Financer l’innovation dans le domaine de la santé

Dossier : Les biotechnologies, industries majeures du XXIe siècleMagazine N°642 Février 2009
Par Frédéric DESDOUITS (87)
Par Marie GEORGY (98)

REPÈRES

REPÈRES
Depuis 2000, le nom­bre de pro­duits phar­ma­ceu­tiques en phase ter­mi­nale de développe­ment a aug­men­té de près de 50 % dont une majorité vient désor­mais de petites struc­tures. Cette com­péti­tion, assor­tie de la pres­sion accrue des autorités de san­té sur les critères d’ap­pro­ba­tion d’un nou­veau médica­ment et sur les prix, fait forte­ment aug­menter l’in­vestisse­ment néces­saire au lance­ment d’un médica­ment sur le marché. En vingt ans, le coût total estimé pour le développe­ment d’un médica­ment a été mul­ti­plié par six pour dépass­er le mil­liard de dol­lars (source EFPIA).

Devenir leader en dix ans
Jean-Paul Clozel, fon­da­teur et PDG d’Acte­lion, a ouvert la Chaire d’in­no­va­tion tech­nologique du Col­lège de France en 2007 en déclarant : ” Mon inten­tion est d’ex­pli­quer com­ment il est pos­si­ble à par­tir d’un petit groupe de créer une société ” ; fort de son expéri­ence à Acte­lion conçue au sein d’un groupe de qua­tre per­son­nes et dev­enue en dix ans le leader européen de la biotech­nolo­gie et un des lead­ers mon­di­aux avec 1 400 employés. C’est donc pos­si­ble. Du groupe de qua­tre per­son­nes qui a créé Acte­lion, avec du savoir et une idée, jusqu’au groupe inter­na­tion­al et inté­gré de 1 400 per­son­nes, il y a de nom­breuses étapes et sou­vent plusieurs voies pos­si­bles à chaque embranche­ment. À chaque étape le risque est éval­ué dif­férem­ment, les investisse­ments néces­saires n’ont pas la même ampleur et, en con­séquence, les enjeux de valeur et de pou­voir sont différents.

La san­té est un besoin fon­da­men­tal dont la nature évolue rapi­de­ment dans les pays dévelop­pés et pour lequel la demande est forte dans les pays en crois­sance. La demande est presque sans lim­ite et ce secteur indus­triel restera un moteur économique impor­tant à moyen terme. Poussées par ce besoin et par l’a­vancée des con­nais­sances, les sociétés de sci­ences de la vie se livrent une com­péti­tion intense matéri­al­isée par plusieurs mil­liers d’en­tre­pris­es et un nom­bre crois­sant de pro­duits en développement.

Dans le con­texte économique de l’an­née 2009, les finance­ments sont dif­fi­ciles. Les entre­pre­neurs et leurs action­naires doivent éval­uer pré­cisé­ment leurs options, leur ” champ des pos­si­bles “. Mal­heureuse­ment la crise actuelle arrive juste après un regain d’in­térêt en Bourse pour les jeunes entre­pris­es entre fin 2006 et 2007 qui avait relancé l’ensem­ble de la chaîne du cap­i­tal-risque au fonds d’amorçage. L’in­no­va­tion reste présente et son finance­ment un enjeu impor­tant. Les indus­triels devront cer­taine­ment pren­dre une part plus impor­tante désormais.

De l’idée à la preuve de concept

Mal­gré la crise, l’innovation reste présente et son finance­ment un enjeu important

Tout com­mence donc avec une idée qu’il faut trans­former en pro­duit com­mer­cial­is­able. L’ob­jec­tif de cette phase d’amorçage est d’avoir les moyens de réu­nir les tal­ents autour du pro­jet et d’établir les étapes à franchir pour arriv­er à un deux­ième tour de finance­ment. Déjà à ce stade, une forte con­cur­rence existe entre les dif­férents projets.

