Financement de la recherche publique en Amérique du Nord

Dossier : Les X en Amérique du NordMagazine N°617 Septembre 2006
Par Harold OLLIVIER (96)

Introduction

Dans cet arti­cle, je m’at­tacherai dans un pre­mier temps à décrire le con­texte dans lequel s’ef­fectue la recherche en Amérique du Nord.

Ensuite, j’abor­derai la ques­tion du finance­ment de la recherche publique pro­pre­ment dite. Pour être pré­cis, je décrirai le rôle struc­turant des agences de finance­ment sur l’or­gan­i­sa­tion de la recherche tel que je l’ai observé.

Enfin, et parce que le choix d’un mode de finance­ment par­ti­c­uli­er n’est pas une fin en soi, mais seule­ment un moyen, j’es­saierai de dégager les points cru­ci­aux qui ont fait sa réussite.

Contexte

La recherche publique

Les acteurs de la recherche publique en Amérique du Nord peu­vent être classés en trois grandes caté­gories. Les pre­miers en nom­bre sont les uni­ver­sités, les sec­onds les lab­o­ra­toires nationaux et enfin les fon­da­tions ou insti­tuts de recherche. Les équipes de recherche qui les com­posent ont bien sûr comme pre­mier objec­tif l’ex­cel­lence sci­en­tifique de leurs travaux, ain­si que la pour­suite des objec­tifs globaux de ces insti­tu­tions. Pour les uni­ver­sités il s’ag­it d’une mis­sion d’é­d­u­ca­tion et de for­ma­tion, pour les lab­o­ra­toires nationaux d’une mis­sion d’in­térêt général dans des domaines comme la san­té ou le mil­i­taire et enfin pour les fon­da­tions de recherche cela peut s’é­ten­dre de l’in­for­ma­tion sci­en­tifique grand pub­lic à l’i­den­ti­fi­ca­tion de nou­veaux champs de recherche encore inexplorés.

Cepen­dant, aus­si dis­parate que peu­vent être leurs organ­i­sa­tions admin­is­tra­tives, ces dif­férents envi­ron­nements sont pour le chercheur éton­nam­ment sim­i­laires au regard du finance­ment des activ­ités de recherche. Cette sim­i­lar­ité s’ap­puie sur une sim­i­lar­ité des méth­odes pour obtenir les finance­ments, mais égale­ment sur une sim­i­lar­ité dans la façon de gér­er les fonds obtenus.

Financer qui, quoi et comment ?

En Amérique du Nord, à la dif­férence du mod­èle français, le finance­ment de l’ensem­ble des activ­ités sci­en­tifiques d’une équipe (quelle qu’en soit la taille) est du ressort du chef de l’équipe. Il est de sa respon­s­abil­ité de trou­ver et de gér­er les fonds néces­saires aux pro­jets qu’il entend men­er. Pour cela il s’adresse à des agences de finance­ment. Ce sont des entités indépen­dantes dont la seule voca­tion est de financer des pro­jets de recherche — de les sélec­tion­ner et d’en assur­er le suivi. Lorsque le terme générique d’équipe recou­vre un lab­o­ra­toire entier, ces dépens­es devront inclure la ges­tion des bâti­ments, l’achat de gros matériels expéri­men­taux mais surtout — c’est d’ailleurs ce qui con­stitue pour toutes les per­son­nes avec qui j’ai dis­cuté ce en quoi con­siste le finance­ment de la recherche — les salaires des chercheurs qui tra­vail­lent dans ce laboratoire.

Mais la ques­tion du finance­ment ne se pose pas unique­ment aux directeurs des très gros pro­jets. Un pro­fesseur nou­velle­ment recruté est égale­ment amené à chercher pour sa future équipe ses pro­pres sources de finance­ment. Cela lui per­me­t­tra d’as­sur­er le recrute­ment d’é­tu­di­ants et de sta­giaires ou encore l’achat de matériel infor­ma­tique. Au delà de ces deux exem­ples, on trou­ve bien sûr toutes les vari­a­tions pos­si­bles, du groupe de tra­vail aux réseaux de laboratoires.

