Comment le développement durable vint aux entreprises

Dossier : Environnement : premiers bilansMagazine N°669 Novembre 2011
Par Geneviève FERONE

REPÈRES

REPÈRES
Au cours des deux derniers siè­cles, en plein essor indus­triel, l’entreprise ne s’est pas réelle­ment souciée des ques­tions d’environnement. Tan­dis que la puis­sance tech­nologique domes­ti­quait des pans entiers d’une nature par­fois hos­tile, lim­i­tante, les plus grandes instal­la­tions indus­trielles ou infra­struc­tures de trans­port et d’énergie étaient con­stru­ites et ali­men­tées par un com­bustible fos­sile a pri­ori inépuis­able. Le mod­èle économique repo­sait (et repose encore) sur un mod­èle exten­sif, pré­da­teur de ressources et d’espace. Le monde, alors, sem­blait sans lim­ites et la nature indéfin­i­ment généreuse. Si l’environnement était une aimable occu­pa­tion de nat­u­ral­istes et de jar­diniers, les ques­tions sociales et les luttes de classe, en revanche, ont struc­turé en pro­fondeur toute l’histoire du XXe siècle.
À l’aube du XXIe siè­cle, une nou­velle prise de con­science émerge ; l’écologie est inscrite dans tous les agen­das poli­tiques et économiques. Le monde de l’entreprise est un car­refour obligé de cette trans­for­ma­tion. L’entreprise serait donc « verte », ou ne serait plus. Voire.

Quelles que soient nos opin­ions sur le monde de l’entreprise, une car­ac­téris­tique en par­ti­c­uli­er pour­rait rem­porter l’unanimité : sa capac­ité d’adaptation. Une entre­prise qui ne s’adapte pas meurt tout sim­ple­ment. Con­traintes régle­men­taires, marchés, tech­nolo­gies, attentes des con­som­ma­teurs, con­cur­rence, com­pé­tences, le change­ment est perpétuel.

Une entre­prise qui ne s’adapte pas meurt

En dépas­sant ce qui sonne comme un tru­isme, rien n’est plus instruc­tif que de se pencher sur les organ­i­grammes des entre­pris­es, de lire les titres et de com­pren­dre com­ment la car­togra­phie des fonc­tions et des ter­ri­toires évolue sous nos yeux.

Dans les années qua­tre-vingt, le « chef du per­son­nel » devient « directeur des ressources humaines », décen­nie qui voit éclore égale­ment les pre­miers « directeurs de la qual­ité ». Sur le front régalien de la finance, nou­velle dis­tri­b­u­tion des cartes dans la déten­tion du cap­i­tal oblige, les « directeurs des rela­tions avec les investis­seurs » font leur appari­tion pour répon­dre à des exi­gences accrues en matière de com­mu­ni­ca­tion et de trans­parence finan­cière. Les ques­tions rel­a­tives à la représen­ta­tion de la fonc­tion envi­ron­nement n’échappent pas à cette règle d’or de l’adaptation.

Zoom arrière et acte fondateur

L’accident de Bhopal, sur­venu en Inde en 1984, n’a pas vrai­ment mod­i­fié en pro­fondeur les moeurs de la sphère économique et finan­cière ; mais, s’il s’est déroulé loin des grands pays dévelop­pés, il a cer­taine­ment amor­cé une prise de con­science plané­taire sur les risques indus­triels et envi­ron­nemen­taux. Tch­er­nobyl a occa­sion­né en 1986 une sec­ousse beau­coup plus pro­fonde, mais cette cat­a­stro­phe est restée can­ton­née dans la sphère de la respon­s­abil­ité des opéra­teurs publics. Enfin, en 1989, le naufrage de l’Exxon Valdez en Alas­ka provoque un véri­ta­ble émoi dans la com­mu­nauté écologique nord-améri­caine. Plus inhab­ituel, pour la pre­mière fois, une coali­tion d’investisseurs se mobilise. Inti­t­ulée Coali­tion for Envi­ron­men­tal­ly Respon­si­ble Economies, elle regroupe des investis­seurs sociale­ment respon­s­ables et des organ­i­sa­tions mil­i­tantes issues de la société civile. Le CERES est né. Ce réseau améri­cain à but non lucratif édite un code de con­duite envi­ron­nemen­tal qui tient en dix points : fondé sur la pro­tec­tion de la biosphère, ce texte appelle à l’élimination pro­gres­sive de toute sub­stance pou­vant causer des dom­mages envi­ron­nemen­taux à l’air, à l’eau, à la Terre et à ses habitants.