Un amorçage difficile
Mal­gré les mesures que con­stituent la loi sur l’in­no­va­tion de 1999 et le décol­lage du cap­i­tal-risque observé en France depuis la deux­ième moitié des années qua­tre-vingt-dix, l’ac­tiv­ité d’amorçage est en fort ralen­tisse­ment en France et n’a représen­té que 2 à 3 % des investisse­ments du cap­i­tal-risque en 2006–2007 (source France Biotech).

Avant même la créa­tion juridique de l’en­tre­prise, les chercheurs vont valid­er leurs résul­tats sci­en­tifiques au sein de leur insti­tu­tion d’o­rig­ine. Cer­tains comptent d’ailleurs, pour faire émerg­er leur dossier, soit sur les nou­veaux dis­posi­tifs de finance­ment basés sur les appels à pro­jets (Agence nationale pour la recherche), soit sur les équipes internes de val­ori­sa­tion (Inserm Trans­fert). Les sub­ven­tions à la créa­tion d’en­tre­prise sont sou­vent clés pour réalis­er les pre­mières études de fais­abil­ité économique. Les acquis de ce pre­mier jalon sont var­iés : mat­u­ra­tion du savoir-faire, dépôt de brevets et clar­i­fi­ca­tion de la pro­priété intel­lectuelle avec le(s) laboratoire(s) d’o­rig­ine, élé­ments sur l’en­vi­ron­nement con­cur­ren­tiel, et plus large­ment un ensem­ble de con­tacts en rap­port avec son projet.


La san­té est un besoin fon­da­men­tal pour lequel la demande est sans limite.

Vient ensuite la phase d’amorçage pro­pre­ment dite, avec l’en­trée de parte­naires financiers, qui va per­me­t­tre d’ac­célér­er la trans­for­ma­tion de la sci­ence en pro­duit. Côté pub­lic, des dis­posi­tifs exis­tent tels que sub­ven­tions, mesures fis­cales ou statut de Jeune entre­prise inno­vante. Côté privé, les cap­i­taux vien­nent le plus sou­vent de fonds spé­cial­isés, voire de par­ti­c­uliers ou d’as­so­ci­a­tions et fon­da­tions (pour plus de détails voir le dossier sur ” le finance­ment de l’in­no­va­tion “, paru dans le dernier numéro de La Jaune et la Rouge).

Ces apports de fonds pro­pres pour des pro­jets nais­sants sont essen­tiels mais peu­vent être assor­tis d’un ensem­ble de claus­es demandées par les investis­seurs et qui ren­dent, par­fois, les pactes d’ac­tion­naires com­plex­es en par­ti­c­uli­er pour des créa­teurs plus sci­en­tifiques que financiers et sou­vent très sen­si­bles à la notion de contrôle.

Le niveau de risque étant très élevé à ce stade, la déci­sion d’in­vestisse­ment est fondée sur des critères de qual­ité sci­en­tifique du pro­jet et de l’équipe. Il est tenu compte surtout de la pro­priété intel­lectuelle et bien sûr des per­spec­tives com­mer­ciales. Les pre­miers parte­naires financiers appor­tent leur expéri­ence trans­ver­sale et ont un rôle clé dans la struc­tura­tion du projet.

Financer dans la durée

Les pre­mières étapes de finance­ment réussies, les pre­miers élé­ments de ” preuves de con­cept ” obtenus, la société est struc­turée, elle a des employés et com­mence à se pos­er le prob­lème de sa péren­nité. Il s’ag­it de chang­er alors de dimen­sion. Face à une entre­prise dev­enue plus vis­i­ble, la con­cur­rence est plus réac­tive et il n’est plus ques­tion de per­dre du temps. Les niveaux de finance­ment devi­en­nent aus­si plus impor­tants. Deux grandes pos­si­bil­ités, non exclu­sives, s’ou­vrent aux sociétés : trou­ver des cap­i­taux auprès d’in­vestis­seurs capa­bles de les soutenir à moyen terme (prin­ci­pale­ment les cap­i­taux risqueurs) ou établir un flux de revenus ou de cap­i­taux via des parte­nar­i­ats rémunérés (le plus sou­vent sous la forme de temps-homme autour d’un pro­jet encore très en amont) ou la vente d’actifs.

