Brice LALONDE, quarante ans de lutte pour l’environnement

Dossier : Environnement : premiers bilansMagazine N°669 Novembre 2011Par : Propos recueillis par Pierre LACHAIZE (81)

REPÈRES

REPÈRES
Le pro­gramme Apol­lo fut un choc plané­taire qui déclen­cha une for­mi­da­ble prise de con­science écologique. Vue de l’espace, la Terre apparut à des cen­taines de mil­lions de téléspec­ta­teurs comme une planète unique et frag­ile, un vais­seau spa­tial dont nous étions les pas­sagers sol­idaires et isolés dans un monde hos­tile. Le 9 juil­let 1969, Neil Amstrong, en posant le pied sur un satel­lite gris et mort, refer­mait le monde et clô­tu­rait une ère d’expansion con­tin­ue que, cinq cents ans plus tôt, Christophe Colomb avait engagée en débar­quant, lui, sur des ter­res immenses à la végé­ta­tion luxuriante.

Stock­holm ouvre la voie d’une dynamique irréversible

L’engagement écologique fut d’abord asso­ci­atif et améri­cain. Le col­lec­tif Les Amis de la Terre est fondé en 1969 à San Fran­cis­co, Green­peace naît en 1971 à Van­cou­ver. Puis c’est la grande année 1972. L’OCDE invente et adopte le principe du pol­lueur-payeur. Le club de Rome pub­lie un rap­port précurseur, The Lim­its to Growth, qui affirme qu’il ne peut y avoir de crois­sance illim­itée sans risque d’un effon­drement dû à l’épuisement des ressources, aux effets de la pol­lu­tion et à la sur­ex­ploita­tion des sys­tèmes naturels.

C’est en allant sur la Lune que les hommes ont décou­vert leur Terre.

Dans le même temps, les États du monde, pour la pre­mière fois con­scients de partager une seule Terre, se réu­nis­sent à Stock­holm lors de la con­férence des Nations unies sur la pro­tec­tion de l’environnement et le développe­ment des pays les plus pau­vres. Les par­tic­i­pants adoptent une déc­la­ra­tion de vingt-six principes et un vaste plan d’action pour lut­ter con­tre la pol­lu­tion. C’est lors de ce som­met qu’est créé le Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), tou­jours act­if aujourd’hui. La con­férence de Stock­holm con­clut ain­si une phase de bouil­lon­nement et ouvre la voie d’une dynamique irréversible.

Des sommets internationaux

En France, les écol­o­gistes se font entendre
C’est l’incroyable suc­cès de l’annulation en 1974 du pro­jet de voie express rive gauche après trois ans de lutte asso­cia­tive. La com­posante française des Amis de la Terre est créée en 1971. René Dumont, qui pub­lie L’Utopie ou la mort en 1973, est le pre­mier can­di­dat écologique lors de l’élection prési­den­tielle de 1974. Les médias se mobilisent, notam­ment Le Nou­v­el Obser­va­teur qui lance en 1973 le pre­mier jour­nal écologique apoli­tique, Le Sauvage.

À Stock­holm, les par­tic­i­pants s’étaient engagés sur un cycle de réu­nions décen­nales. Nairo­bi en 1982, en pleine Guerre froide, est un échec. Cette pre­mière décen­nie a cepen­dant per­mis de réalis­er des pro­grès impor­tants relat­ifs à la préser­va­tion de la nature : en 1975, la con­ven­tion de Wash­ing­ton visant à pro­téger plus de 30 000 espèces sauvages ; en 1976, la con­ven­tion de Barcelone sur la pro­tec­tion de la Méditer­ranée con­tre la pol­lu­tion ; en 1979, la con­ven­tion de Berne sur la con­ser­va­tion de la vie sauvage et du milieu naturel d’Europe. En 1987, la Com­mis­sion mon­di­ale sur l’environnement et le développe­ment des Nations unies, présidée par la Norvégi­en­ne Gro Harlem Brundt­land, pub­lie un rap­port décisif, Notre avenir à tous. Le rap­port Brundt­land équili­bre Stock­holm en recon­nais­sant le besoin de développe­ment économique et rap­pelle la néces­sité de lut­ter con­tre la pau­vreté. Il met en valeur et pré­cise le con­cept de « développe­ment souten­able » qui, à par­tir de cette date, sera repris dans le monde entier.

1988 : création du GIEC

Pre­mier succès
La diplo­matie envi­ron­nemen­tale con­naît un for­mi­da­ble suc­cès dans sa lutte pour la pro­tec­tion de la couche d’ozone (con­ven­tion de Vienne de 1985 et pro­to­cole de Mon­tréal de 1987), suc­cès facil­ité, il est vrai, par le faible nom­bre d’industriels con­cernés par la pro­duc­tion des pro­duits pol­lu­ants et de leurs substituts.