Actionnaires et militants

La charte environnementale du CERES

Pro­tec­tion de la biosphère.
Util­i­sa­tion durable des ressources naturelles, qu’elles soient renou­ve­lables (eau, forêts, etc.), ou non renou­ve­lables (pét­role, gaz naturel, etc.).
Réduc­tion et recy­clage des déchets.
Con­ser­va­tion de l’énergie (amélio­ra­tion de l’efficacité énergé­tique et préférence accordée aux sources d’énergie renou­ve­lables et durables).
Réduc­tion des risques (notam­ment en matière de san­té, de sécu­rité et d’environnement, pour les employés et pour les com­mu­nautés avoisinantes).
Sécu­rité des pro­duits et ser­vices (y com­pris infor­ma­tion des con­som­ma­teurs sur l’utilisation et ses risques).
Répa­ra­tion de l’environnement (y com­pris com­pen­sa­tion des dom­mages causés à la Terre et aux personnes).
Infor­ma­tion du pub­lic (y com­pris dia­logue avec les par­ties prenantes).
Engage­ment de la direction.
Réal­i­sa­tion d’audits et pub­li­ca­tion de rap­ports (selon les principes édic­tés par le CERES dans les lignes direc­tri­ces de pro­duc­tion de CERES reports).

Forts de leur posi­tion dans le cap­i­tal d’Exxon, les fonds de pen­sion mobil­isés dans la coali­tion exi­gent qu’un mem­bre du con­seil d’administration et un mem­bre du comité exé­cu­tif soient nom­més en charge des sujets envi­ron­nemen­taux (ce qui n’était apparem­ment pas le cas dans la com­pag­nie pétrolière incriminée).

Les leviers étaient dans les mains des actionnaires

Il est à soulign­er que ni les organ­i­sa­tions non gou­verne­men­tales ni le lég­is­la­teur ne pou­vaient impos­er de telles créa­tions de postes. Les seuls leviers pos­si­bles étaient bel et bien dans les mains des action­naires devenus activistes et mil­i­tants de la cause écologique. C’est le point de départ d’une mobil­i­sa­tion qui allait s’institutionnaliser pro­gres­sive­ment et inspir­er les plus grandes avancées en matière envi­ron­nemen­tale, par­fois plus sûre­ment que les régle­men­ta­tions nationales.

Trois piliers

À l’occasion du som­met de la Terre de Rio en 1992, le CERES décide d’élargir son champ d’intervention. Il s’agit d’amener les entre­pris­es à fournir, out­re les don­nées économiques tra­di­tion­nelles, des infor­ma­tions envi­ron­nemen­tales mais aus­si sociales. D’une dimen­sion envi­ron­nemen­tale, la sen­si­bil­i­sa­tion embrasse désor­mais les trois piliers du développe­ment durable.

Le printemps des codes de bonne conduite

La suite est mieux con­nue. En 1997, l’initiative nord-améri­caine devient mon­di­ale avec le rap­proche­ment du CERES avec le PNUE, Pro­gramme des Nations unies pour l’environnement. Les deux insti­tu­tions s’allient pour lancer le pro­jet GRI, Glob­al Report­ing Ini­tia­tive, dont les objec­tifs sont l’élaboration de lignes direc­tri­ces et la stan­dard­i­s­a­tion de normes pour la rédac­tion de rap­ports envi­ron­nemen­taux et soci­aux des­tinés plus spé­ciale­ment aux entre­pris­es du secteur indus­triel, mais qui se veu­lent applic­a­bles à d’autres secteurs et d’autres acteurs (pou­voirs publics, ONG, etc.). C’est le print­emps des codes de bonne con­duite, des principes directeurs et de l’éclosion de chartes vertes, bref de toute une prose qui proclame haut et fort les ver­tus envi­ron­nemen­tales des entre­pris­es engagées aux côtés de leurs par­ties prenantes. Le meilleur y côtoie le plus indi­gent, voire le plus men­songer. Cha­cun y recon­naî­tra les siens.

