIB ou aux prélève­ments oblig­a­toires induit cer­tains biais. Le pre­mier tient à la déf­i­ni­tion même de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale. Pour les écon­o­mistes, la notion de fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale ne devrait guère faire débat. Elle se définit exclu­sive­ment par son assi­ette : une taxe envi­ron­nemen­tale est un prélève­ment dont l’assiette est une unité physique (ou un sub­sti­tut proche) qui a un impact négatif et avéré sur l’environnement.

Dis­tinc­tion arbitraire
Les rede­vances pour ser­vices ren­dus ne sont pas con­sid­érées comme des prélève­ments oblig­a­toires et ne sont pas retracées dans la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale : c’est le cas par exem­ple de la rede­vance d’enlèvement des ordures ménagères, des rede­vances pour prélève­ment et assainisse­ment recou­vrées par les agences de bassin et des péages d’infrastructures. Cette lim­ite au champ de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale appa­raît assez con­testable d‘un point de vue économique car la dis­tinc­tion entre prélève­ment oblig­a­toire et rede­vance a peu de jus­ti­fi­ca­tion économique.

En sec­ond lieu, la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale est con­sti­tuée par les recettes col­lec­tées et n’inclut pas les crédits d’impôt (comme le crédit d’impôt pour le développe­ment durable) ou les sys­tèmes de bonus-malus (auto­mo­bile). Cette déf­i­ni­tion donne donc une image réduc­trice de l’utilisation envi­ron­nemen­tale de la fiscalité.

Enfin, le ratio de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale rap­porté au PIB ne traduit que le poids moyen des recettes rap­porté au PIB. À titre d’exemple, les recettes de la fis­cal­ité sur l’énergie en France entre 1995 et 2009 se sont réduites de 2,0 à 1,5 % du PIB, soit un allége­ment appar­ent de 25 %. Toute­fois, ce ratio sures­time l’allégement réel de la tax­a­tion de l’énergie en France. L’analyse des taux implicites de tax­a­tion de l’énergie (rap­por­tant les tax­es sur l’énergie à la con­som­ma­tion d’énergie) mon­tre que la tax­a­tion de l’énergie s’est réduite en France de 19 euros par TEP entre 1995 et 2009, soit un allége­ment de 10% seule­ment. Cette évo­lu­tion s’explique notam­ment par l’absence de reval­ori­sa­tion des taux de la TIPP et par la pour­suite de la diéséli­sa­tion du parc auto­mo­bile engen­drant une baisse de la tax­a­tion effec­tive des car­bu­rants en France.

Seul le taux marginal peut modifier les comportements

En out­re, les ratios ne dépen­dent que du taux moyen d’imposition et ne pren­nent pas en compte, par déf­i­ni­tion, le taux mar­gin­al de tax­a­tion qui seul importe pour mod­i­fi­er les com­porte­ments. Un même niveau de recettes fis­cales envi­ron­nemen­tales peut être obtenu avec des taux mar­gin­aux d’imposition très différents.

Enfin, le ratio du poids de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale dans les prélève­ments oblig­a­toires ne donne d’information que sur la struc­ture des prélève­ments oblig­a­toires ; il ne doit pas être util­isé comme un indi­ca­teur de l’utilisation de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale pour mod­i­fi­er les com­porte­ments puisqu’il est affec­té directe­ment par le poids des prélève­ments obligatoires.

Une logique de financement plus que d’incitation

Une excep­tion notable
La fis­cal­ité énergé­tique, et notam­ment la taxe intérieure sur les pro­duits pétroliers, fait fig­ure d’exception en France car elle n’a jamais été affec­tée au finance­ment d’une dépense envi­ron­nemen­tale, mais elle a bien un impact sur les com­porte­ments. Il est du reste symp­to­ma­tique qu’elle ne soit pas, dans le débat pub­lic, con­sid­érée comme une « éco­taxe » pour cette raison.