La ques­tion de l’effet de serre et de son impact sur le cli­mat n’est cepen­dant pas réglée et, en novem­bre 1988, le GIEC (Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat) est créé à la demande du G7 en s’appuyant sur les struc­tures de l’ONU. Le GIEC vise à faire la syn­thèse de l’expertise sci­en­tifique mon­di­ale sur les principes physiques du change­ment cli­ma­tique, sur ses impacts sur notre envi­ron­nement et sur les moyens de son atténu­a­tion. Son pre­mier rap­port paraît en 1990.

Vingt ans après Stock­holm – et juste cinq cents ans après la décou­verte de l’Amérique par Christophe Colomb –, le som­met de Rio de 1992 est un immense suc­cès regroupant une cen­taine de chefs d’État et mille cinq cents asso­ci­a­tions. Rio donne lieu à une déc­la­ra­tion signée par tous les États présents, un pro­gramme d’action est arrêté, l’Agenda 21, et trois con­ven­tions sont établies sur la diver­sité biologique, sur la lutte con­tre la déser­ti­fi­ca­tion et sur les change­ments cli­ma­tiques. Les sig­nataires de cette dernière con­ven­tion déci­dent de se ren­con­tr­er tous les ans. La pre­mière Con­férence des par­ties (COP) a lieu à Berlin en 1995 (Copen­h­ague en 2009 et Can­cun en 2010 en con­stitueront les quinz­ième et seiz­ième occurrences).

4000 organ­i­sa­tions à Johannesburg
Le som­met de Johan­nes­burg, en 2002, est la plus grande réu­nion organ­isée par l’ONU, avec plus de qua­tre mille organ­i­sa­tions par­tic­i­pantes. Mal­gré un con­texte inter­na­tion­al mar­qué par le ter­ror­isme, ce som­met adopte un plan d’action qui con­firme les ori­en­ta­tions de Rio.

Lors de la COP 3 au Japon, le 11 décem­bre 1999, les par­ties prenantes sig­nent le pre­mier pro­to­cole con­traig­nant pour les États dévelop­pés, le pro­to­cole de Kyoto, visant à une réduc­tion moyenne des émis­sions de gaz à effet de serre de 5,2 % en 2012 par rap­port à 1990. Après un long cycle de rat­i­fi­ca­tion pays par pays, celui-ci entre en vigueur en févri­er 2005. Les États-Unis, sig­nataires du pro­to­cole, ne le rat­i­fient pas, suite à l’opposition de leur Con­grès, puis de l’administration Bush.

De grands pro­grès ont été accom­plis en trente ans

Ain­si, de grands pro­grès ont été accom­plis en trente ans, et les États ont su agir de façon con­certée pour préserv­er leur bien com­mun. Le con­ti­nent antarc­tique a été préservé de toute exploita­tion minière, les pays pau­vres ne sont pas devenus le lieu de stock­age des pro­duits tox­iques du monde indus­tri­al­isé, la couche d’ozone a été pro­tégée ain­si que de mul­ti­ples espèces ani­males ou végé­tales, un fonds pour l’environnement mon­di­al s’est mis en place dès 1991 pour soutenir les pays en développe­ment dans la mise en oeu­vre des con­ven­tions sur l’environnement mondial.

Une aventure humaine

Omniprésence
L’écologie s’est imposée dans tous les débats, elle fig­ure dans le traité de Maas­tricht con­sti­tu­tif de l’Union européenne adop­té en 1992, dans les statuts de l’OMC créée en 1995 et dans les Objec­tifs du mil­lé­naire pour le développe­ment défi­nis lors du som­met de New York de sep­tem­bre 2000. Trente-cinq pays dis­posent, sous des formes divers­es, d’un min­istère de l’Environnement, l’ONU et l’OCDE ont inté­gré l’écologie dans leur organisation.

Par sa dimen­sion plané­taire et les enjeux majeurs qu’elle des­sine, la dynamique écologique est aus­si une excep­tion­nelle aven­ture humaine reposant sur une forme de « jet­set de l’écologie » com­posée d’un noy­au dur de quelques cen­taines de per­son­nes répar­ties sur tous les con­ti­nents. On y dis­tingue une inter­na­tionale poli­tique, une inter­na­tionale admin­is­tra­tive et une inter­na­tionale mil­i­tante, toutes trois indis­pens­ables et complémentaires.