Pour que le finance­ment soit accordé, il est néces­saire à la fois de pro­pos­er un pro­gramme ambitieux mais égale­ment de mon­tr­er que les per­son­nes impliquées ont les capac­ités à résoudre les prob­lèmes ren­con­trés. Le choix du finance­ment d’un pro­jet plutôt qu’un autre est bien sûr du ressort des agences con­cernées et dépend d’éventuels critères sup­plé­men­taires. Ces derniers peu­vent com­pren­dre par exem­ple la néces­sité d’avoir des parte­naires indus­triels avec lesquels la recherche s’effectue.

Mal­gré des dif­férences de poli­tique générale entre les agences, il est impor­tant de not­er que la procé­dure d’ob­ten­tion d’un finance­ment est assez homogène. Une éval­u­a­tion du pro­jet est effec­tuée par l’a­gence qui sol­licite l’avis de ses pro­pres experts mais surtout d’autres chercheurs dans le domaine (juge­ment par les pairs). Il leur est demandé de juger tout d’abord la qual­ité du con­tenu sci­en­tifique du pro­jet, mais égale­ment ses chances de réus­site au regard de la com­po­si­tion de l’équipe qui le pro­pose. Ceci a pour but de s’as­sur­er que l’équipe s’au­ra ori­en­ter ses actions pour par­venir à des résul­tats conclusifs.

La car­ac­téris­tique frap­pante de la recherche en Amérique du Nord est la sim­i­lar­ité de la ges­tion du finance­ment mal­gré une grande diver­sité de type d’in­sti­tu­tions. L’écras­ante majorité des finance­ments est accordée et gérée à par­tir du mod­èle établi par les agences indépen­dantes. Ceci sig­ni­fie que, sou­vent, les finance­ments internes accordés par les uni­ver­sités ou les lab­o­ra­toires nationaux à leurs pro­pres équipes s’ef­fectuent selon les mêmes stan­dards que s’il s’agis­sait des finance­ments accordés par une agence externe à l’in­sti­tu­tion. Par exem­ple, le Los Alam­os Nation­al Lab­o­ra­to­ry prélève sur son bud­get de fonc­tion­nement, dont le mon­tant est déter­miné par le Sénat, entre 3% et 8% afin de financer au tra­vers de deux pro­grammes — LDRD-DR et LDRD-ER1 — des pro­jets soutenus par des équipes allant de plusieurs dizaines de chercheurs à des groupes de tra­vail de seule­ment 2 ou 3 permanents.

Naturelle­ment, si la majorité du finance­ment est don­née aux équipes et non aux struc­tures qui les accueil­lent, le prob­lème du finance­ment de ces dernières doit être posé. En par­ti­c­uli­er, les uni­ver­sités comme les fon­da­tions de recherche ne béné­fi­cient en général pas de ressources suff­isantes pour pay­er l’en­tre­tien des bâti­ments, les per­son­nels admin­is­trat­ifs, etc.

La solu­tion uni­verselle­ment adop­tée est celle de “l’over­head”. C’est à dire du prélève­ment d’un pour­cent­age don­né du mon­tant de tous les con­trats obtenus par les chercheurs. Ce pour­cent­age varie suiv­ant les types de con­trats entre quelques pour­cents à plus de 40%. Il peut aus­si dépen­dre de la sur­face de locaux util­isés par les équipes concernées.

Et dans la pratique ?

L’or­gan­i­sa­tion et la façon de procéder des agences de finance­ment a un impact pro­fond sur l’or­gan­i­sa­tion du tra­vail de recherche des équipes. En fonc­tion des pri­or­ités affichées par cha­cune des agences de finance­ment et des dépens­es qu’elles per­me­t­tent de pren­dre en compte, s’opère d’abord un regroupe­ment des chercheurs autour d’un thème. Le résul­tat de cette phase informelle est la con­sti­tu­tion de petites équipes autour d’un pro­jet et dont les mem­bres vont peu à peu pré­cis­er les grandes lignes, les jalons et finale­ment le plan d’ac­tion détaillé.