Le mod­èle français obéit plus à une logique de finance­ment de dépens­es envi­ron­nemen­tale qu’à une logique inci­ta­tive. On ne con­state pas d’évolution très notable sur ce point au cours des vingt dernières années, et les ten­ta­tives faites pour pass­er à une logique d’incitation à la mod­i­fi­ca­tion des com­porte­ments n’ont pas tou­jours été couron­nées de succès.

La fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale en France est forte­ment mar­quée par sa final­ité, le finance­ment de dépens­es envi­ron­nemen­tales. Cette util­i­sa­tion est telle­ment prég­nante qu’elle influe même sur la con­cep­tion de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale en France : une taxe sera con­sid­érée dans le débat pub­lic comme une taxe « envi­ron­nemen­tale » ou une « éco­taxe » si elle sert à financer une dépense envi­ron­nemen­tale, et cela indépen­dam­ment de son assiette.

Grenelle de l’environnement

Le Grenelle finance le Grenelle

Le Grenelle de l’environnement ne rompt pas totale­ment avec cette logique, puisqu’un doc­u­ment du min­istère de l’Écologie mélange les deux approches en soulig­nant par­mi les principes qui ont guidé la réforme de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale l’incitativité (il s’agit d’encourager les com­porte­ments vertueux) et l’affectation inté­grale du pro­duit de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale au finance­ment des mesures du Grenelle de l’environnement : en quelque sorte, « le Grenelle finance le Grenelle ».

Changer les comportements

Pass­er d’une logique de finance­ment à une logique d’incitation à la mod­i­fi­ca­tion des com­porte­ments est dif­fi­cile en France. Plusieurs exem­ples illus­trent ces dif­fi­cultés. En 2000, le pro­jet de TGAP énergie por­tait sur les con­som­ma­tions d’énergie de toutes les entre­pris­es de plus de 100 TEP par an. L’agriculture et la sylvi­cul­ture étaient exonérées. Des taux réduits étaient intro­duits pour les entre­pris­es inten­sives en énergie. Le pro­jet a été jugé incon­sti­tu­tion­nel par le Con­seil con­sti­tu­tion­nel pour rup­ture d’égalité devant l’impôt, car les exonéra­tions ne pou­vaient être jus­ti­fiées par l’objectif de lutte con­tre le change­ment climatique.

Le gou­verne­ment pro­pose un nou­veau pro­jet de taxe carbone

Dix ans plus tard, le gou­verne­ment pro­pose un nou­veau pro­jet de taxe car­bone à la suite d’une longue con­cer­ta­tion engagée durant le Grenelle de l’environnement et pro­longée par une con­férence d’experts présidée par Michel Rocard. La taxe car­bone porte sur les con­som­ma­tions d’énergie fos­sile des ménages et des entre­pris­es, à l’exception de celles qui sont assu­jet­ties au marché européen de per­mis négo­cia­bles. Le dis­posi­tif est cen­suré par le Con­seil con­sti­tu­tion­nel pour rup­ture d’égalité devant les charges publiques.

Déci­sion critiquable
La déci­sion du Con­seil con­sti­tu­tion­nel con­cer­nant la taxe car­bone ignore que, même alloués gra­tu­ite­ment, les per­mis d’émission négo­cia­bles ont bien pour effet d’accroître le « coût mar­gin­al » des émis­sions de CO2 De ce fait, l’assujettissement à la taxe car­bone de ces entre­pris­es se serait traduit par un « coût mar­gin­al » du CO2 émis en France plus élevé que dans le reste de l’Union européenne, engen­drant donc une perte d’efficacité économique du marché européen de permis.
En out­re, l’assujettissement à la taxe car­bone des entre­pris­es inté­grées dans le marché européen de per­mis n’aurait eu aucun béné­fice envi­ron­nemen­tal puisque les moin­dres émis­sions de CO2 en France auraient per­mis aux entre­pris­es français­es de ven­dre les per­mis disponibles à d’autres entre­pris­es sur le marché européen.