Alibi cosmétique ou virage stratégique ?

Chas­sé-croisé entre deux mil­lé­naires. L’environnement n’est plus un sujet de société porté par des col­lec­tifs de citoyens mil­i­tants et exaltés. Pris­es en tenaille entre des par­ties prenantes de plus en plus actives – le lég­is­la­teur, les investis­seurs sociale­ment respon­s­ables et les asso­ci­a­tions de con­som­ma­teurs ou de riverains –, les entre­pris­es doivent impéra­tive­ment s’adapter. En toile de fond, les enjeux liés au change­ment cli­ma­tique et à la sobriété énergé­tique appa­rais­sent pro­gres­sive­ment sur les radars. Les entre­pris­es les plus atten­tives peu­vent capter les sig­naux faibles.

L’invention du directeur « environnement »

Dans ce con­texte, les pre­miers directeurs « envi­ron­nement » sont nom­més, d’abord dans des entre­pris­es indus­trielles, lour­de­ment engagées dans la maîtrise de proces­sus et de risques poten­tielle­ment dan­gereux. Ils sont en majorité imprégnés de la cul­ture « qual­ité » qui a l’avantage de se fon­dre par­ti­c­ulière­ment bien dans la cul­ture « ingénieur » de ces maisons.

Vous savez faire de la qual­ité, vous vous occu­perez de l’environnement

Sou­vent, les deux titres sont cumulés sous un même cha­peau : puisque vous savez faire de la qual­ité, vous vous occu­perez bien aus­si de l’environnement. À l’inverse, dans les entre­pris­es ori­en­tées vers la grande con­som­ma­tion, l’environnement est moins une ques­tion de proces­sus indus­triel qu’un fil nar­ratif qui racon­te au client la belle his­toire verte du ser­vice ou du pro­duit con­coc­té à son inten­tion. La fonc­tion « envi­ron­nement » est alors, sans sur­prise, hébergée à la direc­tion de la com­mu­ni­ca­tion. Elle s’y trou­ve encore par­fois. Selon les secteurs, votre inter­locu­teur sera donc un solide ingénieur expéri­men­té, blanchi sous le har­nais des risques opéra­tionnels, ou une char­mante per­son­ne fraîche émoulue d’une école de communication.

Une figure imposée de la communication

Le poste direc­tion de l’environnement dans l’entreprise s’efface pro­gres­sive­ment au début des années 2000 au prof­it de celui du « développe­ment durable ». L’intensification des deman­des de report­ings envi­ron­nemen­taux et soci­aux de la part des agences de nota­tion extra-finan­cières qui opèrent sous man­dat de leurs clients, gérants de porte­feuilles et ana­lystes, et autres ONG engagées, va con­tribuer à péren­nis­er cette fonc­tion, la dot­er d’un bud­get en pro­pre et élargir sa base. C’est l’époque où fleuris­sent des rap­ports dédiés à l’environnement et au développe­ment durable qui devi­en­nent rapi­de­ment une fig­ure imposée de la com­mu­ni­ca­tion d’entreprise en plus du rap­port annuel. Ce rap­port est un cat­a­logue de bonnes pra­tiques qui per­met néan­moins à cer­taines entre­pris­es de met­tre en place des indi­ca­teurs de per­for­mance et de se dot­er d’outils de pilotage au-delà de la stricte sphère financière.

Comment peut-on être directeur du développement durable ?

