Finance quantitative à l’échelle de la microstructure : trading algorithmique et régulation

Finance quantitative à l’échelle de la microstructure : trading algorithmique et régulation

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°775 Mai 2022
Par Bastien BALDACCI (D2021)

La finance de mar­ché avant la crise finan­cière de 2008, qui repo­sait essen­tiel­le­ment sur la créa­tion de pro­duits finan­ciers com­plexes via des outils mathé­ma­tiques, a lais­sé pro­gres­si­ve­ment la place à des acti­vi­tés de mar­ché dites de mar­ket making et d’arbitrage sys­té­ma­tique (où des algo­rithmes exé­cutent un grand nombre d’ordres d’achat et de vente). Les mar­ket makers, s’ils per­mettent de flui­di­fier les tran­sac­tions finan­cières, ont besoin d’algorithmes de tra­ding inno­vants pour cap­ter de nou­veaux mar­chés et réa­li­ser des arbi­trages per­for­mants. Ces évo­lu­tions influencent le fonc­tion­ne­ment des pla­te­formes de tra­ding, qui doivent s’adapter pour atti­rer les tran­sac­tions des par­ti­ci­pants de marché.

Pour com­prendre le rôle du mar­ket maker, voi­ci quelques analogies.

Les dix dernières années ont vu l’accélération de l’utilisation d’algorithmes de trading sur les marchés financiers

Ima­gi­nons un petit vil­lage de Corse, spé­cia­li­sé dans la pro­duc­tion de clé­men­tines. Sur la place du mar­ché, plu­sieurs pro­duc­teurs viennent vendre leurs clé­men­tines à leur stand. Si les clé­men­tines sont toutes de qua­li­té équi­va­lente, ou que la dif­fé­rence est indis­cer­nable pour le client, alors elles devraient se vendre au même prix. Or, sur ce mar­ché, chaque pro­duc­teur a des clé­men­tines de même qua­li­té, mais les vend à des prix plus ou moins éle­vés, fai­sant fi des prix pra­ti­qués par la concurrence.

Un pro­duc­teur qui vend des clé­men­tines à un prix éle­vé, peut d’ailleurs déci­der d’aller chez l’un de ses concur­rents pra­ti­quant un prix plus concur­ren­tiel, lui ache­ter une par­tie de son stock, et les mettre en vente sur son propre éta­lage, à un prix plus éle­vé. Cette stra­té­gie ne lui a rien coû­té, si ce n’est la capa­ci­té d’achat ini­tiale du stock de clé­men­tines de son concur­rent, et génère un pro­fit cer­tain (à sup­po­ser que le stock s’écoule effectivement).

Nous venons ici de décrire la ver­sion la plus simple d’un arbi­trage. Dans cette ana­lo­gie, le mar­ket maker (par­ti­ci­pants de mar­chés en fran­çais) est le pro­duc­teur qui achète moins cher à son concur­rent pour vendre plus cher ensuite et effec­tuer un pro­fit. Cepen­dant, échan­ger des pro­duits sur des mar­chés finan­ciers n’est pas tou­jours aus­si simple que d’échanger des clé­men­tines sur un mar­ché, notam­ment à cause des coûts de tran­sac­tion à prendre en compte pour réa­li­ser ces stra­té­gies d’arbitrage et du risque d’inventaire que nous allons main­te­nant illustrer.