Les poli­tiques, dans leur majorité, sont sen­si­bles aux ques­tions qui leur sont posées et à leur respon­s­abil­ité quant à l’avenir du monde. Soumis évidem­ment à leur opin­ion publique, à des agen­das chargés, à des intérêts con­tra­dic­toires, à un tri néces­saire entre l’urgent et l’important, ils ont dévelop­pé de réelles capac­ités de coopération.

C’est l’espoir d’une trans­for­ma­tion du monde

Por­tant des enjeux à long terme, l’écologie doit par­fois s’effacer devant les ten­sions inter­na­tionales met­tant en jeu la paix dans le monde (même si la plu­part des con­flits relèvent aujourd’hui de com­péti­tions pour les ressources naturelles) ou devant les crises économiques qui récla­ment des répons­es urgentes. Le som­met de Rio a été un suc­cès car il s’est déroulé à un moment où le monde était apaisé, entre la fin de la Guerre froide et le début de la guerre con­tre le ter­ror­isme. Cepen­dant, par une forme de magie dont les poli­tiques ont le priv­ilège, ceux-ci sont tou­jours capa­bles de pren­dre des déci­sions rad­i­cales et inat­ten­dues (Gor­batchev et la réu­ni­fi­ca­tion alle­mande, François Mit­ter­rand et l’arrêt des essais nucléaires, Angela Merkel et la sor­tie du nucléaire). C’est l’espoir con­tinu d’une trans­for­ma­tion du monde.

Think-tanks

Le rôle des scientifiques
Les sci­en­tifiques jouent un rôle déter­mi­nant et recon­nu. Le météorol­o­giste sué­dois Bert Bolin a tenu un rôle majeur dans la créa­tion du GIEC qu’il a dirigé de 1988 à 1997. En 1995, Paul Crutzen, Mario Moli­na et Franck Sher­wood Row­land obti­en­nent le prix Nobel de chimie pour leurs travaux sur la couche d’ozone. En 2007, le GIEC, con­join­te­ment à Al Gore, reçoit le prix Nobel de la paix. Quoique écoutée, la parole des sci­en­tifiques reste sou­vent tech­nique et prudente.

L’internationale admin­is­tra­tive est majori­taire­ment com­posée de gens cul­tivés, ouverts, inven­tifs et diplo­mates. Les organ­i­sa­tions inter­na­tionales, l’ONU et l’OCDE notam­ment, mais aus­si la Com­mis­sion européenne ou encore les ban­ques de développe­ment, con­stituent de remar­quables think-tanks pro­posant nou­veaux con­cepts et plans d’action dans l’exercice dif­fi­cile et con­tinu de la recherche de l’accord le plus large. Des hommes remar­quables y ont joué des rôles déter­mi­nants, comme le Cana­di­en Mau­rice Strong, organ­isa­teur entre autres du som­met de Rio, ou le Français Jean Ripert, qui a présidé le comité inter­na­tion­al sur le change­ment cli­ma­tique aboutis­sant à la con­ven­tion de Rio.

L’internationale mil­i­tante, quant à elle, est indis­pens­able pour mobilis­er l’opinion et les poli­tiques, pour pro­pos­er, accom­pa­g­n­er et illus­tr­er de nou­velles mesures et organ­i­sa­tions col­lec­tives. Héri­tière dans les pays occi­den­taux des mou­ve­ments de con­tes­ta­tion étu­di­ants, elle allie sou­vent des capac­ités de remise en cause et un savoir-faire dans la mobil­i­sa­tion et la dif­fu­sion médiatique.

Tout reste à inventer

Un monde à inventer
Tout reste à inven­ter, tant sur le plan des principes, des modes de gou­ver­nance, que sur celui des modal­ités con­crètes. Des pistes émer­gent, comme la tax­a­tion des flux financiers, d’autres don­neront lieu à des débats ser­rés comme le con­cept nou­veau de crois­sance verte : perçu comme une réponse au dilemme entre crois­sance et pro­tec­tion de l’environnement par les pays occi­den­taux, il est vécu comme une men­ace par les pays en développe­ment qui craig­nent de voir leurs expor­ta­tions lim­itées par de nou­velles con­traintes réglementaires.

Nous sommes main­tenant à la veille de Rio + 20, qui aura lieu en juin 2012. Les défis demeurent immenses : l’augmentation de deux degrés de la tem­péra­ture moyenne recon­nue comme un seuil à ne pas franchir sera vraisem­blable­ment dépassée avec des impacts négat­ifs cer­tains, la pop­u­la­tion mon­di­ale ver­ra son seuil attein­dre non pas neuf mais dix mil­liards d’individus, les pertes de bio­di­ver­sité sont manifestes.