La fonc­tion viv­ote prin­ci­pale­ment entre les direc­tions de la com­mu­ni­ca­tion, des rela­tions insti­tu­tion­nelles ou tech­niques, plus rarement auprès des direc­tions de la stratégie quand ces dernières existent.
La fonc­tion envi­ron­nement survit encore indépen­dam­ment du développe­ment durable au sein des indus­tries lour­des ; elle quitte pro­gres­sive­ment le champ de la qual­ité qui lui-même est absorbé par l’ingénierie et l’innovation. Les fonc­tions de directeurs de la RSE (respon­s­abil­ité sociale des entre­pris­es) com­men­cent à cou­vrir cer­tains champs des ressources humaines, de l’éthique et de la gouvernance.
On a du mal à retrou­ver ses mar­ques tant la géométrie de ces fonc­tions fluctue avec le temps, les modes et les humeurs. De fait, il est très dif­fi­cile de class­er la fonc­tion développe­ment durable dans l’organigramme d’une entre­prise. Il ne s’agit pas d’une fonc­tion régali­enne ou incon­tourn­able comme la direc­tion finan­cière ou la direc­tion des ressources humaines. Elle ne recou­vre pas une exper­tise par­ti­c­ulière ou une tech­nique ésotérique. Fonc­tion trans­ver­sale par excel­lence, elle a un rôle de coor­di­na­tion, d’animation, de représentation.
Elle finit par s’installer au milieu de l’échiquier fonc­tion­nel de l’entreprise sans toute­fois s’introduire dans les bas­tions financiers ou opéra­tionnels qui lui restent encore fer­més. C’est un peu de développe­ment durable qui se glisse alors, à dose homéopathique, dans les fonc­tions achats, recherche et inno­va­tion, mar­ket­ing, for­ma­tion, rela­tions publiques, ges­tion de clien­tèle et com­mu­ni­ca­tion, for­ma­tion, ressources humaines, etc.

Enjeu émergent

Le développe­ment durable n’est pas encore un sujet débat­tu dans les comités exé­cu­tifs des grands groupes, encore moins dans les con­seils d’administration, mais il s’impose lente­ment au rang des grands enjeux émer­gents aux­quels l’ensemble des acteurs économiques vont être con­fron­tés. Avec la général­i­sa­tion d’Internet qui boule­verse les cir­cuits d’information, les entre­pris­es pren­nent au moins la mesure d’un risque de répu­ta­tion tangible.

Au risque de l’overdose

Tran­si­tion énergé­tique, change­ment cli­ma­tique, équili­bre des écosys­tèmes, diver­sité, sol­i­dar­ité, éco-con­cep­tion, con­som­ma­tion respon­s­able, com­merce équitable, éco-quarti­er. En quelques années, nous sommes passés du silence au bruit. À tel point que l’overdose de développe­ment durable provoque des rejets pro­fonds (et durables aus­si) auprès de cer­tains esprits effrayés par cette vague verte bien pen­sante, empreinte de naïveté et pétrie de dogme. Pour­tant, le sujet ne s’efface pas. La ques­tion est de chang­er rad­i­cale­ment et rapi­de­ment la façon dont nos sociétés pro­duisent et con­som­ment. Il s’agit de jeter les fon­da­tions d’une nou­velle économie sobre en car­bone, sol­idaire et innovante.

Bienvenue dans la low carbone economy

Que gagne-t-on con­crète­ment avec le développe­ment durable ?
À vrai dire, rien de tan­gi­ble ni d’immédiat. Le développe­ment durable n’est ni un ali­bi de com­mu­ni­ca­tion ni une potion mag­ique com­mer­ciale, il porte les ger­mes de l’innovation et de l’exemplarité sur le long terme et pré­pare l’entreprise aux muta­tions engagées.

Tous les secteurs d’activité devront revoir leur copie, tester leur résilience et leurs fac­ultés d’adaptation face à la nou­velle donne. Il est temps d’ouvrir la boîte à idées, de réaf­firmer des valeurs com­munes et de con­stru­ire de la cohé­sion interne autour d’une vision partagée. Les directeurs du développe­ment durable devaient être au cœur de cette trans­for­ma­tion. Mais le développe­ment durable, com­bi­en de divi­sions ? Dans les faits, ils réalisent vite qu’ils n’ont ni moyens, ni légitim­ité, ni vis­i­bil­ité. Ils ne peu­vent être seuls à porter la vision du change­ment et à la met­tre en œuvre. Sauf à ce que les plus hautes instances de l’entreprise se mobilisent à leur tour.

Le sou­tien du prési­dent ou du directeur général est un préal­able absolu, mais insuff­isant. Si la vision se struc­ture, il existe sou­vent un hia­tus entre la parole portée par les instances dirigeantes et la réal­ité du ter­rain vécue par les opéra­tionnels. Ce fos­sé peut se com­pren­dre facile­ment. Le nez dans le guidon, les yeux rivés sur des casseroles dont il faut sur­veiller en per­ma­nence le niveau d’ébullition, pressés par l’atteinte d’objectifs économiques à court terme, ces col­lab­o­ra­teurs clés sont très mar­ginale­ment éval­ués sur des critères de per­for­mance sociale et environnementale.