Repre­nons notre exemple du mar­ché de clé­men­tines, mais consi­dé­rons non pas un mais deux vil­lages. L’un, sur la côte, accueille un grand nombre de tou­ristes et pra­tique donc des prix en moyenne éle­vés, tan­dis que l’autre, plus mon­ta­gneux, est moins fré­quen­té et offre des prix plus rai­son­nables. Le ven­deur de clé­men­tines du vil­lage côtier peut pra­ti­quer la même stra­té­gie que pré­cé­dem­ment, mais cette fois-ci en allant ache­ter un stock moins oné­reux dans le vil­lage peu fré­quen­té. Cette fois, le ven­deur doit prendre en compte un élé­ment sup­plé­men­taire pour assu­rer la via­bi­li­té de sa stra­té­gie : le coût du tra­jet d’un vil­lage à l’autre pour ache­ter les clé­men­tines qu’il va ensuite revendre à un prix plus éle­vé. En effet, sa stra­té­gie d’arbitrage ne demeure pro­fi­table que si le coût de l’aller-retour entre les deux vil­lages est infé­rieur à l’écart entre le prix de vente des clé­men­tines sur cha­cun des mar­chés. Ces coûts de tran­sac­tion sont géné­ra­le­ment le prin­ci­pal frein à la mise en place de stra­té­gies d’arbitrage. Un autre élé­ment majeur à prendre en compte est le risque dit d’inventaire. Dans tous les exemples pré­cé­dents, notre mar­ket maker de clé­men­tines réa­lise un gain à coup sûr car nous avons sup­po­sé qu’il est cer­tain d’écouler son stock de clé­men­tines ache­té à bas prix. Mais que se passe-t-il si un reflux de tou­ristes empêche notre pro­duc­teur d’écouler son stock ? II se retrouve alors avec de nom­breuses clé­men­tines, ache­tées certes à bas prix, mais qui vont pour­rir et dont il devra se débar­ras­ser, entraî­nant ain­si une perte. II ne suf­fit donc pas pour un mar­ket mar­ker d’acheter à bas prix, encore faut-il qu’il puisse avoir une faible incer­ti­tude sur la revente de son stock.

Les mar­chés finan­ciers sont des repro­duc­tions à plus grande échelle de ces achats et reventes de clé­men­tines, à quelques dif­fé­rences près. Pre­miè­re­ment, les mar­chés où de grands volumes sont ache­tés et ven­dus chaque jour (les mar­chés d’actions par exemple) offrent très peu d’arbitrages : la dif­fé­rence entre le prix d’achat et de vente sur les dif­fé­rentes pla­te­formes est en géné­ral très faible, et les méthodes et stra­té­gies pour effec­tuer des pro­fits sont com­plexes à développer.

Deuxiè­me­ment, dans notre exemple de clé­men­tines, il n’y a pas de trans­mis­sion d’information : l’achat par notre mar­ket maker d’un stock de clé­men­tines à bas prix n’a aucune consé­quence sur ses prix ou ceux de ses concur­rents. Or, sur les mar­chés finan­ciers, un achat aura pour effet la hausse glo­bale des prix des clé­men­tines. Notre mar­ket maker achè­te­rait en réa­li­té plus cher, ce qui dimi­nue­rait son béné­fice à la revente.

Enfin, un achat ou une vente de clé­men­tines dans un des vil­lages n’entraîne pas de paie­ment de com­mis­sion, ce qui n’est pas le cas sur les pla­te­formes de tra­ding, appe­lées éga­le­ment bourses d’échange. Chaque tran­sac­tion entraîne le paie­ment d’une com­mis­sion, cor­res­pon­dant à une frac­tion du mon­tant du volume échan­gé. Dans notre vil­lage de Corse, cela revien­drait à ce que notre maraî­cher paye une com­mis­sion à l’organisateur du mar­ché du vil­lage lors de chaque achat ou vente de clémentines.

Afin d’assurer le pas­sage à l’échelle et de gérer un plus grand nombre d’opérations, cer­taines tran­sac­tions ont été auto­ma­ti­sées. Il est d’ailleurs cou­rant d’entendre que « les machines rem­placent les humains » sur les mar­chés finan­ciers. Sur les mar­chés finan­ciers, tous les ache­teurs et les reven­deurs de clé­men­tines, de même que les orga­ni­sa­teurs des mar­chés, seraient des algo­rithmes exé­cu­tant des tâches de façon auto­ma­tique et à très grande échelle. Cette asser­tion se doit d’être for­te­ment nuan­cée. En effet, tous les mar­chés n’ont pas le même degré de com­plexi­té, donc de poten­tiel d’automatisation. Il est par exemple moins dif­fi­cile d’automatiser les mar­chés d’actions euro­péens ou amé­ri­cains, avec d’immenses volumes de tran­sac­tion, que des mar­chés de dette de pays émer­gents, plus com­plexes, plus vola­tils et avec un nombre de tran­sac­tion faible.