En fonc­tion de ces infor­ma­tions, un véri­ta­ble dossier de finance­ment va pou­voir être con­sti­tué. Une fois que les mem­bres du pro­jet ont déter­miné la ou les agences aux­quelles ils vont s’adress­er, il faut met­tre en forme le pro­jet ini­tial, et éventuelle­ment le mod­i­fi­er légère­ment pour qu’il ren­tre dans le cadre des finance­ments accordés.

En fonc­tion du mon­tant demandé, une ou plusieurs phas­es d’ex­a­m­en du dossier com­men­cent. Dans tous les cas, elles impliquent un juge­ment de la valeur sci­en­tifique du dossier par les pairs. C’est l’élé­ment déter­mi­nant dans l’ac­cep­ta­tion des dossiers. L’ex­cel­lence sci­en­tifique étant acquise, sont ensuite pris en compte l’adéqua­tion du pro­jet à la poli­tique de l’a­gence ain­si que la qual­ité du man­age­ment du pro­jet. Un juge­ment sur ces deux derniers points est générale­ment demandé à des experts de l’a­gence elle-même, mais égale­ment aux pairs qui ont jugé la qual­ité sci­en­tifique du dossier.

Une fois le finance­ment accordé un suivi plus ou moins lourd est mis en place. Il com­prend presque tou­jours un rap­port sur l’ac­tiv­ité de l’an­née écoulée au regard des objec­tifs qui étaient affichés. Il peut aus­si être l’oc­ca­sion pour l’a­gence d’or­gan­is­er une con­férence sci­en­tifique afin d’animer les pro­jets qu’elle finance.

La fin de pro­jet requiert une éval­u­a­tion plus poussée : rap­port com­plet des travaux effec­tués ain­si que jus­ti­fi­ca­tion des dépens­es et de leur affec­ta­tion. Encore une fois, cette tâche incombe au chef de l’équipe. Si la mise en place d’un tel sys­tème est sou­vent dif­fi­cile la pre­mière fois, on en prend vite l’habi­tude et la tâche de ges­tion finit par s’al­léger. Le suc­cès d’un pro­jet est sub­or­don­né à l’ob­ten­tion de résul­tats con­clusifs — posi­tifs ou négat­ifs — qui donne lieu à un nou­v­el exa­m­en par les pairs. Il est égale­ment sub­or­don­né au respect des objec­tifs poli­tiques de l’a­gence. Ceci peut être de ren­forcer la dif­fu­sion sci­en­tifique à des­ti­na­tion du grand pub­lic ou encore la néces­sité d’ef­fectuer le tra­vail au tra­vers de col­lab­o­ra­tions avec des entreprises.

Ce qu’il faut retenir

Tout d’abord, ce qui m’a sem­blé être une dif­férence fon­da­men­tale avec le sys­tème français, c’est que le finance­ment est dirigé vers une paire équipe-pro­jet et non pas vers une struc­ture admin­is­tra­tive. Ensuite, les agences de finance­ment ont une très grande exper­tise de la façon de juger des pro­jets sci­en­tifiques. Pour cela elles font large­ment appel à la com­mu­nauté sci­en­tifique et font preuve d’un grand sérieux dans le proces­sus de déter­mi­na­tion de leurs choix de pro­jets. Elles acquièrent ain­si leur légitim­ité au sein du monde sci­en­tifique et agis­sent comme leurs porte-parole auprès des pou­voirs publics. Pour attein­dre ces objec­tifs, elles sont dotées de struc­tures de gou­ver­nance très actives. C’est la vision éclairée des indus­triels, sci­en­tifiques et représen­tants de l’ad­min­is­tra­tion qui déter­mine leurs poli­tiques sci­en­tifiques et assurent la con­ti­nu­ité de leurs actions.

Analyse

Comme je l’ai dit plus tôt, le choix d’une méthode de finance­ment de la recherche n’est pas un but en soi, mais seule­ment un moyen. L’ob­jec­tif final est celui de per­me­t­tre aux chercheurs de tra­vailler avec plus de moyens et, parce que l’in­no­va­tion est le pro­duit de la recherche et du développe­ment dans son ensem­ble, de favoris­er les trans­ferts tech­nologiques entre le monde académique et les industries.