Le développe­ment durable, com­bi­en de dividendes ?

Nous entrons dans une péri­ode de schiz­o­phrénie totale. Une par­tie de notre hémis­phère com­prend qu’il faut négoci­er un virage sur l’aile et assur­er la com­pat­i­bil­ité de notre mod­èle économique avec les ressources de la planète dans un souci d’équité sociale. Une autre par­tie ne peut tout sim­ple­ment pas se résoudre à une prise de risque trop grande et adopte une pos­ture de déni ou d’attente. Cela con­duit imman­quable­ment à repro­duire ce qui a été tou­jours fait, tout en essayant d’innover mod­este­ment à la marge et d’éviter les foudres des ana­lystes financiers, l’hostilité des troupes en interne et la désaf­fec­tion des clients. Une petite musique de fond s’installe insi­dieuse­ment : « Le développe­ment durable, com­bi­en de dividendes ?»

La transformation du modèle économique

Sachant que la moitié des habi­tants de la planète se lève le matin pour pro­duire et ven­dre quelque chose à l’autre moitié, il serait intéres­sant de pren­dre le pouls de ce fan­tas­tique marché que nous ani­mons tous ensem­ble, unis par un même désir de con­fort et de prospérité. Les clients, que veu­lent-ils ? Ils vivent dans le même monde que l’entreprise qui les sert et peu­vent en toute légitim­ité lui deman­der plus d’innovation, de trans­parence ou d’engagement. Il existe un risque non nég­lige­able qu’un com­mer­cial se retrou­ve face à un client devenu beau­coup mieux infor­mé que lui et qu’un site Inter­net, certes mal inten­tion­né, agite le chif­fon rouge du dénigrement.

Chiffons rouges

Le client vit aus­si dans un monde de plus en plus com­plexe et con­traint (ressources naturelles, finance­ment, etc.). Il deman­dera pro­gres­sive­ment des solu­tions à ses prob­lèmes. Il n’est pas prêt à pay­er plus cher. Les inno­va­tions en matière sociale et envi­ron­nemen­tale se fer­ont dans la durée, à coût con­stant. Nul eldo­ra­do à con­quérir grâce au développe­ment durable, mais une con­cur­rence à con­tenir et des marchés à renou­vel­er en permanence.

C’est à l’élaboration et à la dif­fu­sion d’un ADN com­mun que le directeur du développe­ment durable doit tra­vailler sans relâche. Le tra­vail ne se lim­ite pas à porter un corps de doc­trine, il faut aus­si que le vent de l’innovation souf­fle, dépas­sant les cli­vages entre les mod­ernes et les anciens, ces derniers ayant par­cou­ru la plus grande par­tie de leur vie pro­fes­sion­nelle sans ques­tion­ner un mod­èle économique fondé sur le vol­ume, et tou­jours plus de vol­ume. Même si, aujourd’hui, nous ten­tons d’explorer d’autres voies, telles que l’économie des usages ou de la fonc­tion­nal­ité, la boîte à out­ils et méth­odes du XXIe siè­cle est bien dégar­nie. La langue car­bone a certes fait une entrée incon­testée dans la compt­abil­ité des entre­pris­es, mais il est dif­fi­cile de s’engager dans un autre mod­èle con­tractuel quand on a été unique­ment tourné vers l’accroissement mécanique du vol­ume et de la pro­duc­tiv­ité. Para­doxale­ment, il faudrait renouer, pour le développe­ment durable, avec l’esprit de risque qui a ani­mé les pio­nniers du cap­i­tal­isme. Ils étaient avant tout des aven­turi­ers avant de devenir des ren­tiers : le risque ou la rente, il faut choisir. Difficile.

Hara-kiri, ou la fin de la fonction ?