Mais la pri­or­ité de Rio + 20 sera d’abord la lutte con­tre la très grande mis­ère. C’est un devoir moral et c’est la con­di­tion de tous les autres com­bats. Fon­da­men­tale­ment, le monde doute encore, il se demande s’il ne dis­pose pas d’une capac­ité d’adaptation infinie, s’il n’est pas capa­ble de relever tous les défis. Après tout, quelle crois­sance de notre pop­u­la­tion depuis Malthus ! Et même depuis le club de Rome (il y avait seule­ment 3,5 mil­liards d’êtres humains dans les années 1960). Mais à quel prix ? Avec quelle dette écologique et sociale pour les généra­tions futures ? Avec quel risque pour la paix ?

Par ailleurs, les dirigeants ont encore besoin d’apprivoiser l’écologie, les out­ils opéra­tionnels man­quent : com­ment tax­er le fuel sans désta­bilis­er les marins pêcheurs occi­den­taux ou faire mon­ter les prix sur un marché de vil­lage d’Afrique équa­to­ri­ale ? Com­ment réduire notre dépen­dance énergé­tique et main­tenir nos niveaux de vie ? Que dire à tous ceux qui rêvent de con­som­ma­tion ? Que dire à ceux qui con­som­ment trop ?

Le dernier arbre sera brûlé, le dernier fruit sera mangé, le dernier gibier abat­tu si les hommes ont faim.

La gou­ver­nance du monde doit aus­si évoluer. L’ONU représente les États, pas la planète. L’échelon mon­di­al ne peut suf­fire à tout gér­er, des gou­ver­nances régionales sont aus­si néces­saires. Le con­texte de pré­pa­ra­tion de Rio + 20 est un con­texte de pro­fonde muta­tion : l’économie occi­den­tale se délite, les pays en développe­ment s’affirment de plus en plus, cer­tains peu­ples aspirent à de nou­velles lib­ertés tan­dis qu’ailleurs se dévelop­pent les replis identitaires.

La pri­or­ité sera la lutte con­tre la très grande misère

Rio + 20 a l’ambition de trac­er une feuille de route ambitieuse pour les vingt prochaines années. Rien n’est écrit d’avance, même si la com­mu­nauté admin­is­tra­tive fait son tra­vail de pré­pa­ra­tion. C’est l’engagement de l’internationale mil­i­tante qui devient déter­mi­nant, par sa capac­ité de propo­si­tion et par la pres­sion qu’elle exercera sur ses représen­tants politiques.

Le défi est pas­sion­nant. Il s’adresse à cha­cun. C’est celui d’une généra­tion qui, fait sans doute unique dans l’histoire de l’humanité, aura con­nu un triple­ment de la pop­u­la­tion mon­di­ale et aura dû lui faire face.

Brice Lalonde, acteur et témoin du mouvement écologique

Photo de Brice LALONDETout d’abord mil­i­tant étu­di­ant Brice Lalonde est notam­ment respon­s­able de l’antenne UNEF de la Sor­bonne en 1968. Très vite, il con­sid­ère que la sauve­g­arde de la planète est « la cause qui les dépasse toutes » et il mul­ti­plie les engage­ments : prési­dent de la sec­tion française de l’Association Les Amis de la Terre, prési­dent de l’Association d’opposition à la créa­tion d’une voie express rive gauche, directeur de la revue Le Sauvage, directeur de cam­pagne de René Dumont lors de la cam­pagne prési­den­tielle de 1974, etc.

En 1981, il est lui-même can­di­dat écol­o­giste à la prési­den­tielle. De mai 1988 à avril 1992, il est secré­taire d’État puis min­istre en charge de l’Environnement sous les gou­verne­ments Rocard et Cres­son. Au-delà de ses com­bats pour l’environnement et le développe­ment il milite auprès de François Mit­ter­rand pour faire de la cause écologique une forme de lead­er­ship plané­taire. En 1990, il crée Généra­tion Écolo­gie, par­ti qu’il dirige jusqu’en 2002.

Brice Lalonde mène dif­férentes mis­sions inter­na­tionales ; en 2007, il est nom­mé par Jean-Louis Bor­loo ambas­sadeur français pour les négo­ci­a­tions sur le change­ment cli­ma­tique, poste qu’il occupe jusqu’à fin 2010. Enfin, le 1er jan­vi­er 2011, Brice Lalonde devient, en binôme avec Eliz­a­beth Thomp­son, coor­di­na­teur exé­cu­tif de la con­férence Rio + 20 sous l’autorité de Ban Ki-moon, secré­taire général des Nations unies.

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