Au-delà de la com­plexi­té des mar­chés, il est sou­vent néces­saire d’ajuster mar­gi­na­le­ment les algo­rithmes de tra­ding, qui ne font en géné­ral qu’appliquer une série de règles pré­éta­blies. Par exemple, un algo­rithme sim­pli­fié d’arbitrage de clé­men­tines consis­te­rait à ache­ter dans le vil­lage mon­ta­gneux avant la sai­son esti­vale, pour revendre ensuite le stock entre juillet et août, lorsque l’affluence des tou­ristes est impor­tante. Or, dans un cas comme celui de l’été 2020, cette déci­sion auto­ma­tique se serait révé­lée désas­treuse pour le pro­fit du mar­ket maker. En l’absence de tou­ristes, il se serait retrou­vé avec un stock de clé­men­tines impos­sible à écou­ler. Il est donc sou­vent néces­saire d’ajuster, même mar­gi­na­le­ment, les algo­rithmes utilisés.

Les market makers doivent s’adapter et développer des algorithmes de trading innovants

Une notion intrin­sèque aux mar­chés, mais que nous n’avons pas encore décrite, est celle de contre­par­tie. Dans son expres­sion la plus simple, une contre­par­tie est tout sim­ple­ment un par­ti­ci­pant qui prend une posi­tion oppo­sée à la nôtre. Si l’on effec­tue une vente d’un actif, notre contre­par­tie est l’agent qui achète cet actif et réci­pro­que­ment, si l’on achète un actif notre contre­par­tie est l’agent qui nous le vend.

Sur les mar­chés finan­ciers, les mar­ket makers sont les contre­par­ties de la majo­ri­té des tran­sac­tions. Sans mar­ket maker, les tran­sac­tions sont beau­coup moins fluides. En effet, sur les mar­chés finan­ciers, lorsqu’un acteur décide d’acheter ou de vendre un pro­duit, il pour­rait ren­con­trer des dif­fi­cul­tés à trou­ver une contre­par­tie. Ce serait par exemple le cas d’un pro­duc­teur corse qui ne ven­drait ses clé­men­tines que par cagettes de 10 kg dans un vil­lage fré­quen­té par des tou­ristes. Afin de faci­li­ter l’écoulement du stock du pro­duc­teur et aug­men­ter les ventes, l’organisateur du mar­ché pour­rait char­ger un inter­mé­diaire (une « contre­par­tie ») d’acheter plu­sieurs lots à ce pro­duc­teur pour les revendre à l’unité, à un prix plus éle­vé, aux tou­ristes de passage.

Les mar­ket makers per­mettent donc de faci­li­ter et d’accélérer les tran­sac­tions. Ils portent constam­ment le risque d’inventaire et en échange achètent à l’une de leur contre­par­tie moins cher qu’ils ne revendent. Afin d’améliorer la ren­ta­bi­li­té des mar­kets makers, il est néces­saire de déve­lop­per des algo­rithmes de tra­ding inno­vants pour conqué­rir de nou­veaux marchés.

Ces algo­rithmes inno­vants doivent avoir plu­sieurs carac­té­ris­tiques : la rapi­di­té, la faci­li­té d’utilisation et la capa­ci­té à prendre en compte plu­sieurs pro­duits. La rapi­di­té d’abord car, contrai­re­ment aux clé­men­tines, un seul actif finan­cier peut être échan­gé plu­sieurs dizaines de mil­liers de fois dans une seule jour­née. Il faut donc que les algo­rithmes aient une haute rapi­di­té d’exécution, afin de pou­voir gérer ce flux important.

Les algo­rithmes de tra­ding doivent éga­le­ment être faciles d’utilisation. Il est en effet plus effi­cace de pous­ser des stra­té­gies simples au maxi­mum de leurs pos­si­bi­li­tés, que d’utiliser des outils très com­plexes, certes théo­ri­que­ment plus effi­caces mais dont la mise en place est bien plus retorse.