Le risque ou la rente, il faut choisir

L’écologie présen­tée par cer­tains comme un nou­veau culte total­i­taire invi­tant à une com­mu­nion immé­di­ate et plané­taire heurte à l’évidence le cadre référen­tiel sur lequel s’est con­stru­ite notre civil­i­sa­tion actuelle. En com­para­i­son avec une économie exten­sive fondée sur une exploita­tion sans lim­ites des ressources disponibles, l’économie durable s’apparente à un vol de longue durée qui exige de lim­iter au min­i­mum les quan­tités embar­quées et de pro­longer au max­i­mum la durée d’autonomie. Dans ce but, il con­vient de ratio­nalis­er de nou­veaux sys­tèmes inter­con­nec­tés, d’optimiser la ges­tion des flux, d’adapter notre métab­o­lisme et d’inventer de nou­velles for­mules, pour alléger, avec intel­li­gence et effi­cac­ité, notre empreinte environnementale.

Soyons humbles, souples et curieux

L’ingénieur, Prométhée moderne
Le héros prométhéen qui som­meille au fond de chaque ingénieur domine la nature par ses con­nais­sances et sa ratio­nal­ité. Il défie les élé­ments et invite par son courage et son engage­ment au dépasse­ment de soi. Il est rad­i­cale­ment vent debout con­tre toute forme de pen­sée poli­tique­ment cor­recte et refuse toute com­pro­mis­sion avec des esprits pré­ten­du­ment plus cré­d­ules et malléables.

Les défis aux­quels nous devons répon­dre nous invi­tent autant à l’audace qu’à l’humilité et à la sol­i­dar­ité. Tant que nous n’aurons pas accep­té et inté­gré ces nou­velles dimen­sions d’échanges et d’interconnexions entre dif­férentes dis­ci­plines et com­mu­nautés d’acteurs, notre foi dans le pro­grès tech­nologique risque de rester une belle pen­sée mag­ique prométhéenne.

L’enjeu dépasse large­ment l’existence d’une sim­ple fonc­tion développe­ment durable dans l’entreprise. Autrement dit, penser développe­ment durable, c’est-à-dire con­juguer et déclin­er en trois dimen­sions com­plex­ité et rareté, devien­dra en quelque sorte la toile de fond uni­verselle de nos sociétés. En effet, s’agissant de l’environnement, le sujet ne s’efface pas, il s’institutionnalise, d’où l’impression trompeuse qu’il dis­paraît ou se banalise.

Un axe structurant

L’environnement est et restera un axe struc­turant de notre siè­cle. Dans l’entreprise, il reste un sujet de moyen et de long terme et se dif­fuse dans dif­férentes fonc­tions à parts égales ; il n’est plus la chas­se gardée des direc­tions tech­niques. A con­trario, les sujets soci­aux, économiques, vont pren­dre une acuité très forte dans les prochaines années en rai­son des crises récur­rentes et des sec­ouss­es qui vont partout met­tre à mal les poli­tiques de sol­i­dar­ité et de cohé­sion sociale. Il sera tou­jours plus urgent de garder son tra­vail et de nour­rir sa famille que de sauver la planète. Le pri­mat du social sur l’environnement sera alors accen­tué. L’ensemble de ces ques­tions va dif­fuser lente­ment dans les autres fonctions.

Que restera-il alors à la fonc­tion développe­ment durable ? Cet homme (ou cette femme) orchestre doit être à la fois ali­bi, cau­tion, exem­ple, fou du roi, souf­fre-douleur, aigu­il­lon, défricheur, expert, entraîneur, con­fesseur, gar­di­en de phare, représen­tant de com­merce – et bien sûr par­ler le car­bone couram­ment. Il cou­vre, dans un mag­nifique grand écart, un reg­istre cos­mé­tique, stratégique et opéra­tionnel très large. Quelle santé !

Fonctionner en mode durable

Finale­ment, la meilleure chose que nous pour­rions souhaiter à cette hon­or­able pro­fes­sion est tout sim­ple­ment de dis­paraître. Le souf­fle du développe­ment durable cir­culerait à tra­vers tout le corps de l’entreprise. Il fau­dra bien un jour que cha­cun puisse con­cevoir, con­stru­ire, compter, recruter, for­mer, man­ag­er en mode durable. Le développe­ment durable en entre­prise repose sur un équili­bre sub­til qui con­siste à con­va­in­cre sans chercher à con­ver­tir ni à durer.

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