Transports routiers

En matière de trans­ports, le niveau de tax­a­tion du trans­port routi­er ne cou­vre que très impar­faite­ment l’ensemble des effets externes engen­drés par celui-ci (insécu­rité, pol­lu­tion locale, usage des infra­struc­tures, con­ges­tion, pol­lu­tion locale, change­ment cli­ma­tique). C’est tout par­ti­c­ulière­ment le cas en milieu urbain du fait de l’absence en France d’instruments spé­ci­fiques de tar­i­fi­ca­tion de la con­ges­tion (péage urbain).

Mais c’est égale­ment le cas pour le trans­port interur­bain (sauf pour les véhicules par­ti­c­uliers à essence si on val­orise la rareté de l’infrastructure au coût de congestion).

Réduire la sous-tarification

Le péage kilo­métrique pour les poids lourds per­me­t­tra de sup­primer (ou de réduire) cette sous-tar­i­fi­ca­tion, mais il n’en est pas de même pour les véhicules par­ti­c­uliers gazole du fait du niveau trop faible de la TIPP sur le gazole des par­ti­c­uliers. Le pro­jet de 1999 visant à réduire par étapes l’écart de tax­a­tion entre l’essence et le gazole a été aban­don­né au bout d’un an.

Des progrès notables

Per­mis négociables
L’innovation fon­da­men­tale intro­duite dans la poli­tique envi­ron­nemen­tale en matière d’instruments économiques ne repose pas sur l’instrument fis­cal : c’est la créa­tion en 2005 du marché européen de per­mis d’émission négo­cia­bles de CO2. Ce marché per­met de soumet­tre à un prix unique au niveau européen les entre­pris­es du secteur indus­triel et élec­trique (représen­tant env­i­ron 50% des émis­sions de CO2 dans l’Union européenne).

Pour ten­ter de répon­dre aux recom­man­da­tions de l’OCDE de 2005, plusieurs réformes impor­tantes ont été intro­duites ou le seront à brève échéance, notam­ment à la suite du Grenelle de l’environnement : l’introduction entre 2006 et 2008 de tax­es sur la pol­lu­tion d’origine agri­cole ; le relève­ment à par­tir de 2009 des taux de la TGAP sur la mise en décharge des déchets, sur les matéri­aux d’extraction, sur les pous­sières en sus­pen­sion ain­si que l’extension de la TGAP aux déchets inc­inérés ; l’introduction d’un péage routi­er kilo­métrique pour les poids lourds util­isant le réseau nation­al non con­cédé ain­si que les routes départe­men­tales et com­mu­nales sus­cep­ti­bles de subir un report de traf­ic (12000 km env­i­ron) ; à plus moyen terme, la révi­sion de la direc­tive Eurovi­gnette pour­rait per­me­t­tre de révis­er les péages routiers pour inté­gr­er les exter­nal­ités de pol­lu­tion locale (NOx, SOx…) et de bruit et de tenir compte de la con­ges­tion alors que la direc­tive actuelle ne per­met que de tenir compte du coût des infra­struc­tures de transport.

Tarifer tous les trafics

Les nou­veaux péages kilo­métriques applic­a­bles aux poids lourds présen­tent le dou­ble avan­tage d’être mod­u­la­ble en fonc­tion du lieu et de l’heure et de tar­ifer tous les trafics de poids lourds, et pas seule­ment ceux qui font leur plein en France, con­traire­ment à la TIPP.

Stratégies de double dividende

Dou­ble échec
Deux pro­jets répon­dant à la stratégie de dou­ble div­i­dende ont été cen­surés par le Con­seil con­sti­tu­tion­nel : le pro­jet de TGAP/énergie de 2000 qui per­me­t­tait de financer une par­tie des allége­ments de charge sur les bas salaires mis en place dans le cadre de la réduc­tion du temps de tra­vail (le sol­de étant financé par une sur­taxe d’IS : la con­tri­bu­tion sociale sur les béné­fices) ; le pro­jet de taxe car­bone de 2009 devait égale­ment se faire à prélève­ments con­stants : la frac­tion de la taxe payée par les ménages devait être com­pen­sée par un verse­ment for­faitaire mais la part payée par les entre­pris­es devait servir à financer – du moins en par­tie – la réforme de la taxe professionnelle.