Enfin, et c’est un élé­ment capi­tal, les mar­ket makers ne gèrent pas un seul, mais plu­sieurs mil­liers de pro­duits finan­ciers simul­ta­né­ment ce qui impacte les prix pro­po­sés. Si le mar­ket maker de clé­men­tines agit éga­le­ment sur les oranges, alors il devra ajus­ter l’ensemble de ses prix. Si la demande de clé­men­tines ou d’oranges aug­mente, il ajus­te­ra l’ensemble des prix à la hausse et inver­se­ment si la demande dimi­nue. En effet, comme les ten­dances à l’achat et à la vente de ces deux fruits sem­blables sont for­te­ment cor­ré­lées, les prix pra­ti­qués le sont éga­le­ment. Il en est de même sur les mar­chés où un mar­ket maker peut gérer plu­sieurs cen­taines d’actions dans dif­fé­rents pays.

Les bourses d’échange doivent mettre en place des mécanismes innovants pour augmenter les volumes de transactions

Les bourses d’échange, qui cen­tra­lisent les tran­sac­tions, ont un objec­tif géné­ral qui est d’accroître le volumes d’achat et de vente sur leurs pla­te­formes. À la manière d’un orga­ni­sa­teur de mar­ché de vil­lage, les pla­te­formes doivent mettre en place des méca­nismes d’incitation innovants.

Aug­men­ter le volume d’échange peut se faire en dimi­nuant le spread, c’est-à-dire l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente d’un actif. Plus le spread est faible, plus il est aisé d’effectuer un achat ou une vente car il y a peu de risques d’être blo­qué sur sa posi­tion en subis­sant le risque d’inventaire.

Repar­tons un ins­tant en Corse pour illus­trer le concept du spread. En fonc­tion de la sai­son, les clé­men­tines ne s’échangent pas tou­jours au même prix. Ain­si, un mar­ket maker pour­ra ache­ter des clé­men­tines à un prix faible en juin avant la sai­son tou­ris­tique (où le prix oscille autour de 3€/kg), pour les revendre plus cher, lorsque les tou­ristes fré­quentent les mar­chés (où le prix atteint par­fois, mais rare­ment, les 4€/kg).

Un mar­ket maker qui pro­pose un spread faible (par exemple, il pro­pose d’acheter du stock à 2€50/kg à des pro­duc­teurs, pour le revendre à 3€50/kg à des maraî­chers) trou­ve­ra plus faci­le­ment des contre­par­ties que si le spread qu’il pro­pose est éle­vé (par exemple, il pro­pose d’acheter à 2€/kg et de revendre à 4€/kg). Un mar­ket maker qui pro­pose un spread faible réduit son risque d’inventaire et aura plus de chance d’effectuer des tran­sac­tions. En aug­men­tant le nombre de tran­sac­tions, il par­ti­cipe en outre à flui­di­fier les échanges sur les mar­chés, ce que sou­haitent les bourses d’échange pour aug­men­ter leurs revenus.

Cette thèse s’attache à don­ner des élé­ments de réponse quan­ti­ta­tifs aux sujets égre­nés jusqu’à pré­sent. Il s’agissait de déve­lop­per de nou­veaux algo­rithmes de tra­ding pour les mar­ket makers leur per­met­tant entre autres de gérer un grand nombre de pro­duits simul­ta­né­ment, et de déve­lop­per pour les bourses d’échange des poli­tiques d’amélioration de leur attractivité.

Des algorithmes de trading innovants pour les markets makers

Jusqu’alors nous avons, sans le dire, décrit du mar­ket making d’actifs cross-lis­tés, c’est-à-dire des tech­niques d’arbitrage consis­tant à ache­ter et vendre le même actif (la clé­men­tine), pro­po­sé à des prix poten­tiel­le­ment dif­fé­rents sur plu­sieurs pla­te­formes d’échange (les mar­chés de dif­fé­rents villages). 