Peut-on imput­er les réus­sites indus­trielles améri­caines dans les nou­velles tech­nolo­gies ou les Biotech­nolo­gies à une façon par­ti­c­ulière de financer la recherche publique~? Je pense que c’est en par­tie le cas pour les raisons que je vais main­tenant décrire.

Souplesse, confiance et responsabilités

Il peut être ten­tant de penser que con­fi­er la ges­tion du bud­get de fonc­tion­nement aux chefs des équipes est à la fois une perte de temps et une prise de risque si d’éventuels con­trôles sont effec­tués après coup. En pra­tique, cela sem­ble plutôt être le con­traire. En effet, la ges­tion directe par l’équipe de son bud­get lui offre une sou­p­lesse indis­pens­able aux activ­ités de recherche. Il faut sou­vent se réori­en­ter pour tenir compte des avancées les plus récentes et du tra­vail effec­tué par l’équipe.

Con­fi­er la ges­tion du bud­get à toute autre per­son­ne que le chef de l’équipe c’est se priv­er de sa capac­ité à faire des choix stratégiques visant à tir­er par­ti d’une ressource lim­itée. C’est la seule façon de faire coïn­cider à tout moment le but et les moyens. D’autre part, lorsque les fonds sont gérés glob­ale­ment par une struc­ture de recherche, se pose invari­able­ment la ques­tion de leur répar­ti­tion aux équipes. Cela requiert d’in­ter­minables négo­ci­a­tions bien plus con­som­ma­tri­ces de temps qu’une ges­tion directe.

Le sec­ond avan­tage man­i­feste d’une telle solu­tion est la pos­si­bil­ité qu’a une équipe d’af­fecter une par­tie de son bud­get au recrute­ment de nou­veaux mem­bres. En effet, le marché du tra­vail dans la recherche est par essence extrême­ment com­péti­tif. Les meilleurs chercheurs s’ar­rachent et font mon­ter les enchères entre uni­ver­sités. Une ges­tion de bud­get con­fiée aux struc­tures est sou­vent le meilleur moyen de ne jamais être en course pour le recrute­ment des meilleurs, surtout quand on prend con­science que les négo­ci­a­tions sont par­fois ter­minées en 15 jours à peine. L’autre avan­tage indé­ni­able d’une telle solu­tion est qu’il donne l’en­tière respon­s­abil­ité du recrute­ment au chercheur qui embauche et qui va tra­vailler avec le can­di­dat. On évite donc les recrute­ments effec­tués par des comités et qui aboutis­sent sou­vent au choix d’un can­di­dat sans que le chef de l’équipe ou du lab­o­ra­toire con­cerné puisse par­ticiper aux délibéra­tions. Il en est de même, mais dans une autre mesure, pour les étu­di­ants. Le com­plé­ment financier qui peut-être ver­sé aux étu­di­ants selon leur qual­ité en plus de leur bourse per­met d’at­tir­er les meilleurs can­di­dats nationaux et internationaux.

En d’autres ter­mes, les chefs des équipes ont la capac­ité de gér­er leur bud­get. Ils sont les seuls à savoir quels choix stratégiques ils doivent faire au regard d’un bud­get lim­ité, que ce soit pour un recrute­ment ou l’en­gage­ment dans une nou­velle voie néces­si­tant un investisse­ment lourd en matériel. La con­fi­ance qui leur est accordée per­met la réac­tiv­ité indis­pens­able pour men­er à bien les mis­sions qu’ils entreprennent.

Une meilleure visibilité

S’il y a bien un domaine dans lequel la glob­al­i­sa­tion est effec­tive c’est celui de la recherche. Tous les chercheurs tra­vail­lent en temps réel et les col­lab­o­ra­tions inter­na­tionales sont le quo­ti­di­en. Pré­ten­dre ignor­er cet état de fait n’est sim­ple­ment pas pos­si­ble. La recherche, c’est trou­ver la vérité et dans ces con­di­tions seul celui qui y arrive en pre­mier gagne. Tous les out­ils per­me­t­tant de pro­gress­er plus vite et plus effi­cace­ment doivent donc être mis en place.