À ce stade, les paramètres économiques des pro­jets devi­en­nent essen­tiels pour trou­ver du finance­ment et l’en­tre­prise doit faire face à de nom­breux paramètres exogènes : con­cur­rence, antic­i­pa­tion de rup­tures tech­nologiques, etc. La notion de ” sociétés com­pa­ra­bles ” devient préémi­nente et la capac­ité de finance­ment dépend non seule­ment de la qual­ité du pro­jet mais aus­si de la stratégie d’in­vestisse­ment des fonds sol­lic­ités. Deux types de financeurs peu­vent inter­venir à ce stade : la sphère privée du cap­i­tal-risque et celle de l’ap­pel à l’é­pargne publique et aux fonds actions.

Quelques exem­ples
Innate Phar­ma, spé­cial­iste du sys­tème immu­ni­taire, a réus­si assez tôt à sign­er un accord majeur avec Novo Nordisk sur une par­tie de sa plate­forme tech­nologique. Gen­fit, spé­cial­iste des récep­teurs nucléaires, a signé plusieurs accords de recherche avec dif­férents indus­triels, dont Sanofi Aven­tis et Solvay, pour financer une grande par­tie de son développe­ment. Le ” tout cap­i­tal-risque ” existe aus­si comme, par exem­ple, la société Cere­nis, spé­cial­iste de l’athérosclérose, qui a levé env­i­ron 67 mil­lions d’eu­ros auprès des fonds d’investissement.

Trou­ver des liquidités
Les marchés publics ne sont plus une voie évi­dente de liq­uid­ités pour les action­naires privés. La désaf­fec­tion des marchés pour les ” petites valeurs ” des sci­ences de la vie se traduit non seule­ment par des val­ori­sa­tions sou­vent trop bass­es pour offrir un ren­de­ment suff­isant aux action­naires des derniers tours privés, mais aus­si trop peu de liq­uid­ités. À titre d’ex­em­ple, aux vol­umes moyens échangés sur les marchés en ce moment, il faudrait dix jours à un action­naire qui a 5 % du cap­i­tal de Sanofi Aven­tis pour sor­tir l’ensem­ble de ses titres, quinze jours pour Exon­Hit, cent vingt jours pour Cel­lec­tis et

trois cents jours pour Ipsogen.

Les sub­ven­tions à la créa­tion d’entreprise sont essen­tielles aux pre­mières études de fais­abil­ité économique

Le choix, entre ces deux voies dépend du niveau de val­ori­sa­tion anticipé et, pour les marchés publics, de l’éli­gi­bil­ité du dossier. Jusqu’au cycle récent de finance­ment, les marchés publics étaient envis­agés lorsque les besoins en cap­i­taux deve­naient trop impor­tants pour les investis­seurs privés. Mais la fron­tière a bougé entre ces deux univers en par­ti­c­uli­er depuis la créa­tion du marché Alternext.

Désor­mais, cer­taines cota­tions publiques se font sur peu de cap­i­taux lev­és et des val­ori­sa­tions rel­a­tive­ment faibles comme, par exem­ple, GenOway début 2007, avec une lev­ée de ” seule­ment ” 6 mil­lions d’eu­ros et une val­ori­sa­tion de 28 mil­lions d’eu­ros ou, dernière­ment, Ipso­gen qui a levé 12 mil­lions d’eu­ros sur une val­ori­sa­tion finale de 32 mil­lions d’eu­ros. A con­trario, les cap­i­taux risqueurs sont prêts à met­tre en place des finance­ments par­fois très impor­tants comme dans le cas de Cere­nis, cité plus haut.