Un des abou­tis­se­ments de la thèse fut le déve­lop­pe­ment d’algorithmes de tra­ding pour ce type d’actifs pre­nant en compte la dyna­mique jointe, autre­ment dit l’effet de la trans­mis­sion d’information entre les pla­te­formes, lorsque des tran­sac­tions ont lieu, sur les prix pro­po­sés. L’algorithme ana­lyse à la fois les spreads pro­po­sés sur les dif­fé­rentes pla­te­formes et les volumes pro­po­sés à l’achat et à la vente. 

Une stra­té­gie simple est la sui­vante : si deux pla­te­formes per­mettent d’échanger l’actif, qu’une pro­pose un prix bas à l’achat et l’autre un prix éle­vé à la vente, l’algorithme va immé­dia­te­ment ache­ter sur la pre­mière pla­te­forme, vendre sur la seconde et engran­ger les pro­fits. L’idée est la même pour la ges­tion du risque d’inventaire : sup­po­sons que l’un des vil­lages fait face à un afflux de tou­ristes vou­lant ache­ter un grand nombre de clé­men­tines tan­dis qu’un autre vil­lage a un équi­libre entre l’offre et la demande. Si le mar­ket maker a un nombre éle­vé de clé­men­tines en stock, il pré­fè­re­ra les vendre sur dans le vil­lage bon­dé de tou­ristes où il a beau­coup plus de chances de les écouler. 

Un algo­rithme basé sur ces stra­té­gies per­met ain­si de mettre en place des arbi­trages entre plu­sieurs pla­te­formes, d’une impor­tance par­ti­cu­lière pour l’amélioration des stra­té­gies des mar­ket makers. Cet algo­rithme déve­lop­pé dans le cadre de la thèse et la publi­ca­tion scien­ti­fique asso­ciée ont rem­por­té le prix « Rising Star in Quant Finance » décer­né par Risk Maga­zine, revue de réfé­rence pour les pra­ti­ciens de la finance 1.

Lorsqu’il n’y a pas deux mais cinq ou dix pla­te­formes où peuvent s’échanger l’actif, comme sur les cryp­to­mon­naies par exemple, trou­ver des stra­té­gies d’arbitrage et com­prendre la dyna­mique jointe des prix s’avère plus com­plexe. Pour y par­ve­nir, nous avons employé dans le cadre de la thèse des tech­niques d’intelligence arti­fi­cielle, et plus par­ti­cu­liè­re­ment d’apprentissage par ren­for­ce­ment pro­fond. Cette méthode est uti­li­sée dans des cir­cons­tances où les stra­té­gies sont dif­fi­ciles à déter­mi­ner en rai­son de la com­plexi­té de l’environnement.

Dans notre cas, un mar­ket maker (arti­fi­ciel) de clé­men­tines va essayer de façon plus ou moins aléa­toire d’acheter et vendre sur dif­fé­rentes pla­te­formes. À chaque fois qu’il effec­tue une tran­sac­tion, il observe son pro­fit (ou sa perte), et va apprendre de ses actions, de sorte à maxi­mi­ser son profit.

En sup­po­sant que notre mar­ket maker peut ache­ter et vendre un très grand nombre de clé­men­tines, il aura acquis suf­fi­sam­ment d’expérience pour apprendre de ses suc­cès (et de ses erreurs) et déter­mi­ne­ra une poli­tique opti­male d’achat et de vente.

Il s’agit d’une méthode idéale dans des envi­ron­ne­ments dyna­miques et incer­tains comme les mar­chés, qui évo­luent conti­nuel­le­ment (qui peut pré­voir par exemple, la pério­di­ci­té et l’ampleur des crises, ou tout sim­ple­ment le com­por­te­ment géné­ral des mar­chés ?). Ces méthodes ont connu des suc­cès reten­tis­sants dans des domaines variés tels que les échecs, le jeu de Go ou bien encore la conduite auto­ma­tique. Leur uti­li­sa­tion en finance prend une ampleur gran­dis­sante et cette appli­ca­tion au tra­ding d’actifs cross-lis­tés, et plus géné­ra­le­ment à la ges­tion d’un large por­te­feuille de titres, consti­tuent une inno­va­tion impor­tante pour le déve­lop­pe­ment de futurs algo­rithmes plus per­for­mants 2.