A ce jeu là la flex­i­bil­ité du finance­ment et surtout la clair­voy­ance des grandes ori­en­ta­tions sci­en­tifiques ne peut tout sim­ple­ment pas être le fait d’une poli­tique cen­trale de l’E­tat. C’est pour cela que les agences de finance­ment ont été crées avec des statuts qui leurs con­fèrent sou­vent une grande autonomie et une grande sta­bil­ité face au pou­voir poli­tique. Elles doivent aus­si être libres de recruter et de gér­er les per­son­nels qu’elles emploient pour juger de la qual­ité et du suivi des dossiers. A cette fin, elles recru­tent sou­vent d’ex­cel­lents experts afin de s’a­juster à l’ex­cel­lence qui est la norme dans les domaines scientifiques.

Il est égale­ment intéres­sant de soulign­er que le sys­tème de finance­ment par de grandes agences n’est pas fon­da­men­tale­ment dif­férent de ce qui est la norme dans l’in­dus­trie. Il requiert la mise en place de bonnes pra­tiques : l’or­gan­i­sa­tion des moyens autour d’un but déter­miné, la mesure de l’a­vance­ment et finale­ment l’é­val­u­a­tion du résul­tat obtenu et des caus­es du suc­cès ou de l’échec. Le sys­tème con­duit naturelle­ment à la for­ma­tion d’ensem­bles cohérents de moyens et de ressources humaines autour d’un but claire­ment identifié.

Perimeter Institute for Theorical PhysicsLe Perime­ter Insti­tute for The­o­ret­i­cal Physics a été créé offi­cielle­ment en 2000 à par­tir de dons privés (env­i­ron CAD120 M).
Son bud­get de fonc­tion­nement est prin­ci­pale­ment tiré des agences de finance­ment cana­di­ennes en par­ti­c­uli­er NSERC/CRSNG, Cana­da Fund for Inno­va­tion, Ontario Research and Devel­op­ment Chal­lenge Fund, Ontario Inno­va­tion Trust. La rapid­ité avec laque­lle les investisse­ments ont été déblo­qués pour accom­pa­g­n­er le don ini­tial a per­mis de faire du Perime­ter Insti­tute en 4 années de fonc­tion­nement opéra­tionnelles seule­ment l’un des meilleurs insti­tuts de physique théorique.

Cela ne sup­pose pas que le but recher­ché ait des appli­ca­tions pra­tiques : com­pren­dre l’émer­gence de la mécanique clas­sique à par­tir du for­mal­isme quan­tique — c’est ce qui m’a occupé pen­dant une par­tie de ma thèse — n’a pas vrai­ment d’ap­pli­ca­tions indus­trielles, mais c’est un objec­tif clair et vers lequel on peut mesur­er son avance­ment. En out­re, ce tra­vail de mise en forme évite le découpage arti­fi­ciel par type de ressource, la dilu­tion des respon­s­abil­ités et surtout la dilu­tion du pou­voir de déci­sion. Tout cela est resti­tué aux chefs des équipes, ils assu­ment leur rôle pleine­ment et sou­vent avec succès.

De fait, le finance­ment nord-améri­cain de la recherche per­met une meilleure vis­i­bil­ité et une meilleure appré­ci­a­tion par l’in­dus­trie de ce qu’est le méti­er de chercheur. Un chef d’équipe ou de lab­o­ra­toire c’est un “project-man­ag­er” en puis­sance. Cette équiv­a­lence n’est pas tant le fait du sys­tème de finance­ment, mais elle est ren­for­cée et surtout claire­ment appar­ente du fait de l’or­gan­i­sa­tion autour de la paire équipe-pro­jet et des respon­s­abil­ités finan­cières qui incombent au chef de l’équipe. Cette sim­i­lar­ité favorise de fait grande­ment les trans­ferts tech­nologiques. L’ap­pré­ci­a­tion réciproque du tra­vail réal­isé par la recherche publique et par les groupes indus­triels rend pos­si­ble les recrute­ments des per­son­nes ayant les con­nais­sances tech­niques recher­chées par les entreprises.