Les marchés publics sont ver­sa­tiles et 2008 restera mar­quée comme l’une des années les plus dif­fi­ciles. Les entre­pris­es doivent donc se tourn­er vers les finance­ments privés mais qui ont, eux aus­si, forte­ment dimin­ué cette année. Ils restent d’un bon niveau par rap­port à l’his­toire récente et en par­ti­c­uli­er les niveaux d’in­vestisse­ments actuels sont encore au-dessus de ceux de 2006 en Europe.

Un besoin de soutien

Un rythme inégal
Les activ­ités de fusions-acqui­si­tions ont, comme les autres secteurs financiers, bais­sé en activ­ité en 2008, mais prin­ci­pale­ment dans le domaine des gross­es opéra­tions qui néces­si­tent sou­vent des mon­tages com­plex­es com­prenant de la dette. Pour les petites opéra­tions, l’in­térêt reste fort. Le rythme de sig­na­ture de nou­veaux accords de parte­nar­i­ats ou de développe­ment entre entre­pris­es n’a pas ralen­ti depuis 2006, tout comme les chiffres sur les trans­ac­tions de moins de 100 mil­lions d’euros.

Pour les créa­teurs et les investis­seurs, la valeur peut aus­si être réal­isée au tra­vers d’une vente des act­ifs ou de la société à un indus­triel qui en val­oris­era non seule­ment le poten­tiel économique mais aus­si stratégique. Les grands acteurs des sci­ences de la vie comptent sur l’in­no­va­tion ” hors-les-murs ” pour nour­rir leur crois­sance à la hau­teur des attentes de leurs pro­pres action­naires. Grâce à une forte tré­sorerie, ils devraient devenir une force d’en­traîne­ment crois­sante et pour­raient sup­pléer en par­tie au manque actuel de capitaux.

De plus en plus de trans­ac­tions se font sous une forme qui ressem­ble à des parte­nar­i­ats, c’est-à-dire qu’elles asso­cient le mon­tant du rachat de l’ensem­ble du cap­i­tal d’une entre­prise à la réal­i­sa­tion future de cer­taines étapes. L’ensem­ble de la valeur n’est donc réal­isé que si cer­tains résul­tats sont obtenus. En 2008, il est estimé qu’un quart des mon­tants totaux annon­cés lors des trans­ac­tions est con­di­tion­né à un suc­cès futur (source Bion­est Partners).

Voir émerger les jeunes entreprises

De plus en plus de trans­ac­tions se font sous une forme de partenariat

Si la sit­u­a­tion actuelle per­dure, les grands acteurs du secteur vont se retrou­ver dans une sit­u­a­tion à leur avan­tage pour négoci­er face aux petites entre­pris­es qui auront de la dif­fi­culté à trou­ver les finance­ments néces­saires pour con­serv­er leur indépen­dance. Même si les grands groupes recon­nais­sent la qual­ité et la moti­va­tion des petites struc­tures, la com­plex­ité de la ges­tion d’un trop grand nom­bre de parte­nar­i­ats lim­ite les ten­ta­tives qui lais­sent un grand degré d’au­tonomie aux parte­naires. Or, le ter­reau de ces jeunes entre­pris­es est la ressource prin­ci­pale de l’in­no­va­tion. Il est vital pour l’amélio­ra­tion à long terme de la prise en charge de la san­té. Il est néces­saire d’ac­croître la com­péti­tiv­ité des entre­pris­es de biotech­nolo­gies en France (déci­sion 69 du Rap­port de la Com­mis­sion pour la libéra­tion de la crois­sance française, sous la prési­dence de Jacques Attali).

Les ini­tia­tives nationales ou européennes pour le sou­tien de l’in­no­va­tion vont devenir des fac­teurs (encore) plus impor­tants pour voir émerg­er ces jeunes entre­pris­es en Europe et par­ti­c­ulière­ment en France plutôt qu’aux États-Unis ou en Asie. Créer un cli­mat prop­ice à la prise de risque et à l’in­no­va­tion, c’est possible. 

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