De nouvelles incitations pour les plateformes de trading

Les tra­vaux de cette thèse se sont éga­le­ment foca­li­sés sur le déve­lop­pe­ment de méca­nismes d’incitation pour les pla­te­formes de tra­ding afin d’augmenter les volumes échan­gés et d’améliorer leur fonc­tion­ne­ment. Cela revient à offrir une rému­né­ra­tion aux mar­ket makers suf­fi­sam­ment haute pour qu’ils aient un inté­rêt à pro­po­ser des prix plus attrac­tifs mais suf­fi­sam­ment rai­son­nables pour que la bourse d’échange réa­lise un pro­fit. Une ques­tion se pose alors : sur quels élé­ments baser la rému­né­ra­tion des mar­ket makers ?

La pre­mière approche serait d’indexer la rému­né­ra­tion sur les prix pro­po­sés par les mar­ket makers : plus l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente est faible, plus le mar­ket maker reçoit une com­pen­sa­tion éle­vée. Or, si ce rai­son­ne­ment peut fonc­tion­ner sur un mar­ché de clé­men­tines où les prix ont peu, voire aucune rai­son d’évoluer dans la jour­née, il ne peut s’appliquer sur des mar­chés finan­ciers. En effet, si la rému­né­ra­tion dépend de la durée à laquelle un faible spread est pro­po­sé, le mar­ket maker peut sim­ple­ment l’augmenter bru­ta­le­ment au moment d’une demande d’achat ou de vente, ce qui n’aura en rien flui­di­fié les transactions.

Une idée alter­na­tive, pro­po­sée dans le cadre de la thèse, est d’indexer la rému­né­ra­tion sur le flux de tran­sac­tions du mar­ket maker tout au long de la jour­née : plus il y a de tran­sac­tions, plus la rému­né­ra­tion est éle­vée. Ain­si, pour béné­fi­cier de cette rému­né­ra­tion, le mar­ket maker doit néces­sai­re­ment dimi­nuer le spread pro­po­sé afin d’accroître les volumes échangés.

Nous sommes dans une situa­tion où la bourse d’échange ne connaît pas a prio­ri la stra­té­gie du mar­ket maker mais met en place un sys­tème qui le pousse à réa­li­ser cer­taines actions dans un but pré­cis. On appelle cela un aléa moral : le mar­ket maker est inci­té à accom­plir une action pour le compte de la bourse alors que le résul­tat final de l’action dépend d’un para­mètre connu seule­ment du mar­ket maker. Ce type de pro­blème est com­mu­né­ment trai­té en éco­no­mie indus­trielle, et porte le nom de pro­blème principal-agent. 

Les tra­vaux de cette thèse se démarquent entre autres par l’application de cette théo­rie aux pro­blèmes d’incitation pour les pla­te­formes de tra­ding. En par­ti­cu­lier, il a été pos­sible de déve­lop­per des méca­nismes d’incitation pour plu­sieurs mar­ket makers en concur­rence, mais éga­le­ment pour des mar­chés au fonc­tion­ne­ment bien plus opaque où les par­ti­ci­pants enché­rissent à l’aveugle sans avoir de connais­sance sur la valeur de réfé­rence 3. Ces inno­va­tions sont d’une impor­tance par­ti­cu­lière pour les pla­te­formes de tra­ding ame­nées à les uti­li­ser : une poli­tique de rému­né­ra­tion des mar­ket makers plus effi­ciente pro­cure un avan­tage com­pa­ra­tif cer­tain par rap­port aux concur­rents de la plateforme.