Cela per­met une bien plus grande effi­cac­ité que le pas­sage de con­trats de sous-trai­tance. Dans ce dernier cas les risques d’in­com­préhen­sion sont accrus et surtout cela aboutit à détourn­er le lab­o­ra­toire con­cerné de son but ini­tial : celui de faire de la recherche de pointe et de for­mer des étu­di­ants et des post-doc­tor­ants. Dans le cas où les col­lab­o­ra­tions — ou la co-trai­tance — s’im­posent, le sys­tème nord-améri­cain facilite la ges­tion partagée puisque dans les deux cas les organ­i­sa­tions admin­is­tra­tives et déci­sion­nelles sont proches.

Aider la recherche c’est aider à créer des entreprises

Les con­traintes et les pra­tiques imposées par le mod­èle nord-améri­cain de finance­ment de la recherche n’ont pas comme seules con­séquences l’aug­men­ta­tion de la flex­i­bil­ité accordée aux équipes et le trans­fert tech­nologique. Elles per­me­t­tent égale­ment de pré­par­er ceux qui le souhait­ent à fonder leur entre­prise. La pra­tique acquise dans la présen­ta­tion de pro­jets à des audi­ences var­iées se révèle utile lorsqu’il s’ag­it de présen­ter claire­ment une nou­velle tech­nolo­gie à des investis­seurs poten­tiels. Les com­pé­tences de man­age­ment que met en exer­gue le finance­ment de la recherche ras­surent les ban­ques comme les cap­i­taux risques. La com­mu­ni­ca­tion avec les anciens chercheurs du pub­lic se fait bien car les deux mon­des ont appris à se con­naître et à appréhen­der la cul­ture de l’autre.

A faire, à ne pas faire : des enseignements pour le cas français

Plusieurs points me sem­blent par­ti­c­ulière­ment impor­tants pour per­me­t­tre à la nou­velle agence française de réus­sir sa mis­sion. Je vais en détailler quelques uns.

Gouvernance

Les agences de finance­ment nord-améri­caines ont su acquérir une légitim­ité auprès des sci­en­tifiques. Lorsque la NSA, l’ARO ou la NSERC2 finan­cent un pro­jet académique et envoie ses experts l’ex­am­in­er, certes on par­le bud­get, mais surtout on par­le sci­ence. Les entre­vues sont de haut niveau et extrême­ment bien pré­parées. Ceci résulte d’une con­stance dans la qual­ité du recrute­ment des experts et dans l’étab­lisse­ment d’une poli­tique à long terme engagée par les admin­is­tra­teurs et les dirigeants d’une agence.

Cette gou­ver­nance doit égale­ment assur­er son indépen­dance face au pou­voir poli­tique. Ceci est d’au­tant plus impor­tant qu’elle est sou­vent amenée à jouer auprès du gou­verne­ment un rôle de con­seil sur des ques­tions sci­en­tifiques. Trop proche du pou­voir poli­tique, elle perd sa sta­bil­ité et est sou­vent soumise à des change­ments irra­tionnels de poli­tique sci­en­tifique qui sont nuis­i­bles à l’a­vancée des travaux qu’elle promeut.

Sous-traitance

Les agences doivent égale­ment avoir comme objec­tif de main­tenir une poli­tique sci­en­tifique claire et dont le but prin­ci­pal est l’ex­cel­lence sci­en­tifique. Même si l’or­gan­i­sa­tion du finance­ment de la recherche peut avoir des con­séquences en terme de trans­fert tech­nologique ou de créa­tion d’en­tre­pris­es, cela ne doit pas être la pri­or­ité. A cet égard on peut citer l’ex­em­ple de la NSERC cana­di­enne. Cette agence se focalise sur les pro­jets soutenus par l’in­dus­trie et des lab­o­ra­toires publics. Ce type de con­trainte com­prend le risque de favoris­er l’ex­ter­nal­i­sa­tion de la recherche des indus­tries vers les universités.