En dépit des avancées enreg­istrées dans le cadre du Grenelle de l’environnement, le recours à la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale n’a pas per­mis de restruc­tur­er le sys­tème de prélève­ments oblig­a­toires. Il existe trois straté­gies pos­si­bles d’utilisation des recettes publiques engen­drées par un alour­disse­ment de la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale : financer un sur­croît de dépens­es en faveur de l’environnement (thèse envi­ron­nemen­tal­iste) ; com­penser les assu­jet­tis par des trans­ferts for­faitaires sans nuire à l’efficacité envi­ron­nemen­tale de la taxe (thèse du réal­isme poli­tique) ; recy­cler les recettes des éco­tax­es pour baiss­er d’autres prélève­ments oblig­a­toires afin de restruc­tur­er le sys­tème de prélève­ments oblig­a­toires afin de stim­uler la crois­sance et l’emploi. Cette stratégie est dite de dou­ble div­i­dende : au pre­mier div­i­dende lié à l’efficacitécoût supérieure des instru­ments économiques par rap­port aux normes, s’ajoute un sec­ond div­i­dende de nature macroéconomique.

Gains macroéconomiques

La Direc­tion générale du tré­sor et de la poli­tique économique a éval­ué à par­tir du mod­èle MESANGE les effets macroé­conomiques d’un finance­ment par la taxe car­bone de plusieurs sché­mas de baisse de prélève­ments oblig­a­toires. Pour une taxe car­bone con­ven­tion­nelle­ment fixée à 0,5 point de PIB, les gains engen­drés par la restruc­tura­tion du sys­tème de prélève­ments oblig­a­toires étaient de l’ordre de 0,4 à 0,6 point de PIB à long terme.

Un bilan en demi-teinte

Au total, en vingt ans, la fis­cal­ité envi­ron­nemen­tale n’a pas con­nu d’évolution majeure mais seule­ment des réformes assez ponctuelles. Elle occupe une place mod­este dans le PIB et les prélève­ments oblig­a­toires. Elle est plus faible que la moyenne des pays européens. Elle s’inscrit beau­coup plus dans une logique de finance­ment que dans une logique inci­ta­tive ; elle n’a pas été util­isée pour restruc­tur­er à la marge le sys­tème de prélève­ments oblig­a­toires pour engen­dr­er un sec­ond div­i­dende de nature macroéconomique.

Pas de « commission verte »

Au total, le bilan reste un peu déce­vant pour les écon­o­mistes. À deux repris­es en dix ans, le Con­seil con­sti­tu­tion­nel n’a pas per­mis au gou­verne­ment d’introduire une taxe car­bone comme dans huit autres pays européens. En déclarant non con­forme à la Con­sti­tu­tion le pro­jet de taxe car­bone du PLF 2010, le Con­seil con­sti­tu­tion­nel a égale­ment empêché de fait la mise en place de la « com­mis­sion verte » prévue dans le dispositif.

Une nouvelle gouvernance

Il faut adapter la fis­cal­ité verte

Or, comme le soulig­nait à juste titre l’OCDE en 2005, les réformes fis­cales vertes ne peu­vent réus­sir sans un mod­èle de gou­ver­nance adap­té et fondé notam­ment sur les green tax com­mis­sions mis­es en place en Norvège (1990), aux Pays-Bas (1995) ou en Suède (1997).

L’essentiel des pro­grès enreg­istrés dans l’utilisation des instru­ments économiques dans les poli­tiques envi­ron­nemen­tales est à met­tre à l’actif de l’instrument alter­natif, celui des marchés de per­mis négo­cia­bles, qui a con­nu un développe­ment récent très rapi­de depuis 2005 avec le marché des per­mis d’émission de CO2.

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