En synthèse

Cette thèse est mar­quée par deux élé­ments : l’application de méthodes pous­sées d’intelligence arti­fi­cielle aux pro­blèmes de tra­ding, et l’utilisation de théo­ries d’économie indus­trielle pour amé­lio­rer l’attractivité des pla­te­formes de tra­ding. L’ensemble des tra­vaux de cette thèse contri­buent ain­si à l’amélioration de l’efficience des mar­chés d’une part, le déve­lop­pe­ment de nou­veaux algo­rithmes de tra­ding sys­té­ma­tique d’autre part. Ils ouvrent la voie à des déve­lop­pe­ments plus pous­sés dans la modé­li­sa­tion des mar­chés financiers.


Informations sur la thèse

Titre de la thèse : « Finance quan­ti­ta­tive à l’échelle de la micro­struc­ture : tra­ding algo­rith­mique et régulation »

Thèse de doc­to­rat de l’Institut Poly­tech­nique de Paris, pré­pa­rée à l’École polytechnique

École doc­to­rale n° 574 École doc­to­rale de mathé­ma­tiques Hada­mard (EDMH)

Spé­cia­li­té de doc­to­rat : Mathé­ma­tiques Appliquées

Date et lieu de la sou­te­nance : 14/05/2021 au Palais Bron­gniart, 16 Place de la Bourse, 75002 Paris.

Com­po­si­tion du jury :

  • Huyen Pham, pro­fes­seur, Uni­ver­si­té Paris-Dide­rot, rapporteur
  • Mike Lud­kovs­ki, pro­fes­seur, Uni­ver­si­ty of Cali­for­nia San­ta Bar­ba­ra, rapporteur
  • Oli­vier Guéant, pro­fes­seur, Uni­ver­si­té Paris 1 Pan­théon-Sor­bonne, pré­sident du jury
  • Sophie Laruelle, maître de confé­rences, Uni­ver­si­té Paris-Est Cré­teil, examinateur
  • Thi­baut Mas­tro­lia, maître de confé­rences, Uni­ver­si­ty of Cali­for­nia Ber­ke­ley, examinateur
  • Nizar Tou­zi, pro­fes­seur, École poly­tech­nique, examinateur
  • Mathieu Rosen­baum, pro­fes­seur, École poly­tech­nique, direc­teur de thèse
  • Dylan Pos­sa­maï, pro­fes­seur, ETH Zurich, codi­rec­teur de thèse
  • Gré­goire Loe­per, ana­lyste quan­ti­ta­tif, BNP Pari­bas, invité

Lien vers la thèse en ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03375983



Présentation du laboratoire d’accueil

Le Centre de Mathé­ma­tiques Appli­quées (CMAP, UMR 7641) est le labo­ra­toire de mathé­ma­tiques appli­quées de l’École poly­tech­nique, rat­ta­ché à l’Institut Poly­tech­nique de Paris. Diri­gé par le pro­fes­seur Thier­ry Bodi­neau, les domaines de recherche du CMAP sont en liai­son étroite avec des pro­blé­ma­tiques posées en phy­sique, méca­nique, chi­mie, bio­lo­gie et san­té, finance mais aus­si dans les domaines socio-éco­no­miques ou des tech­no­lo­gies de l’information. Le CMAP est orga­ni­sé en 10 équipes cou­vrant ses domaines de recherche, regrou­pées en trois grandes thé­ma­tiques : pro­ba­bi­li­tés, sta­tis­tiques et appli­ca­tions, ana­lyse numé­rique et équa­tions aux déri­vées par­tielles, contrôle et optimisation.



1. Lien : https://www.risk.net/awards/7736201/rising-stars-in-quant-finance-iuliia-manziuk-and-bastien-baldacci
2. Une par­tie impor­tante des tra­vaux consa­crés au mar­ket making et au tra­ding d’actifs cross-lis­tés a été réa­li­sée en col­la­bo­ra­tion avec des banques (HSBC Paris) ou des fonds d’investissement (Rit­ter Alpha LP)
3. Cer­tains des tra­vaux por­tant sur les inci­ta­tions aux mar­ket makers ont été réa­li­sés en col­la­bo­ra­tion avec Euro­next, pre­mière bourse d’échange européenne.

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