Pour éviter cela, la NSERC sélec­tionne les pro­jets unique­ment en fonc­tion de leur valeur sci­en­tifique. Ain­si ne sont financés que des pro­jets qui auraient pu être con­duits par les lab­o­ra­toires publics seuls. L’a­van­tage de telles col­lab­o­ra­tions pour les entre­pris­es est l’ac­qui­si­tion de con­nais­sances de haut niveau les aidant non pas à résoudre des prob­lèmes tech­nologiques actuels mais à inven­ter les tech­nolo­gies de demain. A la charge des entre­pris­es d’ef­fectuer le développe­ment en vue de la com­mer­cial­i­sa­tion ; à la charge des uni­ver­sités de for­mer les doc­tor­ants et les post-doc qui plus tard pour­ront être embauchés dans ces entreprises.

Une certaine lourdeur

Avec la mul­ti­plic­ité des agences de finance­ment — fédérales, d’é­tat, provin­ciales, par­fois régionales — il y a un risque de pass­er son temps à chas­s­er les finance­ments. Pour cela, les Cana­di­ens utilisent très régulière­ment le sys­tème du match­ing - ou co-investisse­ment. Les plus petites agences pub­lient leur poli­tique générale et étab­lis­sent des con­di­tions générales d’éli­gi­bil­ité à leurs pro­grammes. Le choix de financer un pro­jet ou non est sim­ple­ment sub­or­don­né à l’ob­ten­tion d’un autre finance­ment de la part d’une agence plus impor­tante. Les agences se font donc con­fi­ance et allè­gent ain­si les procédures.

Un modèle de financement c’est un outil au service d’un choix politique

Il aurait été pos­si­ble de pour­suiv­re la liste des avan­tages con­cer­nant le mod­èle nord-améri­cain de finance­ment de la recherche et des recom­man­da­tions pour la mise en place du nou­veau sys­tème français. Je crois que ces quelques exem­ples sont suff­isants pour démon­tr­er qu’il s’ag­it d’un sys­tème prag­ma­tique et qui fonc­tionne plutôt bien. Ceci est dû en grande par­tie à la vision poli­tique des gens qui l’ont mis en place et qui ont su l’entretenir.

En ce qui con­cerne la sit­u­a­tion française, nous avons les moyens grâce à l’ANR de met­tre en place pro­gres­sive­ment cer­tains des élé­ments posi­tifs du dis­posi­tif nord-améri­cain. Certes, tout ne devrait pas être trans­posé directe­ment car les habi­tudes sont dif­férentes et l’or­gan­i­sa­tion actuelle a ses spé­ci­ficités et ses avantages.

Il faut main­tenant que l’a­gence acquière son autonomie, sa sta­bil­ité et surtout sa légitim­ité. Qu’elle puisse aider les chercheurs à se libér­er des lour­deurs admin­is­tra­tives actuelles en prof­i­tant des expéri­ences réussies des pro­grammes de finance­ment tels que les Actions Con­certées Ini­tia­tive et les Réseaux de Recherche et d’In­no­va­tion Technologique.

* *

Je tiens à remerci­er T. Brzus­tows­ki (Insti­tute for Quan­tum Com­put­ing — anci­en­nement prési­dent de la NSERC), H. Bur­ton (Perime­ter Insti­tute), R. Laflamme (IQC / PI), A. New­ton (IQC), S Scan­lan (PI) et W. Zurek (Los Alam­os Nation­al Lab­o­ra­to­ry) pour les dis­cus­sions que j’ai eues avec eux sur le sujet du finance­ment et du man­age­ment de la recherche.

Harold Ollivi­er, Perime­ter Insti­tute for The­o­ret­i­cal Physics, 31 Car­o­line St N, Water­loo, ON N2L 2Y5, Canada.
Adresse actuelle :
Bureau des poli­tiques d’in­no­va­tion et de technologie,
Direc­tion générale des entre­pris­es, Min­istère de l’é­conomie des finances et de l’in­dus­trie, 12 rue Vil­liot, F‑75012 Paris.

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1. Lab­o­ra­to­ry Direct­ed Research and Devel­op­ment — Direct­ed Research et Explorato­ry Research.
2. Nation­al Secu­ri­ty Agency, Army Research Office et Nation­al Sci­ence and Engi­neer­ing Research Coun­cil ou encore Con­seil nation­al de la recherche en sci­ences naturelles et en génie (CRSNG).

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